1.3.4 L'instinct maternel, une institution qui fait du
tort
Parmi les croyances qui entourent la grossesse, la notion d'
« instinct maternel » est l'une des plus tenaces : une nouvelle
mère deviendrait dès la naissance, dès le premier regard,
une mère « adaptée », sans faille, vivant un
épanouissement salvateur et total auprès de son enfant. Or tous
ceux qui ont déjà travaillé en compagnie des parturientes
et des accouchées savent que c'est loin d'être une constante. Pour
ces mères qui n'ont pas « le déclic », l'effet est
parfois psychiquement dévastateur : cette absence du «
bien-être instantané » promis sape toute leur confiance et
les plonge dans un état de tension psychique vite intolérable,
qui ne leur permet pas de se consacrer sereinement à leur enfant. Elles
sont stigmatisées par cet instinct qu'elles n'ont pas, en échec
avant même d'avoir pu expérimenter leur vie de mère.
[21]
« On ne nait pas femme, on le devient » ont dit tour
à tour Elisabeth Badinter et Simone de Beauvoir, en désaccord
avec la notion d'instinct maternel. Le professeur Israël Nisand et le
docteur Sophie Marinopoulos ont poursuivi leur pensée dans leur dernier
ouvrage [25], remplaçant le concept d'instinct maternel par le «
sentiment
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 19/89
maternel ». Dotée d'une préoccupation
maternelle primaire qui s'est développée tout au long de sa
grossesse, la nouvelle mère à la naissance est dans une
disponibilité psychique qui potentialise son envie d'apprendre et de
comprendre. C'est douée de cette confiance qu'elle peut
expérimenter les premiers gestes et soins à son
nouveau-né, installant peu à peu dans les minutes, les heures,
les jours et les semaines qui suivent une relation adaptée et en
évolution constante avec l'enfant. Pour la mère, à l'image
du père, « chaque naissance est une adoption, un temps de surprise
et d'adaptation ».
Les plus rapides donnent l'illusion d'un instinct en lequel il
ne faut plus croire, au risque sinon de pénaliser les mères qui
ne présentent pas cette adaptation fulgurante.
Cette notion de temporalité est primordiale : à
la naissance, rien n'est ni acquis ni inaccessible. Encore une fois, on ne nait
guère parent, on le devient. Le sentiment maternel a ses origines qui
remontent bien avant la grossesse, il prend sa source dans le passé et
le maternage reçu. Et tout comme le sentiment paternel, il se construit
au jour le jour : « la maternité est toujours adoptive [...], pas
instinctive, mais historique ». [25]
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