VI.1.2. L'importance de la monnaie
L'évolution de la société modifie les
priorités de ses membres. L'affirmation de LEIF et RUSTIN nous semble
importante à ce propos : « nous appartenons à une
nation, mais aussi à beaucoup de sous-groupes de cette nation, et nous
appartenons également à la civilisation occidentale et à
l'humanité »63. L'argent devient un
63 LEIF, RUSTIN (1970), op.cit., p.132
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facteur déterminant de cette modification. L'entraide
sociale ne résout plus grand-chose, en ce qui concerne les besoins
fondamentaux. Dès l'accouchement de l'enfant, les parents
déboursent de l'argent pour la maternité, les vêtements. A
l'âge de 6 ans, ils doivent inscrire leur enfant à l'école
primaire publique et payer des frais de scolarité, des articles et
fournitures scolaires. Dans certains cas, avec la framisation64
des écoles publiques, les charges parentales pourraient augmenter
au cours de l'année scolaire. Ensuite, à la fin du primaire, si
les parents décident de poursuivre les études de leur enfant, ils
devront encore, outre les frais de scolarité et la participation
parentale aux enseignants-FRAM, se préparer au frais de loyer mensuel.
Le village de Rantolava ne dispose que d'un enseignement primaire. Pour les
études secondaires, les élèves doivent étudier au
chef-lieu de la Commune (5 km à pied) ou au chef-lieu du District (15 km
en vélo ou en moto).
Toute est alors question d'argent. Le fihavanana si
cher au betsimisaraka n'arrive plus à lui tout seul à
garantir le fonctionnement de la vie en société si on ne se
réfère qu'aux charges liées à l'éducation de
l'enfant. Or, nous ne pouvons non plus ne pas envoyer nos enfants à
l'école. Non seulement c'est un droit, mais c'est aussi une exigence
sociale.
VI.1.3. L'entraide et la cohésion sociale
Toutes les situations que nous avons évoquées
plus haut constituent des faits vécus dans la société.
D'ailleurs, comme l'affirment toujours Leif et Rustin, la société
est à la fois un fait et une valeur. Cette mutation de la
société se justifie par le proverbe : « Miasa tsy
mitamby haniña : miasa tsy hömaña, tsy
fataon'ôloño » (Travailler n'est pas demander de la
nourriture : travailler sans rien manger, ne se fait
64 Framisation : ce terme est né de la FRAM qui est une
association des parents d'élèves. Dans un grand nombre
d'établissements scolaires, les maîtres fonctionnaires
payés par le gouvernement ne sont pas suffisant. Cette situation oblige
la FRAM à recruter des maîtres suppléants dont elle prend
la charge.
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pas). Désormais, l'idée de travail contre
nourriture devient un concept nouveau de la société
betsimisaraka d'aujourd'hui. Ici, la nourriture ne doit pas être
considérée au sens propre du terme, il s'agit plutôt de
l'argent.
Mais comme Kant, nous partageons l'idée qu'il n'y a pas
chez l'homme de dispositions au mal. Le mal vient de ce que la nature n'est pas
réglée65. A Madagascar, on dit : « Ny kakazo
no vañon-ko lakaña, ny tany naniriàny no tsara »
(un arbre devient pirogue66, c'est parce que le sol où il a
poussé est bon). Le tambirô, le fandriaka comme
le lampoño demandent du temps. Imaginons si pendant une
semaine, on a laissé notre foyer pour travailler dans les champs de nos
semblables sans apporter de l'argent. Comment allons-nous couvrir les charges
financières du mois ? Comment allons-nous payer les frais de
scolarités de nos enfants ? L'argent devient une exigence fondamentale
dans le fonctionnement de la vie familiale. Si auparavant, l'argent ne servait
qu'à l'achat de vêtement, au frais de transport et, pour un petit
nombre de personnes, à l'achat des matériaux de construction, il
est actuellement présent à tous les pas à franchir. Une
précision s'impose par rapport à l'idée que nous venons
d'évoquer : un petit nombre de personnes. Il faut savoir qu'à
l'époque, les maisons étaient construites en matériaux
locaux, donc on n'avait pas besoin d'argent pour s'en procurer. Seules, les
personnes aisées construisaient des maisons dont les toits sont en
tôle ou des bâtiments en matériaux durs.
En plus, au village de Rantolava, nous avons
déjà indiqué que la plupart des habitants vivent de
l'agriculture et de la pêche. Ce ne sont pas des salariés, ils
gagnent de l'argent en fonction de leur quantité de poisson au
quotidien. A chaque fois qu'ils
65 KANT Emmanuel, De la pédagogie.
66 Généralement, les Betsimisaraka construisent
des pirogues en bois. Cependant, il faut un grand arbre pour la construire. Ce
proverbe signifie que le comportement d'un individu ou des membres d'une
société est le reflet de l'environnement où il a
vécu. Ici, le proverbe parle d'un résultat positif de
l'éducation, mais il peut également expliquer le contraire.
Autrement dit, si un arbre ne peut devenir une pirogue, c'est parce qu'il a
été mal poussé.
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laissent leurs activités quotidiennes au profit de
travail communautaire, un manque à gagner est constaté.
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