La notion de fonds libéral en droit camerounais( Télécharger le fichier original )par Sébastien AGBELE NTSENGUE Université de Yaoundé 2 - Diplôme d'études approfondies en droit des affaires 2008 |
B) Le renouvellement des critères classiques a l'aune des mutations sociales25. Tous les piliers classiques des professions libérales se fissurent profondément sous l'influence des mutations économiques et scientifiques. Le lien d'intimité s'est évaporé, les caractères intellectuel, d'indépendance et de désintéressement ont perdu en épaisseur et en prestige. Mais la crise que connaissent ces fondements classiques ne devrait pas faire illusion et faire penser qu'il y a disparition de tous ces caractères. Il y a juste pour ceux-ci un renouvellement pour leur arrimage aux mutations actuelles. Ce renouveau touche tous les critères des professions libérales, qu'il s'agisse du critère général ou des critères dérivés. 1) Le renouvellement du critère généralClassiquement entendu, le lien d'intimité implique une confiance quasi religieuse du client à l'égard du seul praticien. Mais la forte matérialisation des activités libérales a fait penser à la ruine totale des fondements classiques des professions libérales, notamment à l'évaporation du lien d'intimité. Aujourd'hui cependant, le lien d'intimité n'a pas disparu, il a pris un autre visage, une autre couleur. Le lien de confiance s'est certes rétréci par rapport à son acception classique, mais s'est rajeuni sous l'influence des mutations sociales. La confiance n'est plus faite à la seule personne du praticien, elle est désormais orientée vers tout un groupe, toute une équipe de praticiens. De même, pour beaucoup de professions libérales, spécifiquement celles scientifiques et techniques, la clientèle libérale fait confiance non plus seulement au praticien mais aussi et surtout aux appareils acquis par le praticien pour l'exercice de son art. A titre illustratif, nous pouvons citer les professions de chirurgie dentaire, de radiologie qui requièrent certes l'expertise du praticien, mais surtout la qualité des équipements. Soulignons opportunément ici qu'il n' y a pas que le critère général - le lien de confiance - qui a connu successivement une crise suivie d'une mue, d'un rajeunissement, il y a aussi les critères dérivés qui ont connu cette métamorphose. 2) Le rajeunissement des critères dérivés26. Pour une meilleure analyse de ces mutations, examinons tour à tour les critères de désintéressement et d'indépendance. Si l'on s'en tient à l'acception traditionnelle, il apparaît clairement que les professions libérales sont aujourd'hui moins désintéressées qu'elles ne l'étaient autrefois. Mais ce caractère n'a pas pour autant baissé pavillon et ce, malgré la forte commercialisation des activités civiles. Il est toujours présent et prégnant dans les professions libérales, où il sert de trait distinctif entre les activités commerciales et celles libérales61(*). Seulement, il a pris un autre visage, le désintéressement ne signifie plus seulement absence de recherche de lucre, de bénéfices ou bien encore inexistence d'un esprit mercantile. Désormais, il signifie aussi disponibilité du praticien, son dévouement et sa diligence62(*). Vu sous le seul prisme de la conception classique, le caractère de désintéressement s'est totalement dégradé. Mais en intégrant les mutations actuelles, ce caractère sert toujours de pilier aux professions libérales, à la seule différence qu'il a pris une autre signification. Toute aussi similaire est la situation du critère d'indépendance. Dans la conception classique des professions libérales le praticien libéral doit être indépendant, autonome, libre de toute sujétion pour exercer avec le maximum de diligence son art et procurer aussi une prestation de qualité à sa clientèle, devenue avec la matérialisation des activités libérales, très exigeante. Mais ce fondement se trouve suffisamment menacé de nos jours, dans la mesure où on assiste à une infiltration pernicieuse, du salariat dans cette tour d'ivoire que constituent les professions libérales63(*). Le salariat est regardé avec beaucoup de défiance par la doctrine qui estime qu'avec son cortège de sujétions, il risque de rogner l'indépendance des praticiens libéraux. Mais à contre courant de ces inquiétudes, s'élèvent aussi en doctrine des voix qui, tout en relevant les dangers du salariat soulignent néanmoins sa compatibilité avec les professions libérales64(*). De manière plus précise, un praticien libéral peut parfaitement exercer son art dans le cadre d'un contrat de travail et demeurer indépendant65(*). La subordination juridique, caractéristique de tout contrat de travail, signifie que le subordonné est assujetti à des conditions particulières de travail, reçoit donc des instructions ou des ordres. Mais « la perception d'une rémunération forfaitaire ne suffit pas à conférer à celui qui la reçoit le qualité de partie à un contrat (de travail) dès lors qu'il ne se trouve pas dans un rapport de subordination à l'égard de celui qui la lui verse »66(*). Autrement dit, toute relation de travail du praticien avec son confrère repose sur une base contractuelle, mais n'est pas forcément un contrat de travail, dans la mesure où le praticien garde une indépendance technique, malgré la dépendance matérielle67(*). L'indépendance technique postule la maîtrise par le praticien des conditions d'exercice de son art. S'il dépend matériellement du praticien, il ne reçoit pas pour autant d'ordre ni d'injonction de ce dernier. L'avocat demeure maître de l'argumentation qu'il développe, le médecin fait son diagnostic en toute liberté68(*). Tous ces développements traduisent bien l'idée d'une dépendance matérielle du praticien et son indépendance technique, donc d'une comptabilité possible entre le salariat et les professions libérales. Le salariat ne porte donc pas toujours atteinte à l'indépendance du praticien libéral. Les mutations opérées sur le plan économique et scientifique ont corrompu et érodé les fondements classiques des professions libérales. Le lien d'intimité s'est évaporé, la recherche du lucre et de la rentabilité ont supplanté l'ambition d'assistance universelle, l'indépendance n'existe plus que dans une portion congrue. A l'analyse donc, la matérialisation des professions libérales est protéiforme, elle a plusieurs visages et se manifeste de diverses manières. * 61 VAGOGNE (J), op. cit., p.19 : « Les professionnels libéraux se doivent de concilier tradition de désintéressement et recherche d'une rémunération dans leur activité. La ligne de partage des eaux est donc parfois floue entre activité commerciale et activité libérale ». * 62 VIALLA (F), op. cit., n° 45 p. 47,. * 63 BARTHÉLEMY (J), op. cit., 3450. * 64 BARTHELEMY (J), Ibid. L'auteur estime qu'il y a compatibilité entre salariat et l'exercice des professions libérales. * 65 BARTHELEMY (J), Ibidem. * 66 Cass., Soc. 7 Mars 1979, Tapon C/ Cuasse, Bull. Civ., n° 205. * 67 BARTHELEMY (J), op. cit. * 68 BARTHELEMY (J), Ibid. |
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