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La notion de fonds libéral en droit camerounais

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par Sébastien AGBELE NTSENGUE
Université de Yaoundé 2 - Diplôme d'études approfondies en droit des affaires 2008
  

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B/ Les conséquence de la commercialisation des activités libérales

122. Ces conséquences touchent non seulement les praticiens (1), mais également l'avenir même du droit commercial (2).

1) L'apparition à la charge du praticien d'obligations d'essence commerciale

La commercialisation des activités libérales crée à la charge des praticiens libéraux des obligations d'essence commerciale, que nous ne saurions entièrement énumérer ici. Nous ne retiendrons que les plus significatives. Il s'agit notamment de l'obligation faite actuellement aux praticiens libéraux de se faire immatriculer au registre du commerce, de tenir une comptabilité, de payer certains impôts. Examinons tour à tour chacune de ces obligations.

A l'origine301(*), le registre de commerce était exclusivement réservé aux commerçants. C'est de là qu'il tient son appellation de registre de commerce302(*), mais il n'était pas connu dans les législations ignorant la distinction entre le droit civil et de droit commercial303(*) comme l'Angleterre. Progressivement en France, ce registre a été étendu aux non commerçants, même si cette extension n'a eu qu'une portée limitée puisqu'elle ne s'est faite dans un premier temps qu'au profit des GIE et dans un second temps aux sociétés civiles304(*).

123. Une évolution similaire s'est faite en Afrique avec l'Acte Uniforme OHADA, même s'il est vrai que les prémices de cette évolution remontent bien avant le traité OHADA305(*). S'inspirant du droit français, le législateur OHADA poursuivra dans la même logique en étendant le registre de commerce306(*) à tous les GIE ; que le GIE soit civil ou commercial. Comme en droit français, cette extension n'est que partielle, elle ne vise pas tous les professionnels à l'instar des artisans, des agriculteurs, des professionnels libéraux, etc. au contraire, le droit OHADA plutôt régressé par rapport au droit français, puisqu'il n'étend pas le registre du commerce et du crédit mobilier aux sociétés civiles307(*).

Le registre de commerce ne porte plus parfaitement son nom, il n'est plus une institution réservée aux seuls commerçants, dans la mesure où il a été étendu à diverses catégories de non commerçants. Cette extension contribue à atténuer le particularisme du droit commercial. Mais, la distinction droit civil, droit commercial se fait plus ténue avec l'obligation faite aux commerçants de tenir une comptabilité.

124. Considérée par certains comme l'algèbre ou la mathématique du droit, la comptabilité est apparue avec les besoins du commerce. Progressivement, elle va apparaître comme étant un meilleur outil de gestion et de pilotage pour tous les professionnels, qu'ils soient commerçants ou non. C'est sans conteste pour cette raison que la tenue des documents et livres comptables a été imposée à certains professionnels libéraux notamment les huissiers de justice308(*), les notaires309(*), les avocats310(*), les professionnels médicaux et paramédicaux.

126. Dans le même sens, le législateur fiscal oblige les contribuables du régime de base, du régime simplifié et du régime du réel à tenir une comptabilité et à déposer conséquemment une déclaration statistique et fiscale auprès de leur centre de rattachement ; celle-ci comprend tous les « états financiers ». L'article 7 de l'Acte Uniforme OHADA régissant le droit comptable dispose que les « états financiers de synthèse regroupent les informations comptables au moins une fois par an sur une période de 12 mois appelés exercice ». Suivant le système dans lequel se trouve l'entreprise, la consistance des états financiers ne sera pas la même, mais globalement, les entreprises notamment celles du régime du réel seront tenues de produire le bilan, le compte de résultats, le Tableau financier des ressources et des emplois (TAFIREE), les états annexes et les états supplémentaires.

L'exigence de ces différents documents comptables aux praticiens ne relève pas d'un simple effet de mode. La comptabilité présente une utilité non seulement pour les tiers qui traitent avec le praticien, mais également pour le praticien qui aimerait connaître si le résultat de son activité est bénéficiaire ou déficitaire311(*) et pour l'Etat qui doit pouvoir déterminer le montant des impôts dus par le praticien.

