Conclusion de la deuxième partie de ce
mémoire
Au cours de la deuxième partie de cette étude,
nous avons été les témoins de la création d'un
nouvel objet de la croyance 267. La culture régionale, la
présence de « signes anomaliques » 268,
l'arrivée de la presse qui peut alors décrire les «
caractères d'un événement » 269 ainsi que
d'autres éléments présents dans la théorie de
Meurger se retrouvent tout au long d'un processus qui semble être
très approchant de celui qui a vu la construction de l'objet de la
Bête du Gévaudan. Cependant, la réalité
paradigmatique de l'Ancien régime n'ayant rien à voir avec celle
de la société actuelle, la conséquence en est que la
teneur du récit attaché la nouvelle Bête est
différente. Ainsi, bien qu'elle soit elle aussi sujette aux conjectures
quant à sa nature véritable, bien qu'elle ne laisse dans son
sillage que quelques griffures et des blessures sur un cheval, la nouvelle
Bête n'est pas un animal extraordinaire. Qu'elle soit un puma, un puma
imaginaire ou tout autre chose, son identification ne verse ni dans la
mythologie ni dans la religion. Elle n'est en sorte que ce qu'elle est
supposée être : un animal. La croyance est donc là
circonscrite au domaine de l'existence ou de la non-existence d'une bête
en bonne et due forme.
Revenons maintenant au XVIIIè siècle et
intéressons-nous au cadre dans lequel se construisent les croyances
liées à la Bête du Gévaudan. Issus de cadres
sociétaux distincts, la noblesse et le Tiers-Etat devraient, du fait de
la dichotomie culturelle qui les caractérise, être à
l'origine de deux réflexions différenciées. Dans la
prochaine partie de ce mémoire nous verrons si l'évolution
asymétrique des idées qui définit le Tiers-Etat et la
Noblesse au XVIIIè siècle induit l'apparition de croyances
spécifiques et si ces dernières sont le fruit du cadre
référentiel dont elles procèdent.
267 Il n'est pas ici mon propos de tirer des conclusions sur
l'existence ou la non-existence d'un puma en Gévaudan. Animal imaginaire
ou non le puma dont il est question a été selon moi, l'objet d'un
processus qui a mené à l'élaboration d'une croyance.
268 MEURGER Michel, Loc. cit., p 177.
269 MEURGER Michel, Loc. cit., p 178.
69
PARTIE III
LA BÊTE, UNE ENTITE MULTIPLE
70
Introduction de la troisième partie de cette
étude
Dans la troisième partie de ce mémoire, je vais
tenter d'effectuer une analyse sectorielle. En premier lieu, je vais
m'intéresser aux croyances développées par la noblesse et
les gens éduqués. Pour ce faire, je vais isoler les cinq acteurs
de cette histoire qui, à mon sens, sont les plus représentatifs
de leur classe. Ainsi, François Antoine 270, les Dennevals
271 (père et fils), le comte de Morangiès
272, Mr de la Barthe 273 et le capitaine Du Hamel
274 feront l'objet d'une analyse comparée ceci au regard de leurs
rôles et de leurs intérêts possibles à
l'éradication de la Bête du Gévaudan. De cet examen,
j'espère pouvoir tirer des informations sur les motivations personnelles
de ces personnes et de ce fait pouvoir me prononcer sur l'existence ou la
non-existence de croyances dans ce groupe social. Enfin, je m'efforcerai de
réintégrer ces dernières dans la théorie de
Meurger, ceci dans le but de lier le processus qui les génère au
cadre dont elles sont issues. En second lieu, je m'attacherai à
l'étude des croyances du Tiers-Etat. Je me concentrerai
premièrement sur le rôle des prêtres dans la vie des
habitants du Gévaudan au XVIIIe siècle. La raison de ce choix est
que les ministres du culte ont, en tant que représentants de la croyance
officielle, exercé une influence non négligeable sur la culture
du lieu et conséquemment sur l'interprétation populaire des
événements par les habitants. De plus, en tant que trait d'union
entre l'institution et les autochtones ils ont fait office de traducteurs des
documents religieux et sont de ce fait un maillon essentiel de l'histoire.
Enfin, après avoir mis en évidence quelles étaient les
superstitions les plus communes en Gévaudan à l'époque de
la Bête, je procéderai à l'analyse des icônes et des
extraits d'archives qui s'y rapportent. Cette analyse sera faite en fonction de
l'évolution du cadre historique, ceci principalement du point de vue du
développement de l'histoire de la théologie. C'est en comparant
les croyances anciennes à celles qui ont pu naître au cours de ces
événements qu'il sera possible d'établir si la Bête
du Gévaudan est à l'origine d'un récit qui lui est
propre.
270 François Antoine fait partie de la noblesse. Il
était à l'époque des faits le porte-arquebuse de Louis XV.
Il aurait, selon la couronne, tué la Bête du Gévaudan. Les
faits montrent que cette version est discutable car l'animal a continué
de faire des ravages après que sa mort ait été
annoncée
271 Les Dennevals (père et fils), sont deux nobles.
Chasseurs normands spécialisés dans la chasse au loup, ils vont
très vite faire l'objet de vives critiques car ils montrent le
dédain le plus profond pour les populations paysannes. Surpris par
l'âpreté du climat ainsi que par le relief du Gévaudan, ils
seront incapable de remplir la mission qui leur était assignée
(occire la bête du Gévaudan). « D'Enneval »
était le véritable orthographe du nom. Il sera
remplacé par les Dennevals.
272 Noble local, Jean François Charles de La Molette,
comte de Morangiès est un personnage intéressant car il chasse
lui aussi la Bête et est en concurrence directe avec le capitaine Du
Hamel. De plus, Jean François Charles de La Molette, est dans une
situation inconfortable car son père fut, quelques années
auparavant banni de la cour.
273 Mr de la Barthe est un gentilhomme campagnard. Noble lui
aussi, il est l'auteur de lettres qui furent reprises par la presse de
l'époque. Commentateur ironique des croyances et des superstitions il
est un observateur qui rapporte avec zèle la réalité du
Gévaudan dans la période qui nous intéresse.
274 Le capitaine Du Hamel est le premier chasseur de la
Bête du Gévaudan. Organisateur de nombreuses battues
infructueuses, il sera désavoué et remplacé par les
Dennevals. En charge du régiment des volontaires de Clermont-Prince, Du
Hamel est un témoin oculaire. Il est l'auteur de nombreuses descriptions
de l'animal.
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CHAPITRE XI
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