6.3 ESSAI DE REFLEXION : QUELQUES REPERES DE CONDUITE
FACE AU DENI DE GROSSESSE
La littérature française actuelle s'étant
révélée assez pauvre sur la question d'une attitude
pratique face au déni de grossesse, cet essai de réflexion tient
ses sources de nos propres observations en maternité et de discussions
avec des sages-femmes territoriales ou exerçant en milieu hospitalier,
des médecins, des psychiatres et des psychologues. Cet essai s'inspire
également et à de très nombreuses reprises du dernier
ouvrage en date de Sophie Marinopoulos et Israël Nisand, « Elles
accouchent et ne sont pas enceintes », qui ont consacré au sujet un
chapitre entier au titre parlant : « Aider les femmes ».
Comme les idées présentées dans leur
ouvrage, les lignes de conduite proposées ci-après souhaitent
ouvrir le dialogue, permettre un temps de réflexion entre les
différentes disciplines du monde de la Santé.
« Aussi ne chercherons-nous pas à vous dire
comment faire », écrivent S. Marinopoulos et I. Nisand, « mais
seulement à vous donner quelques repères pour faire cet accueil
dans les meilleures conditions ». [25]
6.3.1 Lever du déni : quels professionnels sont
concernés ?
Curieux paradoxe, il est apparu dans nos observations et la
littérature que les personnes les plus aptes à prendre en charge
le versant psychique du déni de grossesse -
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 74/89
psychiatres et psychologues - sont aussi les derniers à
être mis en contact avec une patiente en déni. A l'inverse, il
semble qu'à l'heure actuelle, ce soit les professionnels les plus
susceptibles de découvrir un déni de grossesse chez une patiente,
qui soient aussi les moins bien formés dans l'appréhension du
phénomène.
Parce qu'une femme en déni consulte souvent au cours de
sa grossesse pour des maux divers qu'elle attribue à d'autres causes,
les médecins généralistes sont en première ligne
mais ne soupçonnent pas toujours l'existence d'une grossesse (1
médecin sur 3 consultés selon l'étude de Denain et
Valenciennes [41]). Les diagnostics différentiels s'avèrent
variés, pouvant aller d'une simple gastroentérite ou des troubles
urinaires, à une suspiscion de kyste rénal, de tumeur ovarienne,
de myome utérin... Le manque d'informations sur le sujet mais aussi les
rationalisations exprimées par les mères semblent y être
pour beaucoup dans ce déni du déni.
Il en va de même pour les spécialistes en
imagerie, à qui le médecin adresse une patiente pour
complément de diagnostic. La visualisation directe de la grossesse,
souvent très avancée, est un véritable choc pour le
praticien comme pour la patiente, qui sans le moindre préavis voit le
déni voler en éclats, avec une violence qui peut égaler
celle d'une prise de conscience à l'accouchement.
Les sages-femmes en consultation de planification familiale ou
en PMI sont aussi concernées, même si les patientes consultent
pour des problèmes peut-être un peu plus ciblés («
Depuis que j'ai changé de contraception, je n'ai plus de
règles/mes règles sont différentes/j'ai pris du poids
», « j'ai des pertes blanches différentes depuis quelques
temps »). Les professionnels du monde de la maternité ont
peut-être plus facilement le réflexe - et le matériel
à disposition - pour vérifier l'existence d'une grossesse, mais
ils se sentent souvent démunis dans leur manque de formation sur le
sujet et, face à la patiente qu'ils soupçonnent de déni,
ne savent pas toujours comment organiser leur approche sans être
brutal.
Tel est le témoignage d'une sage-femme, qui à
l'époque exerçait depuis déjà sept ans lorsqu'elle
avait eu affaire à son « premier » déni de grossesse.
La patiente, une jeune femme de 17 ans venue pour une aménorrhée
de près de 4 mois sous contraception oestroprogestative, n'avait aucun
doute quant à son état, et ne présentait par ailleurs
aucun signe d'appel hormis une légère prise de ventre - qui ne
l'empêchant
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 75/89
pas de porter un jean moulant, était sans commune
mesure avec sa grossesse, estimée par la suite à plus de 6 mois.
La sage-femme, de plus en plus soupçonneuse au fil de son
anamnèse, avait alors directement utilisé un doppler foetal,
« pour être sûre » : à l'entente soudaine des
bruits du coeur foetal, la patiente avait fondu en larmes, partagée
entre l'infondé d'une telle situation (« c'est pas possible »)
et le bruit retentissant du coeur de son enfant.
Parce que le déni de grossesse est
considéré - à tort nous l'avons vu - comme un
phénomène rarissime, les professionnels les plus à risque
d'avoir à y faire face ne sont pas ou peu formés à le
reconnaître et à le dévoiler. Dans cette absence de
formation et d'informations, c'est peut-être bien le déni de la
vie psychique de la femme enceinte qui transparaît, déjà
évident dans notre pratique actuelle où la grossesse psychique
est sous-estimée dans son importance et son ambivalence. [22]
D'après le témoignage de la sage-femme
précitée, qui avec le recul et l'expérience avait pris
conscience de la violence de son geste, il apparaissait nécessaire et
même urgent que tous les professionnels soient sensibilisés
à la reconnaissance du déni et à une approche aussi douce
que possible.
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