127. Le paiement des impôts par les professionnels libéraux se justifie par l'idée de réalisme et d'autonomie du droit fiscal312(*). Même si l'on admet volontiers la thèse selon laquelle la prestation libérale constitue une libéralité, il y aura toujours imposition, dans la mesure où le fisc n'apprécie guère les libéralités ; c'est pourquoi celles-ci sont fortement taxées. C'est également la raison pour laquelle le législateur fiscal exige des praticiens libéraux qu'ils paient la patente313(*), déclarent la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) collectée sur leurs différentes prestations et paient l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) au titre des bénéfices non commerciaux réalisés314(*). Mais de toutes ces impositions, c'est la TVA qui a suscité un intérêt particulier en doctrine.

Selon l'article 126 (1) du CGI « seules les opérations accomplies dans le cadre d'une activité économique effectuée à titre onéreux sont assujetties à la TVA ». Cette délimitation législative du champ d'application de la TVA a donné lieu à de nombreuses interrogations doctrinales. La question qui s'est toujours posée en doctrine était celle de savoir si les activités libérales devaient être assujetties à la TVA.

128. Si l'on s'en tient à la conception classique des professions libérales que nous avons déjà évoquée, les activités libérales ne devraient normalement pas subir l'imposition à la TVA parce qu'elles ne sont pas effectuées à titre onéreux : la prestation libérale constitue une libéralité du praticien libéral à son client. Bien plus, l'imposition à la TVA ne se justifie pas parce qu'il n'est pas certain que les activités libérales relèvent du secteur économique315(*).

En revanche, si l'on tient compte du fait que les praticiens libéraux s'investissement aujourd'hui dans une quête effrénée du lucre, l'on est fondé à émettre quelques réserves par rapport à la thèse de l'exemption de TVA des professions libérales. Pour Marcel RAFFRAY, qui s'appuie sur certaines jurisprudences, les activités libérales doivent faire l'objet d'une imposition à la TVA si elles s'insèrent dans le cadre fixé par la loi316(*). Le législateur camerounais a, en plus de donner un critère général d'imposition à la TVA317(*), énuméré certaines activités économiques passibles de TVA ; et parmi celles-ci, on retrouve « ...les activités de production, d'importation, de prestation de services et des distribution, y compris les activités extractives, agricoles, agro-industrielles, forestières, artisanales et celles des professions libérales ou assimilées »318(*). Par une formule dénuée de toute ambiguïté que, le législateur a voulu dissiper toute équivoque sur l'assujettissement des activités libérales à la TVA. Si le législateur fiscal a fait entrer les activités libérales dans le secteur économique, c'est sans conteste parce que la recherche des bénéfices y apparaît de plus en plus comme étant la finalité première, ce qui est contraire à leur vocation philanthropique originelle.

Toutefois, il faudrait signaler que la commercialisation des professions libérales a aussi pour conséquence majeure, outre qu'elle peut justifier certaines impositions traditionnellement réservées aux commerçants, elle peut également entraîner un nouveau découpage disciplinaire.

2) La commercialisation des activités libérales, un facteur d'émergence de nouveaux clivages disciplinaires.

129. La commercialisation des activités civiles a amené les « commercialistes » et les « civilistes » à repenser les frontières communes entre le droit civil et le droit commercial, bref, à procéder à de nouveaux découpages disciplinaires tant à l'intérieur du droit commercial qu'en dehors de cette branche du droit319(*). A l'intérieur du droit commercial, un nouveau découpage s'impose en raison des revendications autonomistes de certaines de ses « provinces » comme le droit maritime, le droit bancaire320(*) et des tendances d'émancipation de certaines de ses branches comme les procédures collectives et le droit des sociétés commerciales321(*). Certains auteurs proclament simplement la mort de cette discipline 322(*) et lui proposent même un successeur qui n'est pas toujours le même selon les thèses en présence.

