2.2 LE DENI DE GROSSESSE, MECANISME DE PROTECTION
2.2.1 Le concept de déni
Avant de détailler le phénomène du
déni de grossesse, il nous est apparu nécessaire de
définir le terme de « déni », concept largement
utilisé aujourd'hui mais dont les définitions peuvent
s'avérer parfois floues ou méconnues.
Le verbe « dénier », issu du latin «
denegare », est apparu selon les historiens au XIIe
siècle. Le sens général du mot « déni » a
été attesté en français un siècle plus tard,
et se déclinait à l'époque en deux définitions :
? Action de dénier ;
? Refus de la part du juge de remplir un acte de fonction (en
Droit) ; Aujourd'hui dans le langage courant, le déni dans le Petit
Robert peut prendre deux significations :
? « refuser de reconnaître quelque chose » (une
responsabilité, un fait...) ; ? « refuser d'accorder quelque chose
qui est dû » (un droit...)
Le déni dans son sens psychanalytique a
été établi par Freud [11] comme un « mode de
défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la
réalité d'une perception traumatisante ». Théodore
Dorpat en 1983 prolonge la thèse psychanalytique en présentant le
déni comme un mécanisme de défense s'orchestrant en quatre
phases :
1. « Evaluation préconsciente de la
présence d'un
danger/traumatisme », ou « signal anxiety
» comme l'avait déjà décrit Freud en 1926 : le Sujet
fait une première analyse d'une situation à risque, de
manière préconsciente voire même consciente ;
2. « Affects tristes et réactions
défensives » : le sujet a déterminé la
tonalité déplaisante de ce qui l'assaille et met en oeuvre une
action
Université Nice Sophia Antipolis - École de
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défensive. La plupart des stimuli sont
enregistrés à un niveau inconscient ;
3. « Arrestation cognitive » : les informations
menaçantes sont exclues, refoulées, et ne remontent donc pas
à la connaissance consciente. L'attention du sujet est reportée
ailleurs ;
4. « Comportement écran » : pour combler
le vide formé par la phase précédente d'arrestation
cognitive, le psychisme mobilise les fantasmes et affects de l'individu pour
créer une histoire de surface, qui rend l'information tronquée
crédible et consistante.
Ainsi selon T. Dorpat [12], le déni est « tel un
jury qui rend un verdict avant que les preuves ne soient
présentées » : il intercepte les données qui seraient
douloureuses et donc insoutenables pour la conscience, les refoule dans
l'inconscient et ne fait remonter à la conscience qu'une version
acceptable, modifiée.
Pour quelques autres auteurs cités par C. Grangirard
[13], le déni serait davantage un processus cognitif. Dans l'exemple
d'une réaction à un diagnostic de maladie grave, le déni
pourrait être perçu comme une stratégie d'adaptation
à un stress intense (stratégie de coping qui vient du verbe
« to cope », « faire face »). Le déni
n'altérerait alors pas la relation de la personne à son
environnement mais tente d'en modifier sa perception, dans l'attente que le
sujet reprenne pied et adopte une stratégie plus élaborée
et mieux adaptée.
Le processus cognitif du déni s'observerait notamment
chez une personne qui se refuse à se reconnaître une addiction,
par exemple l'alcoolisme. Pris en tenaille entre deux faits contradictoires ou
cognitions - « le fait d'être alcoolique », et « le fait
que les alcooliques ne sont pas des personnes de valeur » - le sujet
expérimente un conflit d'ordre psychique. Le déni pourrait
permettre de rejeter l'une des cognitions dérangeantes, par exemple
« le fait d'être alcoolique », et ainsi éviter cette
« dissonance cognitive » source d'inconfort et d'angoisse
inconsciente.
Ainsi au fil du temps, le concept de déni s'est
décliné comme mécanisme de défense dans
différentes écoles de pensées (approches
développementale, quantitative-comportementaliste ou encore cognitiviste
du déni) que nous ne développerons pas ici,
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mais qui aggravent la confusion concernant le terme de
déni. Même s'il est par ailleurs fréquemment cité en
psychiatrie (par exemple dans le déni de la maladie chez les patients
cancéreux ou présentant des comportements addictifs), aucune
définition précise ne figurait dans les dictionnaires
consultés.
Devant la richesse et le nombre des références
théoriques et psychopathologiques évoquées, il s'est
avéré difficile de choisir une définition unique pour le
déni. Naïma Grangaud dans sa thèse [12] a proposé une
définition plus large compilant toutes ces approches, en nommant
déni toute « tentative de désavouer, [de] renier l'existence
d'une réalité déplaisante ».
Le déni se manifeste donc par une non-prise de
conscience des faits, un refus catégorique face à une
réalité externe pouvant être appréhendée par
autrui. Ce mécanisme de défense massive, extrêmement fort
et prenant sa source dans l'inconscient, s'active à l'insu du sujet. Il
permet d'éviter une menace, de protéger ainsi le Moi de
l'angoisse qu'entraîne une souffrance psychique indicible, en remettant
en question le monde extérieur et non le sujet lui-même.
Dans le cas plus spécifique d'un déni de
grossesse, la gestation et ce qu'elle symbolise - l'acte sexuel,
l'arrivée d'un enfant - sont perçus comme des faits
menaçants, et le psychisme maternel s'en préserve par un certain
nombre de protections pour la plupart d'origine inconsciente.
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