5.1.3. L'implication des
apprenants dans les interactions communicatives
L'étude du corpus met en exergue une implication
effective des participants, qui se manifeste au travers de trois
phénomènes que nous analyserons.
· La gestion des échanges initiée par les
apprenants
Les extraits suivants permettent de rendre compte de
situations au cours desquelles deux apprenantes prennent, de manière
délibérée, le contrôle des échanges et
modifient les rôles conversationnels habituels de la classe. Il s'agit
d'un phénomène de déritualisation.
Index 11 :
Exemple n°08
014
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Amina
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c'est la maison de quoi ?
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017
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Amina
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oui c'est ça + vous vous qu'est-ce que
vous pensez ?
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018
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P
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[...] c'est exactement ce que j'allais dire [...]
maintenant [...]
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020
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Amina
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c'est à nous de juger ?
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039
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Amina
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on les laisse ? c'est normal
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040
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Nadine
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non mais vas-y ? nous on a fini
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041
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Amina
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non non non vas-y ?
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Les interventions d'Amina sont une manifestation de son
implication. Réceptive au concept, elle questionne (TP 14) puis replace
ouvertement Nadine dans la réalisation de la tâche lorsque
celle-ci se soustrait, à son sens, aux objectifs du dispositif (TP 17).
Par la reprise à son compte des enjeux d'expression et de communication
de la tâche (TP 17-20), elle se positionne sciemment dans le rôle
du professeur-médiateur et modifie le schéma classique des
relations de classe. Au-delà de l'apprenante, elle se
révèle l'interlocutrice autonome qui veut respecter les codes
conversationnels et savoir ce que pense l'ensemble du groupe (TP 39-41), dans
lequel elle s'inclut (« nous », TP 20), et par extension,
exprimer, le moment venu, ce qu'elle pense elle-même des
photographies.
Index 12 :
Exemple n°09
061
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Nadine (à P)
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(coupe Junko) qu'est-ce que toi tu penses
?
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062
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P
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ah moi je pense: + alors Amina avait quelque
chose [...] à dire
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178
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Nadine
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dis-lui d'expliquer comme elle veut ?
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186
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Nadine
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prends ton temps tranquille on n'est pas
pressés ? (rires)
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252
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Nadine
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c'est vrai que aujourd'hui Vince il n'a pas
parlé beaucoup
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348
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Nadine
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bon dis-nous ? qu'est-ce que ce toi tu en penses
?
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A son tour, Nadine déritualise le format classique du
cours et prend l'initiative d'une conduite du débat, avec, notamment, un
significatif « prends ton temps on n'est pas
pressés » destiné à Gaëlle (TP 186). Elle
inverse, par deux fois, la charge de l'interprétation et nous demande de
nous exprimer sur les images (TP 61-348), ce qui atteste de son engagement dans
l'activité et de son désir de communiquer avec l'ensemble des
parties présentes, sans souci de forme (pour preuve, l'utilisation de
l'impératif et l'informalité du ton, TP 178-348). Dans le premier
cas (TP 61), bien que cela réponde à notre volonté
d'établir un contexte de libéralisation de la parole, nous
hésitons à lui fournir prématurément notre
ressenti, et préférons favoriser le débat entre apprenants
en donnant la parole à Amina (TP 62).
A deux autres reprises, l'apprenante se soucie de la parole de
ses partenaires et notamment de celle de Vince, qu'elle nomme directement (TP
252). Face aux difficultés d'expression de Gaëlle, elle nous
interpelle et nous précise comment procéder pour l'inciter
à parler (TP 178). Ces remarques reflètent à nouveau sa
capacité à s'approprier spontanément, en de tels moments,
le format discursif, à s'impliquer en tant que sujet social dans une
situation de communication où tous ont droit à la parole et
doivent être écoutés. Le fait qu'elle nomme un autre
apprenant par son prénom (« Vince », TP 252), soit
sa référence sociale, est également
révélateur de cet état d'esprit.
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