La gestion systémique de la crise
financière internationale de 2008 Le cas de deux banques
coopératives
Par
Nabila Ouchene
Sciences de la gestion
(Affaires internationales)
Mémoire présenté en vue de
l'obtention du grade de maîtrise ès sciences
(M.Sc.)
Août 2015
(c) Nabila Ouchene, 2015
II
Sommaire
La crise financière internationale de 2007-2008 a
été un évènement marquant du XXIe siècle et
considérée comme étant une crise aussi grave que celle de
1929. Une crise systémique provoquée en partie par l'industrie
financière elle-même et le système bancaire principalement
des États-Unis. Celle-ci a plongé l'économie mondiale dans
une récession et qui pour certains, a pris en otage des systèmes
socio-économiques, des pays, des gouvernements, des entreprises, mais
avant tout des personnes. Cependant, la crise n'est pas juste une
épreuve ou une fin. L'idéogramme chinois pour crise signifie
à la fois danger et chance. La sagesse orientale reflète bien la
double nature de la crise qui est à la fois la menace et le potentiel.
La crise financière a révélé beaucoup de choses et
a fait couler bien d'encre depuis 2008 sur l'industrie financière et ses
pratiques parfois hautement risquées et destructrices.
C'est dans le contexte de la crise financière
internationale 2007-2008 que nous avons choisi d'explorer les
conséquences de la crise, la gestion de crises et l'éthique
coopérative dans les organisations que sont les banques
coopératives. En se fondant sur une méthodologie d'étude
de cas comparative, nous avons étudié deux banques
coopératives : le Crédit Agricole (France) et le Mouvement
Desjardins (Canada). En utilisant une revue de presse de chaque cas et des
données financières, nous avons exploré l'impact de la
crise financière sur ces deux banques coopératives, leur
performance financière et leur capacité de gestion de crise
pendant et après la crise. Pour cela, nous avons utilisé un
modèle de gestion de crise, dit le modèle de l'oignon
(Pauchant et Mitroff, 2001), qui englobe quatre niveaux organisationnels
(individu, culture, structure, stratégie/politique). En second lieu,
nous avons également présenté le modèle
l'éthique coopérative de ces banques (Vendrame, 2006).
Ces deux banques coopératives ont un modèle
organisationnel sensiblement différent de l'industrie bancaire car il
favorise la stabilité financière et le développement
durable, tout en prenant en considération l'ensemble des parties
prenantes de son environnement. De plus, de manière
générale, les coopératives financières ont mieux
résisté à la crise financière et ont
émergé comme modèle organisationnel alternatif. C'est
principalement pour ces raisons que nous avons choisi le Crédit Agricole
et le Mouvement Desjardins car elles ont mieux résisté à
la crise financière comparé aux banques dîtes commerciales
ou d'affaires et présentent des caractéristiques
organisationnelles plus ou moins similaires.
Cette étude a donc un double objectif qui vise à
explorer la crise financière internationale 2007-2008 et ses
conséquences sur les deux banques coopératives
sélectionnées en raison de leurs similitudes managériales,
leur internationalisation à différent degré, et leur
modèle organisationnel qui a mieux résisté à la
crise financière. L'autre objectif est de comparer la capacité de
gestion de crise systémique (selon un modèle fondé sur
quatre
III
niveaux de l'individu, culture, structure et stratégie)
de ces deux banques dans le contexte de la crise financière
internationale 2008. L'étude de ces deux cas illustre la
complexité systémique de ce contexte international et
suggère d'autres approches d'analyse de nature interdisciplinaire afin
de les appliquer à l'industrie financière et ses institutions.
L'exploration de l'impact de la crise financière sur
ces deux banques coopératives a révélé des
éléments essentiels quant à leur gouvernance et
l'évolution de leur modèle organisationnel. La culture
coopérative, dont la mission est centrée sur les membres et la
collectivité de la coopérative, a été
altérée par la stratégie d'internationalisation dans le
cas du Crédit Agricole et par la stratégie de diversification des
produits financiers dans le cas de Desjardins. La crise financière
internationale 2008 a affecté non seulement la performance
financière de ces deux banques en général, mais s'est
également répercutée sur l'ensemble de leur environnement
à l'échelle locale. Toute fois, il s'est avéré que
le Mouvement Desjardins a moins été affecté par la crise
financière que le Crédit Agricole en raison de facteurs
principalement structurels et individuels. En effet, comme nous le verrons plus
en détail, le Mouvement Desjardins a pu limiter les pertes
financières beaucoup plus que le Crédit Agricole en raison
principalement de sa structure coopérative qui a maintenu des
activités bancaires de dépôt séparées de
toute entité financière ou d'affaires contrairement au
Crédit Agricole. L'autre facteur ayant joué en la faveur de la
banque coopérative Desjardins est qu'elle ne s'est pas autant
internationalisée stratégiquement sur le marché financier
comme ce fut le cas du Crédit Agricole.
