1.3.3 Désir de grossesse, désir d'enfant
?
Notre bon sens commun voudrait que le désir de la
grossesse aille toujours de pair avec le désir d'un enfant. Or les
exemples précédents décrivent ces patientes qui
désirent être enceintes sans toutefois souhaiter un enfant, tandis
que d'autres n'arrivent pas à se projeter dans l'enfant réel,
donnant suite à des situations qui sans être aussi dramatiques
qu'un déni de grossesse suivi ou non d'un néonaticide, peuvent
s'avérer navrantes voire catastrophiques sur le long terme et dans le
bon développement de l'enfant (maltraitance, délaissement, abus
sexuel...). Désir de grossesse et désir d'enfant ne sont donc pas
toujours corrélés.
Le désir de grossesse symbolise davantage la fonction
reproductrice qu'une véritable volonté consciente de devenir
parent. Pour certaines femmes, notamment celles sous contraception
prolongée, la grossesse incarne plus ou moins consciemment un moyen de
vérifier leurs capacités de fécondité, de s'assurer
du caractère fonctionnel et intact de leur corps, de leur potentiel
reproducteur sur un plan uniquement physiologique. Parmi les adolescentes, le
désir voire même la préméditation d'une grossesse
traduit surtout une recherche de leur féminité, elles qui sont
aux prises avec une des crises identitaires majeures de leur existence. La
grossesse permettrait d'acquérir à leurs yeux un autre statut
social et psychique, et ce souhait reste coupé de toute volonté
d'accueillir un nouvel individu à part entière, idée
qu'elles n'ont souvent pas même envisagée.
Il peut y avoir volonté délibérée
d'avoir un enfant, cet « enfant programmé » qui répond
à l'idéal de la normalité et de l'épanouissement,
mais avec absence de « l'enfant désiré », donc absence
de désir d'enfant. Le désir d'enfant n'est par conséquent
pas qu'une volonté consciente et exprimée de fonder une famille
pour tendre à un idéal : il est avant tout lié à
notre inconscient.
La psychanalyse freudienne conçoit l'idée
d'avoir un enfant comme la réalisation d'un désir infantile de la
fillette d'autrefois. Par ce désir elle peut s'accomplir en tant que
femme, prolonge sa mère pour devenir en finalité sa propre
mère. Le désir d'enfant nécessite pour se réaliser
une image de référence, la mère idéale, d'où
un processus d'idéalisation qui se met en place principalement chez la
primipare, et cela même si elle a connu d'importants conflits avec sa
mère.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 18/89
Pour M. Bydlowski [13], désirer un enfant, c'est «
reconnaître sa propre mère à l'intérieur de soi
». Elle a observé que des femmes qui présentait des
relations passées ou présentes difficiles avec leur mère,
ont tendance à refouler leur désir d'enfant, d'où
l'hypothèse de nécessité d'un attachement
préoedipien suffisamment bon pour qu'elles souhaitent devenir
mère à leur tour.
Le désir d'enfant est donc un processus complexe, qui
prend sa source dans les voeux conscients mais aussi dans les
représentations inconscientes de chaque parent, issues de sa propre
histoire. Parce qu'il dépend du contexte historique et social de chacun,
de sa représentation de la mère et de l'identification de
l'adulte à ses propres parents, le désir d'enfant est dans un
devenir imprévisible à l'avance. Il implique de mentaliser de
futures images parentales à partir du vécu, de conceptualiser au
sein du couple un enfant en tant qu'individu distinct et qui prendra en
finalité sa place dans l'arbre de filiation.
Dans cette optique, la grossesse n'est qu'un « passage
nécessaire » [11]. Toute conception et gestation constituent
l'incarnation d'un désir sexuel et d'un projet en un
développement biologique tangible : l'enfant à naître,
l'individu qu'il sera.
|