1.2 L'IMAGE DU CORPS, UN CHEMINEMENT EN TROIS TEMPS
S. Marinopoulos, suite à ses nombreuses observations en
maternité, a présenté la grossesse psychique comme
rythmée en trois parties, que l'on peut relier chacune à un
trimestre. [25]
1.2.1 Premier trimestre : « l'état d'être
enceinte »
Dans ce premier temps, il n'est pas encore question de
l'attente d'un enfant, mais plus d'un « état d'être ».
La femme enceinte, dans cette absence de manifestations physiques de celui qui
grandit en elle, n'élabore pas de représentation de cet enfant.
C'est avant tout son corps psychique qui est chamboulé par l'idée
devenue réalité de la grossesse : elle la pousse à revenir
sur son propre vécu de l'enfance et de la relation aux parents et
à la famille. Cette introspection réactualise de nombreux
souvenirs paisibles ou moins heureux, et ce retour aux liens familiaux
passés pose des questions laissées en suspens, réveille
des conflits infantiles parfois douloureux. La notion d'ambivalence est par
là même très présente, oscillant entre désir
et peur : si les sentiments plus ou moins conscients d'amour sont bien
acceptés, l'hostilité envers le foetus étranger, source
d'angoisse, est inavouable et refoulée dans l'inconscient. Cette
ambivalence entre acceptation et non acceptation de la grossesse est
nécessaire et transitoire : la grossesse est synonyme d'un changement
radical de statut tant psychique que social. Toute femme est confrontée
à des expériences d'angoisse parfois dépersonnalisante,
mais celles-ci doivent rester passagères pour s'avérer
structurantes. [13]
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 12/89
Ainsi concentrée sur les images du passé, la
femme enceinte traverse donc une phase d'adaptation au futur enfant. Sorte de
nidation psychique maternelle, ce processus la conduit à l'acceptation
de sa grossesse et lui permet de se projeter dans une relation
mère-enfant, non plus en tant que fille, mais bien en tant que
parent.
Au cours de cette période d'ambivalence et de
vulnérabilité, la femme exécute une véritable
marche vers le « devenir-mère », dans un sens purement
symbolique. [24]
1.2.2 Deuxième Trimestre : « l'attente d'un
enfant »
Ce deuxième temps voit dans la grande majorité
des cas la femme pleinement consciente de sa grossesse, état qu'elle a
accepté consciemment et inconsciemment. Les « petits maux » et
autres signes sympathiques ont pour la plupart disparu, souvent à la
perception des mouvements foetaux : elle éprouve un étonnant
bien-être physique, sensation de plénitude qui durera quelques
semaines à quelques mois. Les modifications corporelles sont cependant
franches, enfin révélatrices : elles permettent désormais
une représentation de l'enfant, influencée également par
le biais des interactions, des fantasmes et rêveries maternels. Ces
moments sont synonymes d'une grande ambivalence chez les parents : pour
certains, l'attente chargée d'impatience et de plaisir prédomine,
chez d'autres la crainte de découvrir un être qui ne répond
pas à leurs espérances est telle que seule l'image
échographique leur permettra d'imaginer l'enfant avec
sérénité.
Nourri par l'exploration échographique et les examens
médicaux, le bébé virtuel fait son apparition, en lien
étroit avec le bébé réel, « niché au
creux du corps de sa mère » [22], invisible et muet, mais expressif
et bien présent dès les premiers mouvements foetaux
perçus.
Comme l'a décrit le psychanalyste Serge Lebovici
cité par Cécile Grangirard dans son mémoire [13], on
assiste à l'émergence de trois facettes du même enfant dans
le psychisme parental :
? L'enfant imaginaire, « enfant rêvé
» par ses parents qui lui ont déjà trouvé un
prénom, préféré un sexe, imaginé telle ou
telle ressemblance avec l'un
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 13/89
d'entre eux. Il est le fruit du désir conscient de la
grossesse, et s'inscrit en finalité dans la lignée familiale.
? L'enfant fantasmatique, qui lui émerge et
demeure dans l'inconscient de chaque parent. Il prend vie à travers leur
histoire individuelle et fait écho aux racines infantiles du
désir d'enfant, réactivant transitoirement le complexe
oedipien.
? L'enfant mythique, qui est un reflet culturel et
médiatique propre aux parents. La culture mais aussi les mythes et
idéaux familiaux modèlent cette représentation de l'enfant
à naître et, plus tard, influenceront son éducation.
Ce deuxième trimestre, marqué d'un
véritable processus d'anticipation de l'enfant à naître,
est donc d'une importance certaine. Les représentations qu'il apporte
préparent la mère mais aussi le couple à accueillir
l'enfant dans le cercle familial et dans les meilleures conditions
possibles.
Cette importance est davantage mise en lumière lors de
grossesses marquées par une annonce de suspicion d'handicap,
infirmée par la suite. Une telle rupture dans le lien imaginaire et
fantasmatique traduit chez les parents un mécanisme de protection face
à une éventuelle mauvaise nouvelle, voire à une pathologie
pouvant nécessiter le recours à une IMG. Une fois le danger
écarté, la rupture plus ou moins consciente persiste : le foetus,
bien que normal, « a failli la confiance accordée » en
décevant les espoirs de ses parents ; il perd à leurs yeux son
statut de fils ou fille potentiel. Un clivage s'opère, et l'enfant
réel se développe hors de la rêverie de ses parents ; chez
la mère une telle effraction dans sa fantasmatique provoque un
état de sidération, qui peut empêcher par la suite la mise
en place d'une préoccupation maternelle primaire efficace.
C'est en finalité le lien à l'enfant réel
qui en souffrira plus tard, avec des parents qui généralement
sont en demande de soins psychiques en raison d'une relation difficile avec
l'enfant. [25]
|