Mots clés : gestion de crises, finance
internationale, banques coopératives, éthique
coopérative.
iv
Remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes, amis et
professeurs, qui m'ont encouragé et soutenu durant la réalisation
de ce mémoire et m'ont épaulé pendant mes
études.
Tout d'abord, j'aimerai remercier M. Thierry Pauchant, mon
directeur de mémoire, pour son soutien, son expertise, sa patience et
surtout pour m'avoir guidé durant cette importante étape de la
maîtrise qu'est le mémoire.
Ensuite, je souhaite remercier le Centre d'études
Desjardins en gestion des coopératives de services financiers de HEC
Montréal pour l'accès à la base de données de
l'Observatoire international des coopératives de services financiers, et
à l'occasion M. Jean Roy.
Enfin, je remercie ma famille pour leur soutien et
encouragements, en particulier mon père, depuis le début
jusqu'à la fin. Merci encore une fois.
V
TABLE DES MATIÈRES
Sommaire ii
Remerciements iv
Liste des tableaux vii
Liste des figures viii
Introduction 1
Chapitre 1 : Revue de littérature 10
1.1 La gouvernance corporative 10
1.1.1 La gouvernance corporative 10
1.1.2 La gouvernance coopérative 12
1.2 La finance de marché 14
1.2.1 Historique de la finance 14
1.2.2 Définition et enjeux de la finance 16
1.3 La crise financière internationale de 2007-2008 19
1.4 La gestion de crises 25
1.4.1 Les causes potentielles des crises et mécanismes de
défense 27
1.4.2 Les formes des crises et conséquences potentielles
29
1.4.3 Plans et stratégies de gestion de crises 31
1.5 Les banques coopératives 32
1.5.1 Racines historiques 33
1.5.2 Caractéristiques et avantages 34
1.5.3 Contexte et état des lieux 36
1.5.4 De l'éthique coopérative 38
Chapitre 2 : Méthodologie de la recherche
40
2.1 Présentation des cas d'études 41
2.2 Sources des données et codification 43
2.3 Cadre Conceptuel 45
2.4 Modèle organisationnel de la gestion de crise 47
2.4.1 Niveau 1 : caractère des individus au sein de
l'organisation et mécanismes de défense 49
2.4.2 Niveau 2 : culture organisationnelle, croyances et
rationalisations 51
2.4.3 Niveau 3 : structure organisationnelle : infrastructure
consacrée à la gestion de crise 55
2.4.4 Niveau 4 : stratégie organisationnelle : plans,
mécanismes et procédures de gestion de crises 56
2.5 Modèle organisationnel de l'évolution
éthique coopérative 57
vi
Chapitre 3 : Analyse des cas Crédit Agricole vs
Desjardins 61
3.1 Le Groupe Crédit Agricole 61
3.1.1 Historique du Groupe Crédit Agricole 61
3.1.2 La gestion de crise du Crédit agricole 63
3.2 Le Mouvement des Caisses Desjardins 69
3.2.1 Historique du Mouvement Desjardins 69
3.2.2 La gestion de crise de Desjardins 72
Chapitre 4 : Discussion des résultats et
conclusion 80
4.1 Le Crédit agricole et la gestion de crises 80
4.2 Le Mouvement Desjardins et la gestion de crises 86
4.3 Le Crédit Agricole versus le Mouvement Desjardins en
gestion de crise 94
Conclusion 104
Bibliographie 111
Filmographie 123
Annexes 124
Annexe 1 : Indicateurs: Chômage, croissance
économique, production industrielle et dette publique avant et
après la crise financière 2008 124
Annexe 2 : Liste des sources de données 128
Annexe 3 : Mécanismes de défense et
stratégies de gestion de crises systémiques 132
Annexe 4 : Trente-deux rationalisations dangereuses. 133
Annexe 5 : Une vision systémique du design organisationnel
134
Annexe 6 : Entretien radio de George Pauget PDG Crédit
Agricole 134
Annexe 7 : Entretien de Monique Leroux PDG du Mouvement
Desjardins 137
Annexe 8 : la structure organisationnelle du Groupe Crédit
Agricole 139
Annexe 9 : Organigramme Crédit Agricole SA 2003-2014
140
Annexe 10 : Données financières du Crédit
Agricole et Mouvement Desjardins 2005-2011 141
Annexe 11 : Organigramme du Mouvement des caisses Desjardins
145
Notes de fin de document 146
VII
Liste des tableaux
Tableau 1 : Informations institutionnelles du Groupe
Crédit Agricole et Mouvement Desjardins. 42
Tableau 2 : Recherche, sélection et codification des
données. 44
Tableau 3 : Mécanismes de désengagement moral
selon trois cas 52