130. Pour certains, le droit commercial est appelé à disparaître et à céder sa place au droit économique, entendu non pas comme droit des interventions de la puissance publique dans l'économie privée, 323(*) mais plutôt comme droit de l'entreprise 324(*). Mais pour d'autres, le successeur du droit commercial doit être le droit des affaires entendu soit comme le droit des relations entre entreprises325(*), soit comme l'ensemble des règles relatives aux activités économiques telles qu'elles se présentent aujourd'hui326(*).

131. C'est le lieu de signaler ici que, ni le droit des affaires, ni le droit économique n'ont encore reçu de consécration327(*) en droit positif, même si l'usage du droit des affaires est de plus en plus répandu : de nombreux ouvrages s'intitulent Droit des Affaires au lieu du droit commercial. Mais la consécration de l'appellation droit des affaires est en train de s'opérer en droit comme en témoigne la signification du traité OHADA : il s'agit du traité pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Le traité traite donc l'harmonisation du droit des affaires plutôt que du droit commercial.

Toutefois, l'on peut se poser la question de savoir ce qui sous-tend une telle mutation terminologique. Incontestablement, le législateur OHADA a voulu saisir toutes les activités professionnelles qu'elles soient commerciales ou non ; L'essentiel étant qu'elles contribuent à la création des richesses. Cette mutation terminologique pourrait entraîner à terme la reconnaissance par législateur africain de la notion de fons libéral, ce qui pourrait constituer un grand pas vers l'idéal actuel d'unification du droit privé. Mais l'émergence de la notion de fonds libéral apparaît plus nette encore avec la contribution législative à l'érosion, des piliers classiques des professions libérales.

* 301 Loi française du 18 mars 1919 institué pour la première fois le registre de commerce.

* 302 KONE (M), Ibid., p. 40.

* 303 KONE (M), Ibidem.

* 304 Article 3 al. 1er ordonnance n° 67-821 du 23 Septembre 1967 portant création du GIE.

* 305 KONE (M), Ibid.

* 306 Avec l'OHADA, le registre de commerce est devenu le registre du commerce et du crédit mobilier.

* 307 KONE (M), Ibid., p. 41.

* 308 Selon l'article 26 (1) du décret n° 79/448 du 5 novembre 1979, les huissiers doivent tenir : un livre-journal, un grand-livre, un carnet à souches, un répertoire général en matière civile et un répertoire général en matière pénale.

* 309 Pour les documents comptables exigés des notaires, voir l'article 50 du décret n° 95/034 du 24 février 1995.

* 310 Selon l'article 33 (1) de la loi n° 90/059 du 19 décembre 1990 chaque avocat doit tenir un livre-journal, un grand-livre, et un carnet à souches.

* 311 L'article 17 du décret n° 79/448 du 5 novembre 1979 régissant la profession des huissiers de justice parle de bénéfice réalisé par l'huissier. La notion de bénéfice, donc de recherche du lucre, est normalement de l'essence du commerce.

* 312 COZIAN (M), Précis de fiscalité des entreprises, Paris, LITEC, 28e Ed., 2004-2005, p. 6.

* 313 L'article 161 (annexe I) du CGI soumet les activités libérales à la contribution des patentes

* 314 V. art. 54 et s du CGI.

* 315 RAFFRAY (M), Les professions libérales et la TVA, JCP, I, 1975, 2674.

* 316 Ibid.

* 317 V. article 126 (1) du CGI.

* 318 V. article 126 (2) du CGI.

* 319 KONE (M), op . cit., n° 65 p. 42.

* 320 KONE (M), Ibid. , pp. 43 - 44.

* 321 KONE (M), Ibid., pp. 46 - 47.

* 322 CARILLAC (M), op. cit ; p. 332.

* 323 KONE (M), ibid., n° 83 p. 50.

* 324 CHAMPEAUD cité par MAMADOU KONE, Ibid., p. 51.

* 325 PALLUSSEAU cité par MAMADOU KONE, Ibid. , p. 53.

* 326 MERCADAL (B) et MAQUERON (P), Le droit des affaires en France, Ed. FRANCIS LEFEBVRE 2000, n°8., Cité par KONE (M) op. cit.

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