Que ce soit en accompagnateur d'une parturiente ou en tant
que professionnel de santé, toute personne ayant déjà
côtoyé une salle de naissance a certainement pu se rendre compte
du climat particulier qui y règne. L'attente mêlée
d'impatience et d'inquiétude, qui a habité chaque future
mère tout au long de sa grossesse, semble enfin aboutir et prendre corps
à l'approche de l'accouchement, moment imaginé,
rêvé,
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 55/89
fantasmé et redouté de la séparation. A
l'issue de ces fatidiques neufs mois, la femme achève ce travail mental
difficile, pénétré de questionnements et d'ambivalence,
qui de fille de quelqu'un, l'a faite future mère d'un autre. La peur de
la douleur et de l'inconnu se disputent à l'impatience quand commencent
ces ultimes épreuves que sont le travail et l'accouchement.
Inquiétudes, angoisses, douleurs et efforts
accompagnent ce travail tant psychique que physique. Avec la succession des
contractions utérines, l'ouverture du col et la « descente du
foetus dans le bassin », images peut-être bien mystérieuses
pour les non-professionnels, c'est la dyade mèrenfant qui meurt
peu à peu. L'accouchement est en soi une épreuve tant dans le
corps que dans la tête d'une femme, un véritable morcellement de
son être construit pendant neuf mois et dont elle doit faire le deuil
à la naissance. Une autre facette plus ou moins cachée de la
maternité.
Or, chaque professionnel de la naissance sait que même
lors de ces accouchements pleinement attendus et préparés, il
peut y avoir une part de déraison subite et violente au moment crucial.
Il n'est pas si rare qu'une mère sur le point d'expulser, à bout
de douleur ou d'angoisse, s'écrie soudain qu'elle veut rentrer chez
elle, qu'elle veut la césarienne, ou même « [qu'elle] n'en
veut plus, de [cet] enfant ». Ces mots de la naissance, cruels et durs,
paraissent fous, sont totalement déconnectés de ce qui est
vécu. Cette « irresponsabilité transitoire » peut
survenir aux instants critiques d'un accouchement, là où l'on
souhaite la coopération la plus totale de la parturiente, et chaque
professionnel se fait alors rassurant, enveloppant envers cette femme
littéralement dépassée par ce qu'elle traverse. [25]
Il suffit de garder à l'esprit cet éventuel
« déraillement » d'une patiente pleinement consciente de sa
grossesse, pour se rendre compte de la détresse que peut ressentir une
autre en plein déni.