Tableau 4 : Synthèse de la gestion de crise selon les
quatre niveaux du modèle de l'oignon. 94
Tableau 5 : Liste des sources de données (articles)
128
Tableau 6 : Les mécanismes systémiques et
stratégies systémiques suggérées 132
Tableau 7 : Les trente deux rationalisations de la culture
organisationnelle 133
Tableau 8 : Données financières du Crédit
Agricole. 141
Tableau 9 : Données financières du Mouvement
Desjardins. 143
VIII
Liste des figures
Figure 1: « Masters of the eurozone ». 21
Figure 2 : « Les différents types de crises
organisationnelles ». 30
Figure 3 : Cadre conceptuel. 47
Figure 4 : « Le modèle de l'oignon en gestion de
crise » 49
Figure 5 : « Auto-diagnostique éthique des
coopératives » 58
Figure 6 : «Tendances et prévisions du
chômage mondial, 2003-2018 ». 124
Figure 7 : « Écart global chômage, 2014-2019
» 125
Figure 8 : « Évolution annuelle du chômage
mondial et de la croissance du PIB, 2000-2018 ». 125
Figure 9 : «Croissance mondiale et ses composantes »
126
Figure 10 : «Évolution de la croissance mondial du
PIB, tendances et prévisions, 2013 et 2014» 126
Figure 11 : « Commerce mondial de marchandises »
127
Figure 12 : « Volume de la production industrielle
mondiale » 127
Figure 13 : « Dette publique mondiale actuelle
». 128
Figure 14 : « Une vision systémique du design
organisationnel ». 134
Figure 15: La structure organisationnelle du Groupe
Crédit Agricole (2013). 139
Figure 16 : Structure mutualiste versus structure bancaire
(2014) 139
Figure 17 : Organigramme Crédit Agricole SA 2003 140
Figure 18 : Organigramme Crédit Agricole SA 2007 140
Figure 19 : Organisation du Mouvement Desjardins. 145
1
Introduction
Les évènements de la crise financière
internationale de 2008, déclenchée suite à la crise des
subprimes1 de 2007, ont démontré qu'il y
avait des failles au niveau du système financier international,
principalement en provenance de l'industrie financière des
États-Unis. Ainsi, le bilan de la crise financière internationale
de 2008 s'élève à 422 milliards de dollars É.-U. de
pertes mondiales liées à la crise des subprimes venant
des États-Unis, dont 90 milliards de dollars É.-U. pour les seuls
établissements financiers américains selon l'OCDE (Organisation
de coopération et de développement économiques)
en avril 2008 (Le Monde et AFP, 2008). Le FMI a publié
également en avril 2008, une estimation chiffrée des pertes
liées à la crise globale dont le coût s'établit
autour de 945 milliards de dollars É.-U. générés
par l'exposition des banques au secteur des subprimes (Le Monde et
AFP, 2008). En 2009, le FMI estimait à 2 200 milliards de dollars
É.-U. le montant des pertes totales des banques dans le monde suite
à la crise financière de 2008 (Guinot, 2009). À la fin de
l'année 2013, les pertes de la production mondiale découlant de
la crise se chiffraient à 10 milliards de dollars É.-U., ce qui
équivaut à près de 15 % du PIB mondial et la suppression
de 60 millions d'emplois dans le monde (Poloz, 2014).
La capitalisation boursière mondiale est passée
de 62 747 milliards de dollars É.-U. fin 2007 à 32 575 milliards
de dollars É.-U. fin 2008, soit une chute de 50 % représentant
une perte de 30 000 milliards de dollars É.-U. (Kraft, 2009).
Concrètement, ces pertes, inconcevables dans l'économie
réelle, sont le résultat de la perte de confiance entre les
institutions financières, ou bien le coût de la défiance,
dû aux anticipations du marché, comparé à la valeur
réelle des choses (Kraft, 2009). Les conséquences de cette perte
de contrôle et l'instabilité engendrées sur le
marché financier, à travers la perte boursière globale (30
000 milliards de dollars É.-U. dans le monde) de la crise
financière, se sont particulièrement répercutées
sur les particuliers, les riches propriétaires ainsi que les modestes
épargnants et ce partout dans le monde. Les retraités aux
États-Unis par exemple, dont le système de retraite fonctionne
par capitalisation, ont perdu environ 30 % de leur patrimoine et voire 50 % en
revenus mensuels basés sur ce patrimoine (Kraft, 2009).
