2. Cadre conceptuel et approches de la pauvreté
Malgré l'abondance des écrits, le concept de la
pauvreté reste globalement ambigu et imprécis. Il est ainsi
difficile à définir, à comprendre, à
caractériser et donc à mesurer. Il existe alors plusieurs
façons de définir la pauvreté qui conduisent à des
identifications différentes des pauvres.
La pauvreté fait généralement
référence à une situation, à un état
caractérisé par le non possession d'un certain nombre de
ressources et conditions élémentaires nécessaires à
un minimum de bien-être matériel, mais aussi social, culturel.
Dans le sens ou nous l'entendons, cette non possession ne fait
bien évidemment par référence aux renonciations
volontaires que sont les formes, principalement religieuses, de voeux de
pauvreté, mais est associé à l'absence subie ou contrainte
de ces ressources et conditions élémentaires, donnant lieu alors
à des expressions sous forme de manques ou de besoins
De façon générale, la pauvreté
correspond à une ou plusieurs situations jugées comme
"inacceptables" ou encore "injustes" sur les plans économique et
social. Cependant, la détermination de l'espace de
référence à considérer pour identifier ce type de
situations est problématique et est sujet à plusieurs
débats. Trois principales approches se distinguent à ce niveau.
Chacune considère son propre espace de référence. La
première retient ce que l'on appelle les ressources, la deuxième
ce qui est dit besoins de base, alors que la troisième considère
un sous ensemble de capacités identifiées comme étant des
"capacités de base".
Sur le plan méthodologique et empirique, l'approche des
ressources retient généralement une variable monétaire
(revenu ou dépense de consommation), puis fixe un seuil de
pauvreté pour identifier les individus pauvres. Cette approche tire ses
origines principalement de la microéconomie classique qui
considère que l'utilité (approchée par le revenu ou la
consommation) est l'élément clef dans le comportement et le
bien-être des individus.
Les approches multidimensionnelles, comme leur nom l'indique,
reposent sur plusieurs Indicateurs. Elles nécessitent des
procédures d'agrégation de ces derniers en un seul indicateur qui
résumerait l'information apportée par ces indicateurs de base
puis la détermination d'un seuil de pauvreté. Ces approches non
monétaires considèrent que le revenu (ou la dépense)
à lui seul n'est pas capable d'expliquer la situation de
pauvreté. Selon cette approche, les besoins des individus sont de
plusieurs ordres. La pauvreté est donc un phénomène
multidimensionnel qui ne peut se réduire au manque de ressources.
L'approche des besoins de base identifie plusieurs dimensions
et des ensembles de pauvres selon chacune de ces dimensions qu'elle combine,
d'une façon ou d'une autre, pour définir l'ensemble de la sous
population pauvre. Il s'agit en particulier de l'alimentation, du logement, de
l'accès à la santé, à l'éducation, à
l'assainissement, etc. Les partisans de l'approche des besoins de base
considèrent que la pauvreté doit être analysée dans
toutes ses dimensions. Un individu est pauvre s'il n'arrive pas à
satisfaire ses besoins fondamentaux essentiels. Autrement dit, un individu est
pauvre s'il est privé d'un ensemble de biens et services de base
jugés nécessaires pour atteindre une certaine qualité de
vie.
L'approche dite des capacités en matière
d'approche de la pauvreté est promue et préconisée par
Amartya Sen au cours des vingt dernières années. Elle s'appuie
principalement sur la théorie de la justice développée par
Rawls en 1715. Ce dernier critique l'approche utilitariste. Selon lui une
société qui respecte le principe de justice sociale procurerait
à ses membres une équité fondée sur un ensemble
d'éléments essentiels. Parmi ces éléments, Rawls
évoque ce qu'il appelle les biens premiers qu'il considère comme
étant « les biens utiles quel que soit le projet de vie rationnel
» (Audard, 1997). En d'autre termes « les biens que tout homme
rationnel est supposé désirer ». Rawls distingue, aussi les
biens premiers naturels et les biens premiers sociaux. Les premiers sont les
qualités innées dont disposent les individus, comme la
santé et vigueur, l'intelligence et l'imagination. Quant aux biens
premiers sociaux, ils sont « identifiés par la question de savoir
ce qui est généralement nécessaire, en termes de
conditions sociales et de moyens polyvalents, pour permettre aux citoyens,
tenus pour libres et égaux, de développer de manière
adéquate et d'exercer pleinement leurs deux facultés morales,
ainsi que de chercher à réaliser leur conception
déterminée du bien ».
Même si, à la base, cette approche n'est pas
orientée directement vers l'étude de la pauvreté, elle
fournit une base informationnelle et multidimensionnelle qui permet de proposer
une définition de la pauvreté concentrée
particulièrement sur les biens premiers sociaux.
Partant de cette théorie de la justice, Sen a
développé son approche des capacités. Sen a d'abord remis
en cause les autres approches de la pauvreté. Il précise que
celles-ci ignorent la notion de diversité des êtres humains. En
effet, deux individus dotés des mêmes ressources, peuvent
atteindre des résultats différents en termes de bien-être.
En effet, ces deux individus ne vont pas utiliser leurs ressources de la
même manière. Ils auraient des caractéristiques
différentes (physiques et mentales), et donc même si les biens
envisagés ont des caractéristiques identiques, les niveaux de
bien-être réalisés seraient différents. Sen affirme
ainsi que les ressources des individus ne peuvent pas suffire pour
décrire leur bien-être. Il s'agit alors d'évaluer ce que
l'individu peut accomplir grâce à ses ressources. Sen
définit alors ce qui est dit espace des capacités. Dans cette
approche, un individu est pauvre s'il n'a pas la capacité de transformer
ses ressources en accomplissements. Bien que l'approche de Sen soit stimulante
et ait donné naissance à une littérature abondante, elle
demeure plutôt difficile à opérationnaliser. Elle
décrit et propose des concepts à plusieurs facettes qui ne sont
ni directement observables ni facilement mesurables. Pour conclure, à
l'inverse de l'approche monétaire de la pauvreté, les deux
approches dites multidimensionnelle, l'approche des besoins de base et
l'approche des capacités, définissent la pauvreté selon
plusieurs critères. Elles couvrent une analyse globale du
phénomène de la pauvreté permettant de dépasser
l'analyse unidimensionnelle classique. Nous constatons finalement l'absence
d'un consensus sur une définition de la pauvreté. Il y a
plusieurs approches concurrentes. Le sous ensemble de la population à
considérer comme pauvre reste dépendant de l'approche retenue.
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