La notion de fonds libéral en droit camerounais( Télécharger le fichier original )par Sébastien AGBELE NTSENGUE Université de Yaoundé 2 - Diplôme d'études approfondies en droit des affaires 2008 |
2) L'insuffisance des critères dérivés22. Dans la conception classique des professions libérales, les prestations libérales devaient être intellectuelles et non manuelles, le praticien libéral devait être indépendant et exercer son art de manière désintéressée. Mais, sous l'influence des mutations économiques et scientifiques, tous ces trois critères se sont profondément fissurés, perdant au passage leur épaisseur et leur rayonnement d'antan52(*) . Le caractère intellectuel de la prestation libérale est aujourd'hui démenti par la pratique. D'ailleurs, ce caractère relève plus d'un préjugé contre le travail manuel, que d'une véritable rigueur scientifique, et s'il a aujourd'hui perdu en prestige, c'est parce que certaines professions libérales allient aujourd'hui travail manuel et travail intellectuel53(*). Pour mieux s'en convaincre, il suffit pour cela de considérer l'activité de chirurgie dentaire, laquelle allie parfaitement travail de l'esprit et travail manuel. « Le second critère, celui d'indépendance, a longtemps servi de prétexte à certains pour enfermer la profession libérale dans une tour d'ivoire »54(*). Mais ce critère d'indépendance, à l'instar des autres, subit aujourd'hui de nombreux coups de boutoir, de nombreuses attaques. 23. La première de ces attaques résulte de l'intervention étatique dans l'exercice des professions libérales. L'Etat y intervient à travers des organismes - des ordres - pour contrôler l'exercice de ces activités et pour s'assurer que les professionnels libéraux remplissent correctement les missions de service public à eux confiés. Le contrôle exercé par ces organismes a pour but de maintenir le prestige des professions libérales et d'éliminer les indignes afin de créer une autocritique et une autodiscipline corporative55(*). L'interventionnisme étatique est une attaque de moindre importance par rapport au salariat qui rogne véritablement l'indépendance des professionnels libéraux. Aujourd'hui, le salariat et les sociétés commerciales sont entrain de prendre d'assaut les forteresses de l'univers libéral. Avec l'introduction du salariat dans le monde libéral, il se pose un problème majeur relatif à l'indépendance des professionnels libéraux. De nombreux auteurs affirment que le salariat porte en lui les germes d'une forte dépendance, dans la mesure où tout contrat de travail implique la dépendance de l'employé à l'égard de l'employeur56(*). Le salariat n'est plus regardé avec autant de défiance, certainement parce qu-il comporte beaucoup de vertus. Le salariat permet en effet au jeune praticien qui n'a pas assez de moyens, ou même une charge de pouvoir exercer son art. En outre, le salariat fait bénéficier à la partie la plus faible - à savoir le praticien employé - la protection du droit du travail et d'une meilleure couverture sociale57(*). Quelque vertueux que puisse paraître l'introduction du salariat dans le monde libéral, celle-ci n'en comporte pas moins des risques énormes d'atteinte à l'indépendance des professionnels libéraux. Donc, de même que l'idée d'une indépendance absolue du praticien libéral n'est plus convaincante en tous points, de même que l'idée de l'exercice désintéressé par ce dernier de son art est à reconsidérer. 24. Le désintéressement est l'un des piliers classiques des professions libérales. Il signifie que le praticien libéral gratifie son client d'une prestation, lequel lui fait honneur en lui donnant une gratification. Mais depuis toujours, des voix se sont élevées pour critiquer une conception trop idéaliste de l'esprit libéral. Nombre d'auteurs non juristes ont d'ailleurs raillé ce trait à l'époque58(*). Ces critiques sont devenues encore plus véhémentes de nos jours. Ce caractère est démenti par la pratique et ne serait aujourd'hui qu'une vue de l'esprit. Les praticiens libéraux recherchent en effet le lucre dans l'exercice de leur activité, ce qui rend donc flou la ligne de partage entre les professions libérales et celles commerciales. Les professionnels libéraux perçoivent bien, à l'instar des commerçants, une rémunération qui est pudiquement appelée « honoraire ». Aujourd'hui, les honoraires apparaissent de plus en plus élevés et tendent, sinon à être égaux à la prestation libérale, du moins à être supérieures à celle-ci. Et même dans l'hypothèse aujourd'hui rare où un déséquilibre pourrait apparaître entre la prestation libérale et les honoraires, ce déséquilibre est corrigé, pour certaines professions, libérales, par le versement d'autres rémunérations telles que les émoluments et les dépens59(*). L'esprit lucratif est aujourd'hui si accentué dans le monde libéral à cause de la matérialisation croissante des professions libérales. En effet, les professionnels libéraux consentent des investissements importants pour acquérir des équipements de pointe. Par ces dépenses, ils entendent procurer une meilleure satisfaction à leur clientèle libérale devenue très exigeante. Ayant consenti ces efforts financiers, les professionnels libéraux entendent bien en tirer meilleur profit ; ceci passe par la perception des honoraires élevés, qui sont ni plus ni moins de véritables rémunérations60(*). * 52 VIALLA (F), op. cit., p. 33. * 53 VIALLA (F), Ibid., p. 33. * 54 VIALLA (F), Ibid., p. 34. * 55 SAVATIER (R), Les métamorphoses ..., 2e série, chap. VII, p. 198. * 56 VAGOGNE (J), Les professions libérales, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? 1984, p. 14. * 57 BARTHELEMY (J), Contrat de travail et activité libérale, JCP 1990, chron. , 3450. * 58 Ainsi, Rabelais écrivait-il dans le tiers livre à propos d'une discussion entre ·panurge et le Docteur Rondibilis : « Panurge s'approcha de luy et luy mit en main sans mot dire quatre nobles à la rose. Rondibilis les print très bien, puis luy dist en effroy, comme indigné : " hé, Hé, Hé ! Monsieur, il ne fallait rien. Grand mercy toutefois. De méchantes gens jamais je ne prends rien. Rien jamais des gens bien je ne refuse. Je suis toujours à votre commandement. - en poyant, dist Panurge. - cela s'entend « respondit Rondibilis ». * 59 V. loi n° 90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la profession d'avocat ; décret n°79/448 du 05 novembre 1979 portant organisation de la profession d'huissier de justice ; décret n° 95/034 du 24 février 1995 portant organisation de la profession de notaire. * 60 DAIGRE (J-J), Patrimonialité des clientèles civiles : du cabinet au fonds libéral, Droit et Patrimoine, Déc. 1995, n° 33, p. 36 et S l'auteur affirme que : « la profession libérale est depuis longtemps, un métier dont on vit. La rémunération est la contre partie d'un travail ». |
|