Aux États-Unis également, des millions de
ménages ont perdu leurs foyers et ont été expulsés
(3,3 millions au total de saisies de propriétés officiellement
déclarés) suite à l'éclatement de la bulle
immobilière qui a aboutit à la crise des subprimes en
2007 (Bernard, 2012). En outre, en vue d'éviter une baisse de la
consommation qui risquait d'accélérer la récession, les
États-Unis, le Japon, la Chine et les pays européens ont dû
mettre en place des plans de relance qui ont augmenté encore plus
l'endettement public sur le PIB. Ainsi, au total, plus de 2 800 milliards de
dollars ont été déclarés en plans de relance sur
deux ans pour l'ensemble de ces pays (Le Monde, 2009 (c)). Les pays
développés ont la capacité et le levier de financement
pour mettre en place des plans de
2
relance et s'endetter, ce qui n'est pas le cas des pays en
voie de développement, qui ont également été
touchés par la crise financière et la récession
économique mondiale. L'aide publique au développement est faible
dans ces pays et se chiffre à une centaine de milliards de dollars tout
au plus. C'est la raison pour laquelle le président de la Banque
mondiale, Robert Zoellick, avait proposé dans une tribune publiée
le 22 janvier 2009 par le New York Times, que 0,7 % des plans de relance soit
affecté à un fonds en faveur des pays vulnérables à
la crise en déclarant que « les gens des pays pauvres en
Afrique ne devraient pas payer pour une crise née en Amérique
» (Le Monde, 2009 (c), p. 1).
La crise financière a ainsi révélé
des failles et limites du système financier international. Pertes
financières, perte d'emplois, saisies de foyers, augmentation de
l'endettement public et des particuliers, réduction du patrimoine et de
l'épargne, augmentation du nombre de faillites d'entreprises,
augmentation du chômage et de la pauvreté, ces conséquences
traduisent une récession économique touchant des millions de
personnes de part et d'autre du monde depuis 2008 jusqu'à aujourd'hui.
L'ILO (International Labour Organization ou Organisation
internationale du Travail) a établi que près de 201 millions de
personnes étaient au chômage en 2014 dans le monde, soit une
augmentation de 31 millions de plus avant le début de la crise
financière en 2008 (ILO, 2015). En 2014, l'écart du chômage
mondial, qui mesure le nombre d'emplois perdus depuis le début de la
crise, est actuellement à 61 millions d'emplois (ILO, 2014). L'ILO
(2015) conclut, dans son rapport de 2015, que le chômage mondial
continuera d'augmenter les cinq prochaines années, et que si cette
tendance se poursuit durant ces cinq années, il faudra que 280 millions
d'emplois soient crées d'ici 2019 afin de réduire l'écart
du chômage causé par la crise. Les figures 6 à 8 à
l'Annexe 1 (ILO, 2014) montrent l'évolution du chômage avant,
pendant et après la crise financière. La production industrielle
a également été affectée par la crise
financière 2008, ce qui a entraîné une baisse au niveau de
l'indice de production industrielle mondiale en général entre
2008 et 2009. Depuis, la production industrielle et la croissance mondiale
peinent à se relever, en particulier dans les pays
développés, tel que nous pouvons le constater aux figures 9
à 12 (ILO, 2014; CPB, 2015) présentés à l'Annexe 1.
De même que pour l'endettement public, ce dernier a
considérablement augmenté depuis la crise financière de
2008. Ainsi, approximativement, la dette publique globale dans le monde
était de 29 mille milliards dollars É.-U. en 2007 et de 53 mille
milliards dollars É.-U. en 2014 (The Economist, 2015). La
figure 13 de l'Annexe 1, intitulée «The global debt clock
» mesure la dette publique mondiale et par pays (2004-2015) en temps
réel (The Economist, 2015).
