1 GROSSESSE PHYSIOLOGIQUE : DIMENSIONS PHYSIQUE,
PSYCHIQUE ET SOCIALE
Depuis des années, la littérature et les
médias véhiculent quantité de renseignements, conseils,
anecdotes, récits sur ce qu'est une grossesse et en quoi elle modifie le
corps et la vie d'une femme.
Il n'est pas rare qu'une future/nouvelle maman
interrogée fournisse volontiers des détails sur le
déroulement physique de sa (ses) grossesse(s) - tels que le temps qu'ont
duré les nausées ou celui passé en salle de naissance, ce
qu'elle faisait quand elle a perçu les premiers mouvements du foetus,
ses envies, ses dégoûts. En revanche, l'évocation du
vécu psychique et émotionnel de cette période est souvent
plus difficile, rarement spontané. La grossesse n'est pas seulement un
phénomène physique comme beaucoup veulent encore le croire, et
pour pouvoir envisager un phénomène tel que le déni de
grossesse, il est apparu indispensable d'aborder en premier lieu et de
manière succincte le contexte psychologique de la grossesse, ou encore
appelé gestation psychique.
Pour éviter toute longueur ou répétition,
le versant physique de la grossesse ne sera pas décrit dans
l'immédiat. Il sera cependant évoqué en comparaison avec
les manifestations cliniques du déni de grossesse, traitées dans
un chapitre ultérieur.
1.1 GESTATION PSYCHIQUE, L'AUTRE FACETTE DE LA
GROSSESSE
1.1.1 Vécu psychique de la grossesse : quelques
notions de base
Tous les spécialistes s'accordent à dire que la
grossesse, source de profonds changements physiques, est également une
phase marquée de doutes et de questionnements. Expérience de
maturation psychologique, voire même véritable crise identitaire
pour certains, la gestation psychique est imprégnée de troubles
de l'humeur physiologiques qui témoignent d'une grande
vulnérabilité chez la femme enceinte.
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Dès 1858, Marce cité par Annie Gorre-Ferragu
dans sa thèse de médecine [11] décrit la grossesse comme
« un de ces états physiologiques dans lequel le système
nerveux peut acquérir une mobilité et une
impressionnabilité excessive ». Une hypersensibilité
croissante pendant la grossesse, que Donald Winicott rattache à la
préoccupation maternelle primaire, état psychiatrique très
particulier qui après la naissance, permettra à la mère de
comprendre et de répondre aux besoins de son enfant de la meilleure
manière qui soit.
De même, A. Gorre-Ferragu [11] dans sa thèse de
médecine dénote un fort mécanisme d'introversion propre
à la grossesse : l'investissement psychique maternel pour le foetus est
intense, au détriment de son intérêt pour le monde
environnant professionnel, social, ou ludique. Cet hyperinvestissement mental,
loin d'être pathologique, constituerait les prémices de la
relation mère-enfant, mais il est relativement peu présent de
manière spontanée dans le discours des futures mères.
Cependant, selon la psychiatre psychanalyste Monique Bydlowski,
l'anxiété maternelle entraîne l'effet inverse en cas de
grossesse suivant un décès périnatal, et on assiste alors
à une riche verbalisation du processus.
Les préoccupations anxieuses sont légion pendant
la grossesse, diverses dans leur expression psychique voire somatique, mais
toujours présentes et à différents degrés selon
l'histoire de la patiente. Qu'elles s'expriment par la crainte d'une
fausse-couche au premier trimestre ou de l'éventualité de
malformations foetales au second, par la peur au troisième trimestre de
complications à l'accouchement ou de ne pas savoir s'occuper du
nouveau-né, toutes ces préoccupations sont centrées sur la
grossesse et son déroulement.
En psychanalyse, le terme de « transparence psychique
» est attribué à la grossesse, qui devient un temps de
pensées et de désirs clairs, propice à un travail
psychanalytique. Le psychisme maternel est soumis d'après M. Bydlowski
à une « grande perméabilité mentale où des
fragments de l'inconscient viennent à la conscience » [11]. Des
conflits intrapsychiques et non résolus remontent à la
conscience, synonymes souvent de douleur et d'angoisse. Par cette transparence
psychique, la femme enceinte connaît un véritable «
état de grâce », via lequel elle peut affronter son
passé en revivant des expériences oubliées ou
refoulées de l'enfance ou de l'adolescence, puis accepter et sublimer
ces souvenirs. Si la patiente en analyse ou en
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suivi psychothérapeutique connaît donc une
amélioration de son état psychique le temps de sa grossesse, il
est également courant que cette vulnérabilité
physiologique et psychologique puisse conduire à des
décompensations voire des bouffées délirantes après
l'accouchement.
Pour anticiper ce qui sera traité plus tard, la
transparence psychique pourrait constituer l'un des mécanismes à
l'origine du déni de grossesse : le déni en évitant
l'idée de grossesse, évite la reviviscence d'un passé trop
douloureux et donc considéré comme insoutenable pour le psychisme
maternel.
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