1.2.3 Troisième Trimestre : « l'image des corps
séparés »
Dans ses derniers ouvrages, S. Marinopoulos met en
scène un être à part, la dyade mèrenfant,
hybride né d'une symbiose dont neuf mois de grossesse ont permis
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l'existence. Or le troisième trimestre, en abordant la
question de la naissance, pose celle d'une séparation. Les mères
savent, comprennent cet acte inéluctable et nécessaire, et elles
expriment sans peine leurs craintes quant à cet évènement,
inconnu et pourtant évoqué partout, porteur de douleur et
d'efforts. Mais il est une autre angoisse, inavouable et inavouée qui
les taraude : celle de perdre l'enfant, d'en être privée, de se
retrouver seules et tel un corps à l'abandon, après des semaines
de vie commune l'un dans l'autre. La « petite mort » de la dyade
mèrenfant nécessite préparation, car elle n'est
pas sans renvoyer à la propre expérience des mères,
à l'angoisse archaïque de séparation que tout être
humain a un jour dû traverser pour vivre et s'épanouir.
Ce travail mental que doit exécuter toute mère
en vue de la séparation, s'orchestre simultanément à deux
niveaux :
Tout d'abord, le processus se réalise dans l'intime des
mères, confrontées dans les derniers mois à la
différence de rythmes et de besoins biologiques entre elles et leur
futur enfant : elles ne sont pas rares à formuler leur
étonnement, parfois leur exaspération à sentir le foetus
bouger quand elles cherchent le calme et le repos. Qu'elles le remarquent est
un pas vers un véritable « défusionnement », progressif
et nécessaire : l'enfant, comme s'il clamait déjà son
indépendance, apparaît dans un statut d'être
différent. [22]
De même, les cours de préparation à la
naissance et à la parentalité renforcent cette prise de
conscience, mettant en images la séparation tant redoutée par la
démonstration d'une scène de naissance, mannequins ou dessins
à l'appui. Par la discussion et ses questionnements, la mère met
en mots l'image des corps séparés, confirmant ainsi son propre
vécu intime de cette individualisation de l'enfant. Selon le
psychanalyste Paul-Claude Racamier cité par C. Grangirard [13], la femme
enceinte n'accède pleinement à son statut de mère qu'en
acceptant cette séparation, et elle l'anticipe en imaginant la relation
future avec son enfant. En se basant sur son vécu, elle choisit de
reproduire certains aspects de sa relation avec sa propre mère, ou au
contraire de se détacher de ces expériences.
De la qualité des images de séparation ainsi
élaborées, dépendraient en partie les humeurs de la jeune
accouchée. En cas d'altération de la représentation des
corps séparés en fin de grossesse, le retour à
l'équilibre serait plus difficile après la naissance.
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Les femmes en post-partum présentent différents
degrés « d'être », allant du sentiment d'unité et
d'apaisement à un état de choc, de morcellement de son être
pour lequel la séparation était une image irreprésentable.
Ces états de décompensation sont parfois
interprétés de manière hâtive comme le baby-blues,
mais ces patientes témoignant d'un sentiment de morcellement
nécessitent un soin psychique immédiat et rapproché.
[22]
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