C'est dans ce contexte de crise systémique
financière internationale que s'inscrit notre étude. Nous allons
appliquer des approches exploratoires différentes issues du management,
notamment la gestion de crise et l'éthique, spécifiquement la
gouvernance éthique coopérative. Nous allons tenter
d'évaluer l'impact des facteurs issus du modèle de l'oignon
(individus, culture, structure et stratégie) en gestion de crise
des institutions
3
financières coopératives et leur performance
dans le contexte de la crise financière internationale 2008. Nous avons
choisi les banques coopératives en tant qu'institutions
financières comme cas d'étude et de recherche car elles sont
sensiblement différentes des banques commerciales et d'affaires comme
nous le verrons ultérieurement. Elles différent de par leur
modèle d'affaire et les fondements de leur modèle organisationnel
que nous exposerons à la revue de littérature. En effet, elles
représentent un cas particulier qui mérite un approfondissement,
en raison de leur efficacité démontrée dans une
conjoncture de crise financière difficile pour l'ensemble des
institutions financières au monde (Sammae, 2011).
Les deux cas d'étude de banques coopératives
sont le Crédit Agricole (France) et le Mouvement Desjardins
(Québec, Canada). L'étude de cas est fondée sur une
méthodologie de recherche principalement qualitative qui nous permettra
d'explorer en comparant, les processus de gestion de crise et l'éthique
coopérative de ces deux banques dans le contexte de la crise
financière internationale 2008. Il s'agit également d'analyser
l'impact des conséquences de la crise financière de 2008 et la
gestion systémique de la crise sur la performance financière de
ces deux banques les cinq années suivant la crise. Le principal objectif
de cette recherche est donc une comparaison entre ces deux banques
coopératives fondée sur des critères organisationnels et
stratégiques de type international et non sur une comparaison culturelle
entre la France et le Québec.
Le Crédit Agricole et le Mouvement Desjardins sont
toutes les deux des banques ayant un modèle organisationnel
coopératif, sont à peu près de la même taille en
termes de nombre de sociétaires. Elles ont également une
structure et culture hybride qui allie le coopératif et le bancaire
commercial. Elles ont été toutes les deux fondées entre la
fin du XIXe et le début du XXe siècle et dans un milieu
historiquement francophone. Nous décrierons plus en détail ces
deux institutions financières au chapitre 3. Nous avons choisi ces deux
banques coopératives afin de comparer leur processus de gestion
systémique de crise car elles sont relativement similaires en terme
managérial, se sont internationalisées mais à un
degré variable, et ont évolué dans une culture
coopérative historiquement francophone. Toutefois, en dépit de
leurs caractéristiques communes, Desjardins a été beaucoup
moins affecté que le Crédit Agricole au lendemain de la crise
financière, et c'est également pour cette raison que nous avons
choisi d'explorer ces deux cas. Le but est d'identifier et comparer les
éléments ou mécanismes du processus de gestion de crise
(sur la base du modèle organisationnel, dit de l'oignon
(Pauchant et Mitroff, 2001), composé de quatre niveaux que sont
individus, culture, structure, et stratégie et qui ont permis à
Desjardins de mieux parer à la crise financière que le
Crédit Agricole. En se fondant sur ce modèle de gestion de
crises, nous explorerons également l'évolution de
l'éthique coopérative (Vendrame, 2006). Sur le plan
international, en explorant les causes et conséquences de la crise
financière internationale 2008, l'objectif est de comparer, en
parallèle à la gestion de crise, le degré
d'internationalisation de chacune de ces deux banques et l'impact de leur
exposition à la crise internationale sur leur performance
financière et organisationnelle.
4
Il est important de souligner que les crises ne sont pas
seulement négatives mais comportent aussi des aspects positifs. En
effet, l'avantage paradoxal de l'émergence d'une crise, est
révélateur et permet de mieux percevoir ce qui était
précédemment moins visible, moins transparent. « [...]
l'étude des crises est particulièrement instructive pour
toute personne intéressée par le comportement organisationnel et
ses effets sur nous-mêmes, nos communautés, notre
société et notre fragile planète » (Pauchant et
Mitroff, 2001, p. 21). Cependant, la crise est par nature un terrain
d'ambiguïté car il n'y a pas de réponse unique toute faite :
c'est un domaine d'étude en constante évolution et ne peut
à aucun moment disparaître (Lagadec, 1991). De plus, selon
Roux-Dufort (2000), dans des sociétés où les crises
prolifèrent et deviennent courantes dans la gestion des affaires et sont
amplifiées par les technologies de l'information et communication, les
entreprises auraient davantage à capitaliser sur elles-mêmes pour
engager des changements et transformations dans leur mode de gestion. Nous
voyons donc la crise comme une opportunité d'investigation,
d'apprentissage et de changement pour les personnes et organisations. Ainsi,
c'est dans ce raisonnement exploratoire, qu'est ancrée toute
notre démarche d'étude des mécanismes de la gestion
systémique de crises et de l'éthique coopérative, au
niveau de deux banques coopératives dans le contexte de la crise
financière internationale 2007-2008.
