Introduction
Marquées par l'orthodoxie, la résistance ou
l'hérésie les hautes terres s'illustrent par la
fidélité aux valeurs qu'elles se sont choisies. De
l'Ariège des Cathares 110 à l'Alpujarras des Maures
111, du Gévaudan catholique 112 aux Cévennes des
huguenots 113, les montagnes constituent souvent un refuge et un
terreau fertile à l'élaboration d'idées contraires
à celles de la civilisation des villes et des vallées. En 1702,
c'est bien dans les montagnes que la guerre des camisards 114
éclate. La systématisation des persécutions envers les
Protestants 115 finit par déclencher des révoltes qui
à leur tour conduisent à des affrontements armés.
Après deux années d'une guérilla 116
menée dans un relief montagneux, les Protestants cévenols sont
battus et doivent abjurer en masse. Ceux qui refusent de se convertir se
réunissent de façon clandestine et célèbrent
secrètement un culte où des
110 Inscrit dans le contexte de refus des valeurs
traditionnelles de l'Eglise autour de l'an 1000 , le catharisme dont le
château Montségur en Arriège (construit au sommet d'une
montagne au XIIIè siècle ) est le vestige le plus connu, est une
religion médiévale qui trouve ses racines dans le catholicisme.
Pour les Cathares, le monde matériel, qui rend possible la tentation,
s'oppose au paradis qui lui, mène à l'élévation
spirituelle. D'un point de vue pratique le catharisme pose un problème
important car il s'oppose à la propriété privée et
par la même occasion à la société féodale. Il
se développe entre le Xème et le XIVème siècle,
ceci principalement dans le Midi de la France. (ALPHA, 1968)
111 Entre 1568 et 1571, la population morisque de la
région de Grenade en Espagne se révolte contre les limitations
imposées à la pratique de sa religion, l'Islam. Ces incidents,
connus sous le nom de « révolte des Alpujarras »
poussent Philippe II d'Espagne à disperser ces populations dans le
royaume. Ici encore, c'est dans les montagnes (Les « Alpujarras
» se trouvent au sud de la « Sierra Nevada », aux
environs de Grenade) qu'éclatent les révoltes. (BENBASSA, 2011 :
10)
112 Terre de montagnes, convertie par Saint-Privat,
évangélisateur des Gabales, le Gévaudan se distingue par
une acceptation très rapide de la doctrine catholique. Ainsi, Aldebert
III, évêque de la capitale du Gévaudan au XIIè
siècle, bénéficie des largesses du roi de France qui le
remercie de lui avoir rendu hommage. Sans doute aidé en cela par l'essor
de Mende en tant que ville de pèlerinage, l'évêque recoit
du roi, une « bulle d'or » (décision rendue sous la
forme d'un texte) qui lui donne la possibilité d'exercer des pouvoirs
civils sur la ville. En conséquence de cela, la ville devient une
principauté ecclésiastique (Documents historiques sur la province
de Gévaudan 1846 : 355)
113 Les Cévennes des huguenots font
référence aux régions du Massif Central où se
développèrent des révoltes au début du
XVIIIè siècle. Ce relief montagneux et isolé forme une
chaîne qui s'étend de la Lozère au département du
Gard. Il est principalement composé de petits massifs. L'altitude de
cette chaîne de montagnes ne dépasse pas 1700 mètres (Pic
de Finiels) (ALPHA 1968)
114 Guerre des Camisards : Aussi appelée guerre des
Cévennes, il s'agit d'un soulèvement populaire
principalement animé par les paysans. Cette guerre est un
résultat de la révocation de l'Édit de Nantes par Louis
XIV. (Crouzet,1963)
115 Suite à la révocation de l'Édit de
Nantes, les protestants vont être victimes de persécutions. Des
temples protestants sont détruits, le pouvoir ordonne des enquêtes
et encourage la dénonciation. Une des conséquences de la
révocation de l'Édit de Nantes est la fuite des élites
protestantes pour l'Angleterre, la Hollande et l'Amérique. L'Édit
de Nantes est un document qui fut promulgué en 1598, sous le
règne d'Henri IV. Le but de cet édit était de mettre fin
aux guerres de religion. Il donnait aux Protestants une certaine liberté
de culte, des droits politiques et civils. (CROUZET, 1963)
116 La guérilla n'est pas une guerre conventionnelle.
Elle se caractérise par l'embuscade et le harcèlement. Elle est
adaptée aux terrains montagneux ou difficiles. (AUGE, 1948)
37
prédicants 117 font office de prêtres.
