II. Jean Bodin, un théoricien qui accepte la
réalité de la métamorphose
C'est avec la « Démonomanie des sorciers
» 450, au XVIè siècle, que l'on assiste
à un changement radical. En effet, l'auteur de cet ouvrage
451 soutient que la métamorphose est bien réelle et
conteste même la possibilité de l'existence des vrais loups. Dans
cet extrait tiré de l'écrit cité ci-dessus, Jean Bodin
l'affirme sans ambages, il y aurait bien une transformation de « corps
à corps » : « Mais la chose la plus difficile a
croire, et qui est plus admirable, est le changement de la figure humaine en
beste, et encore plus de corps en corps. Toutefois les procès faits aux
Sorciers et les histoires Divines et humaines et de tous les peuples font la
preuve très certaine » 452.
Conséquence logique d'une telle affirmation, le nombre
de procès intentés aux soi-disant loups-garous augmente, ceci
principalement en Lorraine, dans le Dauphiné, en Bretagne et en
Franche-Comté. L'issue du jugement est presque toujours
l'exécution. Cette conception nouvelle, qu'il est bien souvent possible
de retrouver dans la littérature médiévale, 453
représente une nouveauté qui crée des dissensions entre
les théologiens. En homme prudent, Jean Bodin, va donc modérer
ses propos. Après avoir affirmé que la métamorphose est un
phénomène bien réel, il tente d'adapter son discours.
L'extrait ci-dessous illustre parfaitement cette mise au point. « Dieu
non
448 Les chamanes de l'âge de fer préfèrent
énoncer l'état de transe que le rêve. Les deux notions en
reviennent à dire que le dédoublement ne peut
s'opérer que dans un état second. (MARILLIER,1997 : 78).
449 Canon Episcopi : Ce texte fut écrit dans le dessein
de donner aux évêques et aux ministres du culte le pouvoir
d'éradiquer les arts divinatoires et toutes les pratiques liées
à la magie dans la région dont ils avaient la charge. (ALPHA,
1968)
450 « Démonomanie des sorciers » :
ouvrage du XVIè siècle où l'auteur expose des
théories très différentes de celles qui étaient
communément admises par l'Eglise. HARF-LANCNER, Loc cit., p.
216.
451 Jean Bodin fut un magistrat et un philosophe
français du XVIè siècle. Originaire d'Angers, il est
l'auteur de différents ouvrages dont « les Six Livres de la
république » (1576). (ALPHA, 1968)
452 HARF-LANCNER, Loc cit., p. 216.
453 Les histoires de loup-garou sont nombreuses dans la
littérature médiévale. Retracant les aventures macabres de
ces êtres imaginaires, elles mettent en lumière la dualité
du loup-garou, qui passe périodiquement de l'état d'animal
à celui d'homme en bonne et due forme. Comme exemple, on peut citer :
« Renart le contrefait », 1320, « le lai de
Bisclavret » de Marie de France, 1160-1170 ou une partie du roman de
Gervais de Tilbury, « Otia imperialia », 1209-1214.
HARF-LANCNER, Loc cit., p. 217.
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seulement a créé toute chose, (...) les
esprits malins n'ont pas la puissance de changer la forme, attendu que ma forme
essentielle de l'homme ne change point »454.
Comme nous venons de le voir, l'oeuvre de Dieu à un
caractère sacré et il est difficile d'en altérer la
nature. Cette affirmation, qui est valable tout au long de l'histoire de la
chrétienté, 455 place donc l'idée de la
métamorphose en général et celle du loup-garou
456 en particulier dans le domaine de la superstition. Activement
combattue par l'Eglise, cette croyance ne sera cependant pas
complètement éradiquée. Elle subsiste en Gévaudan
jusqu'aux années 1980 457, et peut-être bien encore au
jour d'aujourd'hui, 458 dans les campagnes reculées et plus
particulièrement dans les milieux pauvres et peu éduqués.
Fort de l'exposé qui précède, je vais maintenant
m'employer à faire le lien entre les traces écrites de
superstitions trouvées dans les archives consacrées à
l'histoire de la Bête du Gévaudan, les préceptes
augustiniens exposés précédemment et les croyances
anciennes. Comme nous allons nous en rendre compte, l'imaginaire du
XVIIIè siècle est fortement coloré par des conceptions qui
lui sont bien antérieures.
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