Spécifiquement, le but de ce mémoire est
d'explorer la dimension comportementale organisationnelle et humaine en se
fondant sur la gestion systémique de crises et l'éthique
coopérative. Ceci, en s'appuyant sur le contexte de la crise
financière internationale 2008 et le modèle organisationnel des
banques coopératives. En effet, la gestion d'opérations
financières est décidée et exécutée par des
personnes, qui sont assujetties à leur psychologie, leur
personnalité, leurs systèmes de valeurs, leurs
intérêts, leur culture et à leur nature humaine complexe.
En outre, des facteurs exogènes (technologiques, institutionnels,
macroéconomiques, juridiques etc.) contribuent également à
complexifier le système financier international et les mécanismes
de génération de profits dans l'industrie financière.
Les pratiques financières complexes et
technologiquement sophistiquées, issues du marché des produits
financiers dérivés, sont appliquées par des individus. Or
ces derniers sont animés par des idées reçues, des
valeurs, des pensées, des jugements, des traits psychologiques et
surtout des intérêts personnels. Pour certains auteurs, que nous
verrons, les facteurs intrinsèques tels que la culture organisationnelle
et les mentalités des individus jouent un rôle considérable
et façonnent la culture, non seulement au niveau organisationnel mais
aussi industriel. Ainsi, il serait intéressant d'explorer les dimensions
socio-humaines et organisationnelles de la crise financière et ses
conséquences sur les deux cas de banques coopératives. Susan
Webber2, Ex-employée de Goldman Sachs, décrit le
marché financier américain dans un entretien vidéo
(Léon, 20113) :
5
« Dans les années 80 et 90, il s'est
passé deux choses : premièrement, le marché du
crédit est devenu plus important et plus risqué, mais aussi plus
rentable; deuxièmement, le marché des produits financiers
dérivés s'est développé. Or, il est très peu
réglementé, et c'est devenu un énorme marché durant
les années 90. Le fait est que ces deux domaines de la finance soient
aussi rentables et si peu régulés, ont gagné soudain
beaucoup d'argent, [et] a donné une place beaucoup plus importante aux
traders. Or les traders sont des prédateurs. Le but des traders c'est de
prendre aux autres tout ce qu'ils peuvent, ils fonctionnent selon la loi de la
jungle [...] Et comme ces gens prenaient du pouvoir chez Goldman Sachs, leur
mentalité est devenue prédominante. Les traders traitaient les
gens du département banque d'affaires de « socialistes » parce
qu'ils étaient payés par équipe! Tout marche à
l'envers, la finance est censée servir les entreprises,
soutenir l'industrie, aider l'économie à se développer,
donc elle ne devrait pas prélever trop d'argent, sinon ce n'est pas un
soutien, elle devient un parasite. Et le deuxième problème, c'est
qu'il est beaucoup plus rentable de détruire l'économie que de la
soutenir» (Léon, 2011).
Il est donc essentiel de reconnaître et prendre en
considération la dimension humaine dans la gestion des activités
financières, et en particulier, les caractères inhérents
à la nature humaine, que sont l'intérêt personnel et
l'auto-préservation. Ces deux caractéristiques psychologiques
sont nécessaires pour tout être humain en vue de se
prémunir contre les agressions extérieures mais également
de se créer une situation qui lui est « avantageuse », non
seulement pour lui-même, mais aussi pour son proche entourage (Carey,
2013). Au XVIIIe siècle, Adam Smith avait déjà
relevé l'importance du rôle de l'intérêt personnel
des acteurs qui interagissaient sur le marché économique (Carey,
2009). En effet, selon Smith, c'est tout à fait naturel que chacun(e)
« soit profondément intéressé(e) par tout ce qui
concerne immédiatement le soi-même » (Carey, 2009, p. 3,
notre traduction) que par ce qui pourrait concerner d'autres personnes. En
l'occurrence, après le « soi-même »,
l'intérêt personnel décroit d'intensité à
mesure que cela concerne la famille, puis les amis, le voisinage, la nation et
finalement le monde entier (Carey, 2009).
