Conclusion
Du loup à l'hybride, il semble bien que nous soyons
ici, aussi bien dans le discours officiel que dans le discours des chasseurs et
des nobles, passés d'une interprétation religieuse et
mythologique à une interprétation factuelle proche des
théories scientifiques du siècle de Voltaire. Le cadre
vernaculaire ayant, pour les nobles et les gens éduqués,
laissé place au cadre interprétatif des Lumières, les
croyances de cette couche de la population s'en trouvent affectées. Les
« signes anomaliques 353 » ne mènent pas à la
création phantasmée d'entités extraordinaires car la
culture de la classe sociale qui aurait pu en être la source a
modifié ses références. Il n'y a pas de différence
entre l'analyse logique de l'anomalie et la perception qui en est faite et donc
pas de formation d'un récit. Il n'y a pour la noblesse pas de trace de
croyance particulière en une Bête qui serait autre chose qu'un
animal hybride, exotique ou un loup en bonne et due forme. Pour conclure, on
peut dire que même dans le cas où des chasseurs aient voulu faire
monter les primes 354 en décrivant un animal dangereux,
étrange ou exotique, même si certains chasseurs sont aux prises
avec des difficultés financières et un honneur bafoué, il
est difficile de relever dans les archives des traces de croyances en relation
avec la Bête du Gévaudan dans la noblesse et les populations
éduquées.
353 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177
354 La question peut se poser. Du Hamel étant un des
principaux fournisseurs de témoignages directs, il a pu avoir un contact
privilégié avec la presse. Cette éventualité aurait
pu aboutir sur une dynamique dont Du Hamel et Morénas (rédacteur
du Courrier d'Avignon) auraient pu tirer parti, l'un pour faire
augmenter les primes (10.000 livres au plus haut), l'autre pour faciliter les
ventes. Cependant, je ne souscris pas à ce point de vue car, Du Hamel,
et cela dès le début des chasses semble bien avoir
été une victime de la presse. Cette dernière, a de par
l'inexactitude des faits rapportés et le vocabulaire emphatique qu'elle
emploie, plutôt contribué à faire de la Bête une
créature mythologique et de Du Hamel un homme traqué par
l'opinion.
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CHAPITRE XII
D'un imaginaire chrétien aux figures de la
Bête
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