INTRODUCTION
Histoire incongrue que celle retrouvée certain matin
dans les pages des faits divers : une jeune femme, venue aux urgences pour une
probable crise de colique néphrétique, a accouché quelques
heures plus tard d'un petit garçon en bonne santé de 3 kilos...
Une fois la mère et l'enfant hors de danger, la situation pourrait
prêter à sourire, si un détail ne s'ajoutait pas à
l'étonnant tableau : la femme en question ne se savait pas enceinte.
Telle est l'image déroutante - et de loin la moins
sombre - que le grand public semble avoir aujourd'hui d'un
phénomène méconnu : le déni de grossesse. Depuis
quelques années, les médias reprennent
régulièrement ces histoires un peu folles, certaines heureuses,
d'autres à l'issue bien plus dramatique, de femmes qui dans l'ignorance
de leur état de grossesse, mènent une existence en tout point
normale, et ce parfois jusqu'à l'accouchement. Elles sont avocates,
étudiantes, cadres, commerçantes, sportives de haut niveau ou
militaires, mères de famille, en couple ou célibataires.
Certaines viennent tout juste de se marier et ne songeaient guère
à avoir des enfants avant plusieurs années, d'autres
multipliaient les fausses couches et désespéraient de mener un
jour une grossesse à terme. Dans la grande majorité des cas,
elles ne présentent aucune psychopathologie et pas
d'antécédents psychiatriques.
Pour beaucoup encore, le déni de grossesse se
résume toujours à certains procès qui ont marqué la
dernière décennie, mettant en scène une femme, parfois
déjà mère, accusée d'avoir mené dans le
secret une voire plusieurs grossesses à terme, d'avoir accouché
seule pour se débarrasser ensuite de l'enfant nouveau-né. Des
affaires complexes, exceptionnelles et souvent médiatisées
à l'excès pour leur côté sordide et malheureusement
vendeur.
Pourtant les cas de déni poursuivi jusqu'à la
naissance de l'enfant, que certains nomment déni massif ou déni
total, ne représentent que le sommet de l'iceberg. Plus rares encore
sont ces accouchements inopinés donnant malheureusement suite, de
manière intentionnelle ou faute de soins, au décès du
nouveau-né. Bien plus nombreuses sont les femmes - entre 1500 et 2500
chaque année tous degrés de déni confondus - qui un jour
consultent leur médecin, souvent pour un problème anodin telles
une fatigue
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persistante, des douleurs gastriques ou abdominales, et qui se
révèlent enceintes de quatre, cinq, six mois ou plus, sans
même l'avoir envisagé.
Le déni de grossesse serait donc « le fait
d'être enceinte sans avoir conscience de l'être ». Cette
définition trouvée dans tous les dictionnaires récents
résume en toute simplicité le phénomène, mais elle
pose aussi d'innombrables questions : comment est-il seulement possible qu'une
femme puisse porter un enfant pendant plusieurs mois sans en avoir la moindre
conscience ? Comment a-t-elle pu passer à côté de ces
signes de grossesse tels que les nausées matinales, l'absence de
règles ou la prise de poids, si manifestes chez d'autres qu'ils en
deviennent parfois gênants ? Comment celle-ci qui est interne en
médecine et en déni à quatre mois de grossesse, n'a-t-elle
pas compris bien avant ? Et cette autre quadragénaire, épouse
aimante et mère modèle de trois enfants, comment a-t-elle pu se
rendre compte qu'elle en attendait un quatrième qu'après huit
longs mois de grossesse ? Et si elle ne s'était aperçue de rien ?
Et si elle avait accouché seule chez elle... Qu'aurait-elle fait de cet
enfant que personne n'attendait ?
Ainsi vont les questions sur les femmes en déni, jeunes
et moins jeunes, seules ou en couple. Parce qu'il touche à l'affectif
pur et au vécu de chacun, le déni de grossesse étonne,
effraie, fascine ou révolte, mais ne laisse personne indifférent.