En d'autres termes, si nous appliquions cette réflexion
aux acteurs interagissant sur le marché financier et qui manipulent de
nombreuses opérations financières, cela reviendrait à
intégrer fondamentalement le principe de l'intérêt
personnel qui est inné aux êtres humains. Autrement dit, les
acteurs financiers ou même des particuliers sont fondamentalement
animés par l'intérêt personnel. Ce facteur pourrait ainsi
influer significativement
6
(positivement ou négativement) sur leur morale, leurs
principes, leur motivation à prendre des risques et leur rapport
à des actions de nature frauduleuse. D'où, Adam Smith, a
conceptualisé le rôle majeur de l'intérêt personnel
au niveau des rapports entre les acteurs du marché dans la
création de richesse, mais aussi la possibilité d'actes menant
à l'injustice par des délits de fraude ou d'abus de confiance par
exemple. Il préconisa donc que la régie des forces du
marché, découlant de l'interaction des intérêts
personnels entre les acteurs économiques, devait être soumise
à la protection par la loi, mais tout en garantissant la liberté
(Carey, 2009). Ainsi, pour Smith, l'intérêt personnel est :
« La constante uniforme et l'effort ininterrompu de
chaque homme pour améliorer sa condition [...] Le principe par lequel la
richesse publique et nationale, ainsi que privée est originellement
stimulée [en étant] protégé par la loi et permis
par la liberté afin de se développer de manière à
être la plus avantageuse [...] » (Carey, 2009, p. 3, notre
traduction).
En explorant la dimension humaine et comportementale de
l'industrie financière dans le contexte de la crise financière et
de ses liens étroits avec le management, cela pourrait suggérer
l'influence de cette dimension sur les pratiques financières dans les
institutions financières en général et
spécifiquement dans les deux banques coopératives
étudiées. La crise financière de 2008 a mené
inévitablement à l'aube du XXIe siècle à la remise
en question du système financier et à l'émergence de
notions de responsabilité sociale, de l'éthique financière
et la relance du débat sur la régulation des marchés dans
l'industrie financière : par exemple la réinstauration du
Glass-Steagall Act4 aux États-Unis. Cet acte
juridique, instauré en 1933 et abrogé en 1999 durant la
présidence de Bill Clinton, établissait une séparation
entre les activités des banques commerciales (récoltant les
dépôts financiers et accordant des prêts aux particuliers et
entreprises) et celles des banques d'investissement (spéculant et
structurant les opérations et financement de marché). Cependant,
au-delà des pratiques financières douteuses des banquiers,
courtiers et traders, la source de la crise se situe également dans le
système de gouvernance économique et financier lui-même.
C'est un système porteur de crises dont la crise financière de
2008, devenue par la suite une crise économique, a exposé la
sous-évaluation fondamentale du risque au début des années
2000 des principaux acteurs du marché financier, notamment les
institutions financières, les investisseurs, les régulateurs, les
banques centrales et les agences de notation (Bricongne et al, 2009).
La crise a également révélé un
système où l'économie réelle a été
peu à peu recalée au profit d'une financiarisation de
l'économie de marché. Selon certains auteurs tels que nous le
verrons, cette financiarisation de l'économie dominée par
l'industrie financière est en partie la conséquence de politiques
de déréglementations, de libéralisations et politiques
monétaires à partir des années 1980, principalement aux
États-Unis et au Royaume-
7
Uni. Or l'essence et la nature même de la finance en
font à l'origine le mécanisme et le support de la création
de richesse et l'emploi, et ce pour développer et maintenir la
croissance de l'économie réelle. Il est prouvé qu'un
système financier fonctionnel est essentiel pour le bon fonctionnement
de l'économie et dans l'histoire de la finance, l'innovation
financière a joué un rôle important dans la croissance
économique (Stiglitz, 2010). Cependant, cette financiarisation de
l'économie est aussi en partie, selon certains auteurs, le
résultat d'une vision scientifique de l'économie et tendrait plus
vers la finance (Fourcade, Ollion et Algan, 2014; Naim, 2015; Zingales, 2015;
Cecchetti et Kharroubi, 2015; Taylor, 2015).
« [En 2005] The Journal of Economic Perspectives
révèle que 77% des doctorants en économie inscrits dans
les plus prestigieuses universités américaines pensent que «
l'économie est la science sociale la plus scientifique ». Pourtant,
seuls 9% des sondés estiment qu'il existe un consensus s'agissant des
réponses à apporter aux questions fondamentales posées par
les sciences économiques » (Naim, 2015, p. 1).
L'objectif de l'étude est donc de comparer les
conséquences de la crise financière sur les deux banques
coopératives choisies qui ont mieux résisté à la
crise comparé aux autres institutions financières, mais qui ont
tout de même été affectées à un degré
différent. En effet, le Mouvement Desjardins s'est plus rapidement
rétabli de la crise financière et a pu limiter
considérablement les pertes comparé au Crédit Agricole
comme nous le verrons. Ce degré de différence entre ces deux
banques, lié à l'impact de la crise financière, sera
exploré selon approches : managériale via la gestion de crise et
l'éthique coopérative; internationale en analysant les
conséquences de leur exposition internationale à la crise
financière de 2007- 2008; et enfin une approche financière via
les impacts financiers de la crise sur leurs résultats. Il ne s'agit pas
seulement d'explorer ces mécanismes et leurs conséquences, mais
aussi de tenter d'appliquer des approches analytiques différentes sur le
domaine de la finance, autrement que par les préceptes, théories
et applications financières.
