3.2.2.2 La gestion de crise au niveau de la culture
organisationnelle
En analysant la culture organisationnelle de Desjardins, nous
avons observé trois caractéristiques pendant et après la
crise financière. La première étant l'approche
contradictoire que Desjardins a vis-à-vis des autorités
gouvernementales et publiques; la seconde est la culture de l'entreprise
perçue par Desjardins et ses employés sur le plan interne; la
troisième est la culture organisationnelle perçue par la
société civile sur le plan externe.
L'approche contradictoire de Desjardins face au gouvernement
peut être illustrée par deux événements. Le premier
étant que Desjardins avait été affecté par les
pertes engendrées par la crise du PCAA au Canada. Or lorsque la crise
est survenue au niveau du marché canadien, un processus de
transformation des anciens titres en obligations à long terme
était nécessaire pour pouvoir redémarrer le
mécanisme du PCAA alors en panne. Cependant, cette conclusion a failli
ne jamais avoir lieu sans l'aide des gouvernements (fédéral et
provincial). Cet appui gouvernemental a finit par arriver à hauteur de
3,5 milliards de dollars CAD (Desjardins, 2009). Un des principaux intervenants
dans le dossier de restructuration du PCAA, responsable du dossier chez Ernst
& Young, M. Laporte a déclaré : « c'est passé
proche, mais je ne voyais pas comment les joueurs et les gouvernements auraient
pu laisser tomber ça » (Desjardins, 2009, p. 1). Desjardins a
bénéficié de l'aide du gouvernement et la restructuration
du PCAA, ce qui a permis d'éviter le pire. En 2009, d'après
l'agence de notation Moody's, Québec et Ottawa fourniraient un «
soutien implicite » à Desjardins dans
l'éventualité d'un problème de solvabilité, ce qui
est pris en compte dans l'établissement des cotes de crédit
(Larocque, 2009). En 2008, lors d'un discours devant
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la Chambre de commerce du Montréal
métropolitain, la dirigeante de Desjardins, Monique F. Leroux, a
demandé au gouvernement du Canada de ne pas désavantager les
institutions financières du pays par rapport à leurs rivales
d'ailleurs. Elle exhortait le gouvernement fédéral de «
faire preuve d'une grande vigilance ». (Bergeron, 2008, p. 1).
Nous en venons au deuxième événement qui
démontre la contradiction au niveau de la culture organisationnelle de
Desjardins. À la même année en 2008, lorsque le
gouvernement canadien a suggéré la mise en place d'un
système de réglementation centralisé des valeurs
mobilières au Canada, Desjardins a critiqué et protesté
contre cette mesure. Valeurs mobilières Desjardins (VMD) est une des
filiales du Mouvement Desjardins qui engrange des profits considérables
sur le marché des valeurs mobilières. La coopérative
financière a fait valoir, dans un document d'une vingtaine de pages, que
le projet de centralisation de la réglementation des valeurs
mobilières du gouvernement fédéral est fondé sur
des « mythes » et des « perceptions », et qui ne
résistent pas à l'analyse (Larocque, 2008(a)). Desjardins
avançait l'argument entre autre « qu'un organisme pancanadien
n'ait pour conséquence de reproduire le système américain,
avec ses qualités mais aussi ses défauts, notamment sa lourdeur
bureaucratique et juridique. Les tribunaux canadiens doivent continuer de
resserrer les peines qu'ils imposent aux fraudeurs, reconnaît Desjardins,
en avançant toutefois qu'il n'est pas nécessaire, pour y arriver,
de centraliser la réglementation des valeurs mobilières au pays.
» (Larocque, 2008 (a), p. 1). En d'autres termes, de par sa
communication, Desjardins tient un double discours à l'encontre du
gouvernement et sa position vis-à-vis de ce dernier.
La deuxième caractéristique observée de
la culture organisationnelle de Desjardins est l'image que celle-ci renvoie de
sa gestion de la culture interne. En effet, en 2008, le Mouvement Desjardins
annonçait fièrement qu'il faisait partie désormais du
très prestigieux palmarès des 50 Employeurs de choix au Canada
(Canada Newswire, 2008(a)). Monique F. Leroux, présidente et dirigeante
du Mouvement des caisses Desjardins, avait alors déclaré que
« nous sommes très fiers de figurer parmi les 50 Employeurs de
choix au pays. Je crois que cette reconnaissance nous indique que nous sommes
sur le bon chemin et que nous devons continuer de sonder et d'écouter
nos employés, surtout dans le contexte économique dans lequel
nous évoluons actuellement » (Canada Newswire, 2008(a), p. 1).
Le sondage sur la mobilisation, sur lequel se base la firme de
services-conseils en ressources humaines Hewitt, a été
envoyé à près de 20 000 employés chez Desjardins.
(Canada Newswire, 2008(a)).
Cependant, la troisième caractéristique
observée au niveau de la gestion de la culture organisationnelle du
Mouvement Desjardins sur le plan externe dévoile également des
contradictions, notamment avec l'identité et les valeurs
coopératives. En 2008, dans un article paru dans Les Affaires, du 12
avril 2008, François Dupuis, vice-président et économiste
en chef de Desjardins, avait déclaré : «Diminuez les
impôts des compagnies; laissez
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davantage de place aux forces (sic) du marché par
le recours à l'état minimal; privatisez davantage les services
publics et tarifiez ceux qui resteront publics, afin d'habituer la population
à payer le prix du marché (sic) et augmentez les tarifs
d'électricité et les frais de scolarité»
(Lauzon, 2009, p. 1). En 2009, quelques jours avant le dépôt du
budget Bachand 2010, l'économiste en chef de Desjardins a aussi
déclaré qu'il faut envisager une hausse des tarifs et des taxes,
notamment sur l'essence et que c'est à ce prix que les
Québécois peuvent conserver les acquis sociaux auxquels ils
tiennent. Il a par ailleurs recommandé au gouvernement de réduire
les taux de croissance de ses dépenses (St-Gelais, 2010). Ces
affirmations sont en contradiction avec la culture coopérative et ses
valeurs tournées vers les membres, les collectivités et leurs
intérêts.
Par ailleurs, en raison du processus de fusion des caisses
déclenché il y a près de 15 ans, de plus en plus de voix
ont commencé à remettre en question l'identité
coopérative du Mouvement Desjardins (La Presse Canadienne, 2011). Selon
M. Vallières, professeur d'histoire à l'Université Laval,
ces regroupements ont coïncidé avec un changement de culture.
Autrement dit, tant que les initiateurs du mouvement étaient
présents dans les communautés rurales, villages et petites villes
où il y avait encore des caisses, cela assurait le maintien des valeurs.
Cependant, lorsque ces derniers ont pris leur retraite et ont été
remplacés par des spécialistes en administration et
économie, la philosophie a changé. Selon Jean Roy, professeur en
finance à HEC Montréal, ces changements ont modifié le
rapport qu'entretiennent les membres avec leur caisse (La Presse Canadienne,
2011).
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