PARTIE II
LA GENESE DE LA CROYANCE
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Introduction de la deuxième partie de ce
mémoire
Avant d'entrer dans l'analyse des croyances en tant que
telles, il s'agit tout d'abord de fixer un cadre. En effet, il est important de
savoir comment se développe une croyance et surtout, en ce qui concerne
notre étude, quel est le processus qui mène à son
élaboration.
Michel Meurger, dans un article intitulé « Les
félins exotiques dans le légendaire français » 216,
propose une analyse qui je pense peut être mise à profit.
Après s'être intéressé aux nombreux
prédateurs exotiques qui peuplèrent les forêts et
l'imaginaire des hommes, l'auteur tente d'isoler les éléments
constitutifs de la mise en place d'un récit autour de ces animaux. Pour
Meurger, les anomalies (griffures sur les troncs d'arbres, bruits inhabituels,
etc...) sont, entre autres, avec la culture locale des éléments
qui peuvent mener à une narration populaire particulière pouvant
se révéler être aux antipodes de l'analyse rationnelle des
faits.
Ces données, qui semblent, comme nous l'avons vu dans
la conclusion de la première partie de cette étude,
déjà attachées à la construction de l'objet de la
Bête du Gévaudan, pourraient-elles aussi être
présentes dans l'élaboration d'un nouveau « félin
exotique » aujourd'hui? Pour m'assurer de la validité de
l'approche de Meurger dans le cas de ma recherche ainsi que pour en fixer le
cadre, j'ai donc décidé de me rendre en Gévaudan en
Juillet 2015. Le but de mon séjour était de vérifier si
les constituants mis en évidence par Meurger pouvaient être
retrouvés en Gévaudan à notre époque. Pour cela, il
m'a fallu organiser un entretien avec une personne bien au fait de
l'actualité locale de la région, Mr Boisserie. Ancien forestier,
habitant à l'orée des bois où la Bête du
Gévaudan fut abattue il y a de cela plus de deux siècles, Mr
Boisserie à bien voulu me reçevoir et a été la
source de renseignements très précieux. Une retranscription d'une
partie de cet entretien est consultable à l'annexe 17.
Mise à l'épreuve des faits rapportés au
cours de l'entretien non directif effectué avec Mr Boisserie la
théorie de Meurger semble être validée. En effet, si
l'évocation de l'existence 217 d'une «
nouvelle bête » en Gévaudan est avancée par un
témoin, Mr Dalle maire de « Hontès haut »,
l'interview donnée par Mr Boisserie met en évidence l'utilisation
d'éléments énoncés dans la théorie de
Meurger. De plus la validité de la théorie paraît
être confirmée par le discours de mon hôte car une narration
particulière est bien mise en place par l'interviewé, cela
à l'aide de données qui n'ont rien de rationnel.
216 MEURGER Michel, « Les félins exotiques dans le
légendaire français », Loc cit.
217 La nouvelle bête serait, selon Mr Dalle, un puma.
L'animal aurait été vu par Mr Dalle au cours d'un trajet en
voiture.
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Comme nous allons nous en rendre compte au cours des lignes
qui suivent, il est aussi possible d'observer que le glissement du cadre de
l'Ancien Régime vers la modernité des Lumières a
aujourd'hui des conséquences différentes selon les parties. Si le
changement paradigmatique associé à la transformation du cadre
sociétal est bien visible à travers la mutation de l'objet des
croyances (la nouvelle bête, invoquée par Mr Boisserie n'a plus
rien de surnaturel) la presse, elle, ne change pas et utilise la même
stratégie pour s'accaparer l'attention des lecteurs. Tout comme au
XVIIIè siècle, elle crée l'évènement
218 à l'aide de l'évocation de détails
explicites et exploite au mieux un fait-divers somme toute assez trivial.
218 L'attaque d'un cheval par un animal en Gévaudan
sera très vite mise à profit par la presse. Quelques semaines
après les événements, Paris Match et Le
Progrès publient des articles qui relatent les faits.
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CHAPITRE VIII
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