1.3 LA GROSSESSE DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE
1.3.1 Entre statut et symbole : le mythe maternel
Dans notre société moderne, la gestation
psychique telle qu'elle vient d'être succinctement décrite
n'existe pas : notre imaginaire collectif conçoit l'image d'une femme
enceinte belle, sereine, enveloppée d'images harmonieuses et positives,
comblée dans l'attente puis par les soins à son enfant, qu'elle
réalise d'ailleurs avec une assurance telle que cela ne peut être
que par instinct - instinct maternel. Ces représentations nous sont
rassurantes, apaisantes, nous confortent dans nos préjugés sur la
« bonne mère », aimante, universelle, pétrie d'instinct
et opérationnelle dès la naissance. N'est-il pas difficile -
voire effrayant - que d'envisager une grossesse synonyme de questionnements, de
vulnérabilité et d'angoisse, une gestation marquée de
réminiscences affectives et douloureuses ? [38]
Le mutisme collectif autour de la maternité psychique
se poursuit jusque dans notre prise en charge de la femme enceinte dans le
milieu de la Santé : alors qu'on surveille à grand renfort
d'examens et d'échographies la grossesse physique, la gestation
psychique est peu prise en compte, comme oubliée, déniée.
A l'heure actuelle, on n'envisage la grossesse que dans sa dimension heureuse,
publique ; on délaisse son intimité, changeante et ambivalente
comme l'inconscient, cette entité dont elle se nourrit et dont elle
hérite la tonalité scandaleuse, mystérieuse et obscure,
intrigante, séduisante, cruelle.[24]
Un oubli dont les futures mères, déjà peu
enclines à avouer ces turbulences émotionnelles et ambivalentes
affleurant à leur conscience, s'accommodent comme elles peuvent depuis
l'avant-grossesse jusque longtemps après dans le post-partum. Le
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déni de la vie psychique et de ses manifestations est
déjà là, même dans des situations que nous,
professionnels ou simples proches, ancrés dans nos croyances et nos
certitudes, qualifierions de normales.
1.3.2 La grossesse, entre statut recherché et
symbole de liberté
Dans nos sociétés, devenir mère est
valorisant pour la femme en âge de procréer. Marque
d'épanouissement et de normalité, avoir des enfants attire sur un
couple la reconnaissance sociale et familiale, confère le statut
jusque-là refusé de parent. Le désir d'enfant
apparaît donc comme la valeur la plus naturelle et la plus universelle,
à notre époque où entre la contraception, la
Procréation Médicalement Assistée (PMA) toujours plus
performante et la liberté de chacun, le maître mot semble
être « Un enfant si je veux, quand je veux ». « Vouloir un
enfant » est perçu comme un désir uniquement conscient,
fonder une famille un choix librement consenti répondant à des
idéaux culturels, familiaux et sociaux.
Et pourtant, il suffit de lire les faits divers ou d'observer
notre entourage pour constater l'étrangeté dont sont
pétries de nombreuses histoires familiales : abandon, mise à
l'adoption, maltraitance, délaissement ou carence, abus sexuel [24]. On
a tous entendu parler, peut-être dans notre entourage, a fortiori en tant
que professionnel de santé, de cette femme qui après deux ans de
PMA enfin couronnés de succès, passe de l'autre côté
du mur pour se faire avorter en service d'orthogénie. Ou encore de ce
futur père dont la compagne est enfin enceinte, réalisant ainsi
un voeu appuyé et partagé dans leur couple, qui rompt soudain
tout contact à l'orée du sixième mois de grossesse.
Malgré nos représentations rassurantes de l'instinct maternel ou
d'un besoin primaire de filiation, il est évident devant ces exemples
qu'être parent ne va pas de soi.
On l'a vu précédemment, c'est la grossesse et
par prolongation l'enfant qui entraîne la métamorphose psychique
nécessaire pour devenir parent : on cesse d'être le fils de
quelqu'un pour être le parent d'un autre. Cette transformation psychique
renvoie au propre vécu de chacun et réveille des forces
psychiques contradictoires jusque-là enfouies dans l'inconscient : de
tels conflits s'ils ne sont pas dépassés peuvent entraver la
construction d'un lien psychique de filiation. L'adulte reconnu comme
père ou mère ne peut alors assumer cette naissance sociale, dans
l'incapacité d'endosser le rôle qu'il semblait pourtant
s'être choisi. [22]
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