Conclusion
Au cours de ce chapitre, il nous a été possible
de nous rendre compte de quelle façon l'organisation sociale du
Gévaudan a impacté le développement des croyances. A cette
époque, le discours clérical produit par un janseniste est
transmis à une population illettrée. Le mandement de Mgr de
Choiseul-Beaupré, est écrit dans une langue difficile et
métaphorique qui n'a rien à voir avec le patois local et qui ne
cadre pas avec le niveau d'instruction des autochtones. En conséquence,
les écrits de l'évêque de Mende doivent être traduits
par les prêtres dans la langue du pays. La traduction d'un document aussi
difficile implique une exégèse de la part du prêtre qui
à son tour ne manque pas d'être réinterprétée
par les habitants. Au final, le tout donne naissance à une incertitude
interprétative qui conduit à une angoisse
généralisée.
La presse, qui se trouve à la sortie de la guerre de
Sept-Ans dans une situation financière difficile voit dans ce
fait-divers la possibilité de renflouer ses caisses. Elle met donc en
place une narration connexe qui, tout en réintégrant des
éléments des croyances locales, oriente le récit vers le
conte. Concernant les créatures représentées dans
l'iconographie de la Bête, elles présentent toutes un
élément commun. Toutes sont de près ou de loin
liées à l'idée de la métamorphose.
Profondément combattue depuis Saint-Augustin, l'idée de la
métamorphose sous-tend la réflexion
431 En effet, toutes les créatures
étudiées se métamorphosent. Le lycanthrope est un
homme changé en loup. Le Centaure « Chiron », fils de
« Philyra » et de « Kronos », victime
d'une flèche empoisonnée, est métamorphosé en
constellation, la constellation du Sagittaire, par « Zeus ».
La représentation de la Bête dans l'icône
dédiée à la bataille livrée par Portefaix
présente des caractéristiques (en particulier celles de sa patte
postérieure) qui n'ont pas grand-chose à voir avec le loup en
bonne et due forme. Le loup s'est donc lui aussi transformé. Enfin,
l'icône intitulée « la Bête féroce qui
ravage le Languedoc » est de part sa constitution en rapport avec le
« Léocentaure » et le « Centaure ».
Le « Centaure » étant assimilé au «
Sagittaire », il porte lui aussi le nom d'une constellation, la
constellation du « Centaure ».
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théologique de la démonologie du Moyen Âge
et se retrouve dans les témoignages 432 écrits
conservés dans les archives consacrées à l'histoire de la
Bête. A mon sens, cette correspondance n'est pas fortuite.
En premier lieu, elle montre clairement que la presse suit
avec attention le développement des événements en
Gévaudan car les descriptions données dans les archives
écrites sont très souvent retranscrites dans les estampes et
relayées dans le récit et l'imagerie médiatique. Ensuite,
cette correspondance peut être l'indice que la source d'inspiration des
dessinateurs et l'idée que se font les témoins de
l'identité de l'animal à travers les créatures qu'ils
décrivent procède d'une conception antérieure.
Dans le but de résoudre la question posée par ma
problématique je vais, après avoir exposé
l'évolution du concept de métamorphose dans l'Eglise depuis le
début du Moyen Âge, m'attacher à l'étude des
témoignages écrits présents dans les archives. Par ce
biais, j'espère pouvoir établir si les affirmations des habitants
de l'époque se retrouvent dans une réalité
antérieure, ou si les croyances des habitants du Gévaudan sont
originales.
432 « Pendant tout le trajet qu'elles furent en
compagnie de cet homme, en voyant les longs poils de son estomac à
travers la fente de la chemise (...) dans la matinée on avait vu la
Bête dans les environs. C'était, disait-on, le loup-garou qui de
rage voulait empêcher ces femmes d'aller à la messe » -
Paillère, dit Bégou de Pontajou, paroisse de Venteuges,
s'était levé de grand matin. (...) L'homme de la rivière,
s'apercevant qu'il était vu, d'un bond, sortit de l'eau et fut
changé en bête. Alors, elle s'élança avec une telle
fureur vers Paillère, qu'à peine il eut le temps de se fermer
dedans. Et sa frayeur fut si grande qu'il faillit ne pas en revenir... »
BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.130.
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CHAPITRE XIII
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