6.3.2 Sage-femme, médecin généraliste
: face au déni partiel, que faire ?
6.3.2.1 « Encadrer » le lever, «
accompagner » la sidération
Face à une patiente qui consulte pour un symptôme
non spécifique mais qui, au fil de l'anamnèse, paraît de
plus en plus suspecte, il est souvent difficile d'aborder la situation dans le
calme. Pour certains il est parfois même utopique de prendre son temps
quand on connait tous les risques que peut encourir une grossesse
avancée jamais suivie.
Dans l'idéal, lorsque les premiers soupçons
surviennent au cours de la consultation, il conviendrait de diriger
l'interrogatoire sans pour autant être péremptoire ni
culpabilisant : depuis quand ressent-elle ces signes qui l'ont conduite
à consulter, n'y en aurait-il pas d'autres qu'elle n'aurait pas
mentionnés ? La patiente est-elle sous contraception ? A-t-elle eu des
rapports sexuels au cours des derniers mois ? D'une manière ou d'une
autre (absence ou refus de contraception, oubli ou retard de prise de
Université Nice Sophia Antipolis - École de
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pilule, gastro-entérite ayant entraîné des
vomissements et la non-absorption de sa pilule, doute quant à la
contraception locale utilisée), ces rapports auraient-ils pu être
fécondants ? Sachant cela, n'y aurait-il pas une
éventualité pour elle d'être enceinte ? Souhaite-t-elle
s'en assurer ici, avec l'appui du professionnel ?
L'intérêt de ce exemple d'interrogatoire -
très théorique et schématique il est vrai - ne
répond qu'à un seul principe qu'il faudrait idéalement
garder à l'esprit en toute circonstance : ne pas devancer la personne
dans son raisonnement. Dans le processus lent et difficile visant à
faire tomber le déni, il faut aider la patiente à se poser les
bonnes questions, l'amener à cheminer pas à pas dans la bonne
direction, en bref exécuter avec elle les prémices de son travail
psychique jusque-là entravé : formuler
l'éventualité que « oui, elle pourrait bien être
enceinte ».
Il faut cependant rester réaliste : même dans les
meilleures conditions d'accompagnement le lever du déni reste synonyme
de sidération et de profonde détresse psychique. Tous les
professionnels se doivent alors d'être présents, à
l'écoute et bienveillants, enveloppants, mais certainement pas
moralisateurs ou incrédules ; il est pour certains spécialistes
question d'abandonner quelque peu l'attitude du « soignant qui sait
», pour davantage montrer à cette patiente une émotion face
à ce qui la submerge et l'étouffe, mentionner peut-être
notre manque de savoir et justement s'ouvrir à ce qu'elle vit, affirmer
qu'on veut comprendre et travailler avec elle dans ce but ; montrer nos
émotions tout en restant doux et mesuré, pour qu'elle puisse
à partir de là construire ses propres ressentis, combler le vide
drastique de pensées et d'émotions qu'a entraîné le
déni. Avant tout il faut la croire, car c'est en acceptant
l'inacceptable qu'elle pourra à son tour s'y résigner, qu'elle
pourra confier son mal-être à autrui, reprendre pied face à
la sidération et enfin penser l'inconcevable : le fait qu'elle est
enceinte.
Dans tous les cas de figure, si la révélation
n'a pas lieu dans une structure médicale pouvant directement prendre en
charge la grossesse non suivie, il est primordial de ne pas laisser repartir la
femme sans un minimum de précautions : mortifiée, en pleine
confusion suite à ce lever brutal du déni, submergée par
l'angoisse voire la honte face à l'idée d'avoir
négligé cette grossesse, elle risque de répéter les
mécanismes de clivage psychique qui jusque-là la
protégeaient de sentiments
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insupportables, et ainsi replonger dans le déni. En
outre, il a déjà été vu l'état psychique
instable engendré par le lever du déni : un passage à
l'acte étant à craindre, il ne faut pas hésiter à
faire venir un proche que la grossesse n'implique pas personnellement - a
fortiori une amie - afin de lui expliquer posément la situation, pour
que cette personne puisse ensuite épauler la patiente, l'accompagner
dans cette épreuve et surtout s'assurer qu'elle ne retombera pas dans le
mécanisme délétère du déni une fois le
professionnel de santé quitté. [29]
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