C'est donc en cela la contribution de cette étude.
Autrement dit, il s'agit de démontrer au niveau organisationnel et
comportemental humain, que pour prévenir les crises et maintenir la
performance financière, une gestion maîtrisée et
responsable des pratiques financières et des risques financiers et
technologiques est également nécessaire et primordiale. Nous
pensons que cette approche fondée sur la gestion de crises et
l'éthique coopérative peut contribuer à une meilleure
gestion d'organisations que sont les banques coopératives choisies, dans
un contexte international. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'écarter ou
de discréditer les approches scientifiques de l'économie et la
finance jusque là dominantes dans l'industrie financière, mais
simplement mettre davantage l'emphase sur une approche comportementale
organisationnelle et humaine des gestionnaires et dirigeants dans
8
les coopératives financières. En effet, le FMI,
la Banque mondiale et le Forum de Davos concordent leur conclusions sur le fait
que les changements effectués depuis l'émergence de la crise
financière de 2007-2008 demeurent insuffisants (IMF, 2014; WEF, 2013;
Mussa, 2009). Notamment, il reste beaucoup à faire au niveau de
l'infrastructure, de la réglementation, la culture et de
l'éthique (Pauchant et Franco, 2014).
C'est la raison pour laquelle nous avons choisi comme
modèle organisationnel et d'étude les banques
coopératives. De par leurs fondements, elles détiennent une
certaine capacité organisationnelle à atteindre plus ou moins cet
équilibre entre une génération de profits à partir
d'opérations bancaires et financières et une gestion responsable
et prévenante axée sur les personnes et la prise en
considération de l'ensemble des parties prenantes. Cette approche
managériale reconnaît que des organisations telles que les
institutions financières ne sont pas des entités
gérées par des dirigeants et gestionnaires uniquement rationnels
car « Diriger ou gérer, c'est essentiellement porter des
jugements de valeur, peu importe le milieu organisationnel»
(Béland, 2007, p. 397).
Enfin, comme nous le verrons par la suite, l'approche
interdisciplinaire, dans un contexte systémique international tel que la
crise financière de 2008 englobant différentes dimensions
inter-reliées (économique, politique, historique,
organisationnelle, financière, socio-humaine, culturelle, technologique
etc.), permet d'avoir une vision globale ou systémique et non
fragmentée de la problématique. En effet, selon Lagadec (1991),
l'étude de crise systémique nécessite des investissements
théoriques de plus grande ampleur pour se rapprocher d'une
synthèse solide :
« Il s'agit en effet de reprendre nombre de
disciplines ou approches théoriques (science politique, science de la
décision, science administrative, théorie des organisations,
psychologie, sociologie, psycho-sociologie, droit, ergonomie mentale, sciences
cognitives etc.) pour voir ce qu'elles peuvent dire des situations limites,
comment elles peuvent fonctionner ensemble sur ce terrain qui échappe
à toute approche partielle, comment aussi elles peuvent oeuvrer, chacune
pour elle-même et dans l'ensemble, dans l'urgence » (Lagadec, 1991,
p. 16).
C'est pour cette raison que nous allons tenter d'appliquer
à cette recherche des dimensions managériale, socio-humaine,
internationale et financière, et ce tout en prenant en
considération que la discipline des affaires internationales permet
justement de développer une vision globale et polyvalente en explorant
différentes disciplines.
9
Notre problématique de recherche
étant comme suit : Dans le contexte de la crise
financière internationale de 2007-2008, quels sont les facteurs du
modèle de la gestion de crise (individus, culture, structure,
stratégie) et l'éthique coopérative qui ont permis au
Mouvement Desjardins de mieux gérer la crise financière
comparé au Crédit Agricole?
Nous allons traiter de la problématique ci-dessus selon
les quatre chapitres suivants : la revue de littérature (chap. 1); la
méthodologie de recherche et cadre conceptuel (chap. 2); l'analyse de
données (chap. 3) ; la discussion des résultats (chap. 4) et
enfin la conclusion.
La gouvernance est définie, selon la notion classique,
comme étant « un ensemble des mécanismes internes et
externes, qui servent à aligner les intérêts des dirigeants
aux intérêts des actionnaires et des autres parties
10
|