Nicolas Lamoignon de Basville 118, se charge alors de la traque des
résistants. Aux ordres de Louis XIV, cet administrateur
zélé exécute, emprisonne ou condamne aux galères
ceux qui résistent à la foi officielle. Bien qu'elle soit courte,
cette période de l'histoire de France témoigne bien de la
capacité des populations montagnardes à «
résister à l'épanouissement des civilisations et des
religions » 119. Comme semble l'avancer Patrick Cabanel,
120 il est difficile de changer les us et coutumes de ces régions
isolées sans se heurter à une résistance farouche des
habitants.
I. Le Gévaudan, une région qui résiste
aux idées nouvelles
Le Gévaudan ne fait pas exception à la
règle. Isolée, en altitude, la région n'est pas ici
protestante mais profondément catholique 121 et l'attachement
aux traditions cause des résistances qui ne sont pas circonscrites aux
cercles religieux. En 1892, la Lozère résiste à
l'arrivée d'enseignants protestants dans les écoles. On est alors
ici devant un refus de la « secte » identifiée comme
la franc-maçonnerie. Sur ce point, la retranscription d'une conversation
relevée par l'abbé Lozerien « Daurelle » nous
renseigne. «... Pourquoi ces préférences pour le
protestantisme ? Parce qu'il est l'allié naturel de la secte , et lui
livre l'homme, en le séparant de Dieu. N'osant installer ses loges dans
nos campagnes, elle veut du moins y installer des écoles de Luther qui
ne sont, elles aussi, qu'une duperie. »122.
Réfractaire aux influences extérieures, habitée par
des populations rurales très réceptives au discours du
clergé, cette étendue géographique ne va rompre avec
l'isolement qu'à la fin du XIXè siècle, ceci avec
l'arrivée du chemin de fer à Mende. Assez mal vu par
l'église, ce nouveau venu va concentrer les critiques. Ainsi, en 1891 un
curé s'exprime. Depuis l'arrivée du train, « les gens
ont perdu cette force, cette vigueur qui les caractérisait
»123. L'Eglise, qui sent alors qu'elle risque de
devoir concilier avec des influences extérieures intensifie la
rhétorique cléricale. L'arrivée d'idées nouvelles
provoque alors des résistances. Tiré du mandement de Mgr
Foulquier en 1852 l'extrait ci-dessous nous montre l'étendue de
l'incompréhension qui
117 Un prédicant est prédicateur protestant. (Le
petit Robert, 2009)
118 Nicolas Lamoignon de Basville 26.04.1648-17.05.1724 fut un
administrateur et un magistrat. Il fut, à l'époque des
révoltes protestantes, un personnage craint pour sa cruauté et
son zèle. (CROUZET, 1963)
119 CABANEL. Patrick, Cadets de Dieux, Vocations et
Migrations religieuses en Gévaudan XVIII-XX siècle, Paris,
CNRS éditions, 1997
120 Patrick Cabanel est un ancien élève de
l'École normale supérieure, agrégé d'histoire et
maître de conférences à l'université de Toulouse-Le
Mirail.
121 C'est dès le XIIIè siècle que le
Gévaudan pourvoie l'abbaye de Saint-Victor de ses moines. Le plus
illustre d'entre eux, accède au pontificat en 1362. « Guillaume
de Grimoard », natif de Grizac en Lozère devient alors Urbain
V. Cet héritage religieux lozérien qui semble passer de
génération en génération est attesté par les
écrits de Mgr Saivet. Nommé évêque de Mende en 1872,
il s'exprime en ces termes : « quand j'aurai eu mes audiences et dit
mes sentiments, je reviendrai à mes neiges, à mes chers
montagnards. Ce sera passer d'une blancheur à l'autre. Je ne me sens pas
malheureux entre l'âme du pape et les belles vertus de la Lozère
». (BRUNET 2005 : 333).
122 CABANEL. Patrick, Op. cit., p.43.
123 Archives départementales de la Lozère, 1T 1
38
règne entre la modernité et la vision des
ecclésiastiques régionaux. : « ...Du haut des
régions isolées qu'ils habitent, ou plutôt des hauteurs de
leur foi, comme aussi des hauteurs d'une raison mûrie et formée
par cette loi divine, nos diocésains ont entendu comme un écho
lointain de ces doctrines impies, immondes et sanguinaires, et ils les ont
méprisées... » 124.
|