Proies du scepticisme collectif, les femmes qui en souffrent sont souvent
reniées : on les traite de menteuses, de dissimulatrices, on les accuse
de folie furieuse ou d'idiotie caractérisée, de
préméditation, de meurtre. Seuls quelques-uns pendant les
débats animés que suscite une telle question, osent parfois
élever la voix et dire : « Moi, j'ai connu quelqu'un à qui
c'est arrivé. On n'avait vraiment rien vu. »
Même parmi les professionnels de santé, le
phénomène est méconnu ou mis en doute. Quand le
déni de grossesse est reconnu comme tel - ce qui n'est pas toujours le
cas, surtout dans ses formes les plus « bénignes » - il est
encore aujourd'hui remis en question, rejeté, désavoué. Le
déni du déni parmi les professionnels est bien présent
face à ces femmes qu'on qualifierait presque de « fantaisistes
», et les questions muettes de planer, en consultation, en suites de
couches : « Comment avez-vous pu ? Vous n'aviez vraiment rien su ? Tout
s'est bien terminé, vous pouvez nous le dire, maintenant... ».
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Et lorsque le déni est connu, le
phénomène est presque banalisé dans son impact psychique.
On cherche au plus vite à normaliser la grossesse dite « de
découverte tardive » sur les plans médical et social, tandis
que le versant psychique est souvent négligé, minimisé.
Mais une grossesse amputée de quelques premiers mois dans l'esprit d'une
mère peut-elle se rattraper aussi aisément que la mise à
jour tardive du dossier médical par quelques prises de sang ?
Comme le dit Sophie Marinopoulos, psychanalyste et psychologue
clinicienne, le déni hors contexte de grossesse est observé
chaque jour dans des « situations de souffrance psychique intense »
[22] : chez le conjoint qui se refuse à voir les tromperies de l'autre
tandis que tout l'entourage le sait et tente de l'alerter ; chez le parent dont
l'enfant se drogue au vu et su de tous sauf du parent en question ; chez le
patient qui vient d'apprendre qu'il est atteint d'un cancer et veut repousser
l'intervention en urgence pour profiter d'un voyage à l'étranger
[3]. Le déni protège de l'angoisse, sert le Sujet souffrant par
la défense qu'il procure : c'est une protection coûteuse et qui
peut conduire au drame, mais dont la présence ne doit pas remettre en
question l'intégrité d'esprit du Sujet donné. Le
déni de la réalité n'est pas un signe de psychopathologie,
mais bien un mécanisme de défense.
Face à une grossesse dont l'idée est trop
douloureuse et inacceptable pour des raisons que nous détaillerons, le
psychisme menacé met en place le déni. Et la grossesse dans son
existence psychique s'efface, tandis que son évolution physique se
poursuit. La femme est enceinte, mais elle ne sait pas, ne peut pas savoir.
Ce mémoire a été initié pour
répondre à plusieurs questions personnelles, posées
après le visionnage de certains documentaires sur le déni de
grossesse et la lecture d'articles de presse. Qu'en est-il de nos connaissances
actuelles concernant un tel phénomène ? Pourquoi certaines femmes
prennent conscience de leur grossesse tandis que d'autres restent dans le
déni jusqu'à l'accouchement ? Savons-nous aujourd'hui expliquer
pourquoi la grossesse est à ce point insoutenable, que leur esprit
préfère rester dans l'ignorance totale et la plus trompeuse ?
A ces questionnements s'est ajouté celui de la prise en
charge : que faisons-nous aujourd'hui face à une femme en déni
partiel - c'est-à-dire levé en cours de
Le déni de grossesse Mémoire 2012
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grossesse ? Quel accompagnement, quelles conduites, quels mots
utilisent les professionnels ? Qu'en est-il du suivi en post-partum et de la
prise en charge des dénis massifs ? Et existent-ils des moyens de
prévenir un tel phénomène ?
L'idée première était de pratiquer des
recherches dans la littérature et de faire des entretiens auprès
des professionnels, pour en finalité proposer un protocole d'accueil et
de prise en charge des patientes en déni. Il est très vite apparu
qu'un tel objectif était utopique voire même péjoratif et
dangereux : le déni de grossesse est un domaine vaste et par trop
méconnu, et parce qu'il touche à la dimension psychique de la
maternité, il se refuse à tout semblant de catégorisation.
Vouloir l'aborder en pratique de manière machinale et
prédéterminée serait très probablement un tort.
Aussi, plus qu'un protocole, ce mémoire souhaite
apporter des connaissances issues de la littérature récente et
des anecdotes moins formelles, pour aboutir à des éléments
de réflexion destinés à tout professionnel qui un jour,
s'est demandé ce qu'il devrait faire - ou aurait pu faire - face
à une patiente en déni de grossesse.
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Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
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Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
Le déni de grossesse Mémoire 2012
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