v CONCLUSION
Notre société idéologiquement
égalitaire mais inégalitaire dans les faits propose à
chacun de ses membres les mêmes idéaux, mais refuse à
beaucoup la possibilité de les réaliser. La déviance, les
conduites délinquantes ou criminelles deviennent ainsi une des issues
possibles à une contradiction d'ordre général.
En effet, sur le plan législatif, le
Sénégal a fait des avancées significatives dans la
protection des droits fondamentaux des détenus si l'on compare à
d'autres pays qui sont dans les mêmes conditions de développement
historique. A ce niveau, il semble évident qu'on peut évoquer
l'adage : « Nihil Novi - Sub Sole » car pour
l'essentiel le cadre est trouvé et depuis fort longtemps.
Dans l'espace francophone qui est le nôtre, le droit
pénal français a été reprise dans nos
législations après l'accession à l'indépendance.
Au niveau externe, bien évidemment, d'importants
instruments ont été adoptés qui sont la synthèse
des différents systèmes générés par les
différentes aires culturelles et dont les plus importants ont pour
nom :
Ensemble de règles minima pour le traitement des
détenus ;
Déclaration universelle des droits de l'homme de
1948 ;
Principes relatifs à la présentation des
exécutions extra-judiciaires arbitraires et souverains (ONU
1990) ;
Convention contre la Torture et aux peines ou traitements
cruels et dégradants (résolution 39-46 de l'AG des Nations-Unies
du 10 décembre 1984) ;
Ensemble des principes pour la protection de toutes les
personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'un
emprisonnement (ONU, 1985, 1988).
Au niveau interne, il paraît essentiel de citer la
Constitution sénégalaise, le code pénal de
procédure pénale.
En effet, il demeure que la Constitution continue à
s'attacher à un certain nombre de principe qu'elle tient pour
imprescriptibles et que nul ne conteste, le respect de l'homme dans son
intégrité corporelle, dans sa dignité et dans ses
libertés vient en tête de ces principes dont la législation
pénale et la jurisprudence ne cessent d'affirmer le caractère
intangible.
Le code pénal et le code de procédure
pénale affirment des normes essentielles qui constituent l'un des
principaux fondements de la politique pénale, laquelle repose , en
outre, sur une appréciation présumée de
l'efficacité de le peine dans les diverses fonctions qui lui sont
attribuées (principalement l'intimidation ou le dissuasion et
l'amendement ou la resocialisation. Le législateur affirme à
travers ces codes le respect des règles juridiques fondamentales que
sont les principes de l'égalité, d'égalité et de
personnalité des peines. Enfin, depuis quelques années,
inspiré par le souci de différencier et d'élargir la gamme
des peines existantes, le législateur sénégalais s'est
lancé dans une progressive humanisation des peines de manière
à permettre aux tribunaux une meilleure individualisation de la
sanction, en fonction de la personnalité des délinquants et du
danger social qu'ils représentent.
A cet effet, nous retenons les dernières mesures
législatives instituant le juge de l'application des peines ainsi que de
nouvelles sanctions alternatives à l'emprisonnement et de nouveaux mode
d'aménagement des peines.
Le Sénégal a certes libéré des
initiatives et réalisés des progrès législatifs,
mais il faut ajouter que la protection demeure encore inachevée car la
durée de la détention provisoire en matière criminelle
n'est pas incluse dans le code de procédure pénale. Il y a aussi
la non-intégration de la torture comme délit dans le code
pénal contrairement à la ratification par le
Sénégal de la convention contre la torture. Il faudra donc
parachever les textes car il n'y a pas de protection sans de réelles
bases juridiques.
L'étude a également révélé
une discordance entre les réalités et les textes destinés
à protéger le détenu. Au nombre de ces
réalités figure la précarité des conditions
d'existence des détenus : engorgement et promiscuité,
vétusté des locaux, hygiène et alimentation de mauvaise
qualité, oisiveté et violence carcérales, etc. L'absence
de moyens malgré les efforts des Administrations pénitentiaires
et judiciaire est sans doute la principale cause, mais elle n'explique pas
tout. Une politique hardie, imaginatrice et capable de déployer des
initiatives génératrices de fonds reste encore à
inventer.
A cela s'ajoute une opinion publique très peu
réceptive à l'idée de protection et de promotion desdits
droits. En effet, pour la grande majorité de la population, le
délinquant doit être non seulement châtié mais
également exclu, à la limite, de la communauté. Ainsi,
d'énormes efforts restent à faire pour changer les
mentalités car au-delà du détenu, il y a
« l'homme dont la dignité est sacrée ».
L'étude a aussi montrer que l'absence d'une politique
post-pénale est à l'origine du taux assez élevé des
récidivistes.
C'est pourquoi, dans une vision dynamique, nous avons formuler
des recommandations qui pourraient rendre effectives les pistes d'une
pénologie sénégalaise pragmatique. Ces recommandations
n'ont pas l'ambition de décrire un système idéal-type.
Elles visent uniquement à encourager la prise en charge
effective des exigences de la détention, par le respect des droits de
l'homme. Ce dernier, sous toutes ces formes est une bataille de chaque jour
contre le cycle de l'impunité et les rigueurs carcérales. Pour
qu'un jour aucun détenu ne soit traîné dans les rues,
menottes aux poignets, pour aller répondre devant les tribunaux - pour
que plus jamais, des citoyens en difficultés avec la loi ne soient
dénudée puis jetés dans des lieux insalubres, infectes et
très dégradants pour un homme. Pour qu'aussi des initiatives
soient prises pour assurer la qualité de la restauration des
détenus.
Pour qu'enfin, ceux qui purgent des peines plus ou moins
longues, puissent bénéficier d'un minimum d'attention, quant
à leur prise en charge (alimentation, soins de santé,
habillement, lieu de couchage).
Le volet femme, mineurs et personnes âgées,
mérite une attention particulière et devrait faire l'objet d'une
étude spécifique.
Le changement de régime carcéral par
l'humanisation des prisons est une question d'actualité car l'on admet
de plus en plus que « l'humanisme pénitentiaire est compatible
avec le bon ordre et la sûreté des prisons et qu'en sauvant
l'avenir de ceux qu'elle punit, la société se protége
elle-même » et à moindre coup. La façon dont une
société traite tous ses membres les plus vulnérables est
un « reflet de sa santé et de sa conscience
sociale ». Au total, ici gît un enjeu démocratique.
C'est « à l'aune de ses prisons, en effet, que l'on juge une
démocratie » selon Alexis De Tocqueville, écrivain
politique français du 19ème siècle.
La protection des droits fondamentaux des détenus au
Sénégal fait l'objet d'un attention particulière de la
part des spécialistes et de certaines ONG de défense des droits
de l'homme. Ce qui incline à croire que dans un avenir pas très
lointain, des mesures correctives pourraient être prises. Mais
l'essentiel est de ne pas se décourager. La lutte contre les violations
des droits des détenus est une bataille constante contre le poids des
habitudes.
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