2.4.2 Le corps complice : de la grossesse nerveuse au
déni de grossesse
Le phénomène de la grossesse nerveuse est
encore plus rare que le déni de grossesse, mais paradoxalement il semble
davantage connu et reconnu du grand public et du monde médical. La
compréhension de ce mécanisme inverse peut aider à saisir
l'essence même du déni de grossesse.
Dans le cas de la grossesse nerveuse, des signes sympathiques
de grossesse ainsi qu'une aménorrhée peuvent être
observés. La silhouette de la femme se modifie, se cambre tandis qu'un
ballonnement abdominal réel, dû à une rétention de
gaz digestif, s'installe progressivement et mime l'apparition d'un
utérus gravide mais pourtant vacant. Certaines femmes vont
jusqu'à ressentir des mouvements foetaux au cinquième mois de
leur « grossesse ». Ces manifestations confondantes d'une grossesse
physique pourtant absente est la preuve de la mainmise du psychisme sur le
corps humain. Chez les femmes en grossesse nerveuse, le désir d'enfant
est tel qu'il provoque les changements corporels nécessaires à la
réalisation de ce désir : elles vivent comme si elles
étaient enceintes, et ce en quoi elles croient devient leur
réel. On assiste à un véritable décalage entre
grossesse physique inexistante et grossesse psychique pleinement vécue,
tableau symbolique inverse de ce qu'est le déni de grossesse.
Cette emprise du psychisme sur le corps apparaît donc
bien réelle, et dans le cas du déni les spécialistes
parlent de connivence somato-psychique. Le corps soumis
Université Nice Sophia Antipolis - École de
Sages-femmes de Nice page 40/89
au déni se fait complice de cette non-prise de
conscience, et la grossesse passe inaperçue : les signes sympathiques
sont étouffés ou ignorés, la stature et le profil de la
femme en déni restent inchangés. « Le bruit de la grossesse
débutante devient un silence » [25] : le foetus se fait passager
clandestin dans le corps de sa propre mère, et les quelques signes qui
pourraient révéler sa présence sont non reconnus,
ignorés ou relativisés : la mère aux prises du déni
leur attribue des causes qui lui seront toujours plus supportables et
acceptables que l'idée de la grossesse. Ces rationalisations ou «
interprétations écran » maintiennent le déni en
place, aux yeux de la patiente comme à ceux de son entourage. [22]
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