4.2 CIRCONSTANCES DU LEVER
A l'image du déni de grossesse, les circonstances du
lever et le terme auquel il s'effectue sont extrêmement variés.
La grossesse est découverte le plus fréquemment
avant l'accouchement, au cours du deuxième trimestre de grossesse, et
généralement de manière fortuite. Les patientes peuvent
consulter pour des douleurs abdominales ou une augmentation de volume de
l'abdomen, des troubles digestifs, des saignements vaginaux intempestifs ou
plus rarement une aménorrhée persistante depuis peu, des
sciatalgies ou lombalgies, des oedèmes des membres inférieurs.
Une patiente en déni qui consulte car elle perçoit des mouvements
foetaux semble être une situation excessivement rare.
Lorsque la grossesse n'est pas mise en lumière au
cours de cette première consultation - la plupart du temps
effectuée par un généraliste - elle est
révélée lors d'examens diagnostiques telle une
échographie ou une radio de contrôle. Dans ce cadre, une
complication obstétricale peut donc être à l'origine du
lever du déni.
Dans d'autres cas, ce peut être un proche qui en
exposant ses soupçons et en dialoguant avec la femme en déni,
l'aide à faire face, à penser l'impensable. Plus rarement, le
déni peut se lever de manière spontanée aux alentours du
5e mois ; la patiente fait le lien entre ses symptômes et une
éventuelle grossesse, et vient consulter dans cette optique. Ces femmes
qui doutent ont cependant une idée très sous-estimée de
leur terme.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 53/89
4.3 CONSEQUENCES PHYSIQUES ET PSYCHIQUES DU DENI
PARTIEL
La révélation de la grossesse, qu'elle soit du
fait de la patiente ou d'un tiers, est toujours synonyme d'une profonde
stupeur. La surprise est telle qu'elles restent choquées,
sidérées, éprouvent parfois des sentiments
d'insécurité ou de dépression sur une courte
période [12]. Incapables d'évaluer ce que signifie le terme
parfois très avancé de leur grossesse, beaucoup se raccrochent
à l'espoir d'obtenir une interruption volontaire de grossesse (IVG).
Parallèlement, d'autres s'inquiètent de leur conduite au cours
des derniers mois qui aurait pu faire souffrir l'enfant, tels le tabagisme, la
prise de médicaments ou la pratique d'un sport dangereux. Cette prise de
conscience de leurs conduites à risque s'ajoute plus tard à leur
culpabilité et leur honte de « n'avoir rien vu », ce qui exige
des professionnels une approche particulière et un suivi de fin de
grossesse attentif et compréhensif que nous aborderons plus tard.
De même sur le plan physique, la découverte de
la grossesse entraîne une métamorphose que l'on qualifierait
aisément de spectaculaire. Une fois le verrou psychique du déni
levé, on observe dans les jours voire même les heures qui suivent
l'apparition des signes de grossesse qui jusque-là faisaient
défaut : l'utérus libéré de la sangle musculaire
abdominale bascule en avant, présentant enfin un volume en rapport avec
le terme. Les mouvements foetaux sont brusquement ressentis, à tel point
qu'elles se sentent envahies dans leur intimité, submergées par
un être intrus et dangereux qu'elles ne peuvent encore imaginer comme un
enfant, leur enfant ; certaines parleront de porter « un alien
» dans leur ventre tant la sensation de ne plus s'appartenir leur est
impérieuse. Les douleurs abdominales semblent se préciser et
prendre le tour de véritables contractions utérines, la prise de
poids jusque-là peu voire pas du tout effective est manifeste au fil des
jours, et certaines patientes vont jusqu'à éprouver des signes
sympathiques de grossesse malgré le terme excessivement avancé.
Comme si la grossesse jusque-là étouffée s'exprimait enfin
librement, et s'effectuait de manière accélérée,
libérée du joug du déni. [25]
De telles modifications physiques ont des conséquences
dévastatrices sur le psychisme maternel : livrée à la
réalité insupportable de la grossesse que le déni lui
épargnait jusque-là, la future mère connaît
transitoirement un risque majeur d'explosion
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interne de sa psyché. Ainsi Isabelle Moulin a-t-elle
décrit cette véritable tempête émotionnelle, trente
ans après son déni partiel révélé à
près de 8 mois de grossesse :
...Je me sentais envahie, c'était vraiment
comme un viol. Tout à coup, quelqu'un avait pénétré
à l'intérieur de moi, il n'avait absolument pas demandé
l'autorisation, et maintenant il était là, il était
installé, il était super gros, et je ne savais pas du tout
comment j'allais faire sortir ça de moi. J'avais excessivement
peur [...]. La seule chose à laquelle j'ai pensé, c'est
« je veux mourir »... [...] « Et là, tout
s'arrêtera, ce sera fini »... [29]
La révélation d'une grossesse
déniée est toujours suivie d'une période d'extrême
fragilité, détresse qui dans l'urgence de la prise en charge
médicale et sociale de cette patiente, ne semble pas toujours bien prise
en compte à l'heure actuelle. [23] [30]
Quelques-unes de ces femmes, pour qui le lever du déni
entraîne une souffrance extrêmement brutale, peuvent se retrouver
amnésiques de cet instant critique. En proie à un stress aigu
potentiellement déstructurant, le déni transitoirement dissolu se
reconstitue une fois le médecin quitté, et « efface »
de la conscience maternelle la grossesse et les souvenirs liées à
sa révélation. Dans ce cas et en l'absence de suivi, le
déni de grossesse peut aisément se poursuivre jusqu'à
l'accouchement.
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