2.5 INFLUENCES ET FEED-BACK SUR LE PSYCHISME
A la lumière des exemples précédents, il
est plus aisé de comprendre à quel point la psyché peut
contrôler le corps humain, son apparence et son ressenti. Certes les
modifications corporelles sont présentes, mais souvent infimes ou non
spécifiques d'une grossesse. Par les interprétations écran
que lui impose son psychisme, la femme persiste dans son déni et suit un
véritable cercle vicieux : elle n'est pas et ne peut pas être
enceinte, son corps s'y soumet et fait silence autour du foetus ; et face
à cette vision de normalité qui lui est renvoyée, le
déni se retrouve renforcé. La grossesse est impensable.
2.5.1 Le déni, phénomène
contagieux
Lors d'une grossesse physiologique, la femme enceinte se
construit via ses ressentis et par la relation charnelle et fantasmatique avec
son enfant, mais c'est aussi le regard de l'autre - le conjoint, la famille,
les proches - qui lui permet de se sentir enceinte, de se réaliser
socialement comme future mère et porteuse d'un enfant.
Dans ce cadre particulier du déni, la
cécité face à la grossesse ne se limite pas à la
femme concernée, et fréquemment l'entourage reste dans
l'ignorance la plus totale de ce qui se trame. Les quelques personnes,
observatrices, qui dénoteront une légère prise
d'embonpoint et oseront en faire la remarque à
l'intéressée, seront facilement détrompées,
flouées par une réponse négative pleine d'assurance ou par
les rationalisations de la femme quant à son état.
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 41/89
Le conjoint lui-même est vite inclus dans le
phénomène de déni, abusé par l'apparente
normalité de corps et d'esprit de sa compagne avec qui il a pourtant
d'après l'étude de C. Brezinka des relations sexuelles
jusqu'à très peu de temps avant l'accouchement. Contrairement aux
idées reçues le conjoint est présent dans 50% des
dénis partiels répertoriés en France et dans 86% des
dénis totaux ; sa participation au déni est donc
indéniable. Mais si dans certaines situations il a quelques
soupçons, il est la plupart du temps facilement convaincu de l'absence
de grossesse : après tout, sa compagne n'est-elle pas la mieux
placée pour savoir si elle est enceinte ou non ?
Cette propagation du déni à l'entourage traduit
la notion de « contagiosité » reprise par de nombreux auteurs.
I. Nisand parle d'un jeu de dupes orchestré par le corps féminin,
soumis au déni qui trompe l'entourage et se renforce d'autant plus que
personne ne manifeste son étonnement, son incrédulité
[30]. C. Bonnet voit dans cette contagion de la grossesse impensable « le
reflet de difficultés particulières, voire d'un dysfonctionnement
de la famille qui ne peut penser, elle aussi, que cette femme là puisse
être enceinte ». Cette contagiosité est d'autant plus
frappante qu'à l'image du déni de grossesse, elle est
retrouvée dans tous les milieux sociaux, dans toutes les constructions
conjugales et toutes les tranches d'âge [22]. La notion-clé semble
être ici « ne pas voir, ou alors voir et l'oublier très vite
» : l'entourage se défend d'une situation invivable, et comme la
femme en déni, il reste hors de toute pensée d'une grossesse. Par
cela même il renforce encore le déni.
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