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L'Arctique : la problématique du prolongement du plateau continental par les états côtiers.

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par Meryem QORCHI
Université de Strasbourg, faculté de droit - Master II : droit international public et privé (section public). 2011
  

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PARTIE II : L'article 76 de la Convention de Montego Bay

Comme on l'a bien vu dans une première partie, chacun des Etats côtiers de l'océan Arctique à l'intention de déposer une demande à la Commission à fin de matérialiser sa volonté de prolonger son plateau continental. Ce droit de prolonger son plateau continental est prévu par la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay de 1982, tout particulièrement par les dispositions de l'article 76.

Il s'agit d'un article qui a connu une certaine ambigüité, mais aussi qui a fait l'objet de plusieurs travaux, par des auteurs, concernant son interprétation (A). Toutefois, la Commission, l'organe commérèrent pour traiter les demandes de prolongement des plateaux continentaux, ne peut rester à l'écart de cette question et doit aussi faire parvenir son travail et ses propos (B).

A. Interprétation de l'article :

La valeur des ressources minérales a rendu essentielle la détermination des règles juridiques précises édictées pour la réalisation d'une sécurité juridique. Cette mise en oeuvre de ces règles relève d'un grand arsenal juridique, il s'agit notamment :

· Les actes unilatéraux, tels la proclamation Truman sur le plateau continental du 28 septembre 1945 et aussi les différents textes et législations qui ont suivi cette date et jusqu'à la première Conférence de Genève ;

· Les sources conventionnelles, on trouve la Convention de 1958 sur le plateau continental ou celle de 1982 sur le droit de la mer et précisément dans sa partie VI ;

· Les sources coutumières ;

· La jurisprudence, qui est le berceau de la matière par sa richesse et qui a participé d'un droit coutumier.

Le plateau continental se distingue des autres zones maritimes en ce qui est un prolongement naturel, une attache naturelle si on reprend le terme de Laurent LUCCHINI37(*). Qu'il s'agisse de la mer territoriale, de la zone contiguë, de la zone économique exclusive ou de la haute mer, sont des créations juridiques dépourvues de toute sorte d'attache naturelle, alors que le plateau continental est ancré dans une réalité physique38(*).

L'article 76 de la Convention de Montego Bay se qualifie par sa complexité mais aussi par l'impressionnisme de ses règles. Avec cet article, on se trouve placé face à une particularisation de la règle de droit, à son individualisation39(*). Autrement dit, les règles sont bien appelées à s'appliquer à des situations particulières, pour cela, elles ont été diversifiées pour bien s'accorder avec lesdites situations.

L'évolution profonde de la définition du plateau continental et celle que reflète l'article 76 concerne à la fois : les titres juridiques que l'Etats côtier peut détenir sur ce plateau, le point qui sera examiné dans ce travail, d'un côté, et la méthodologie et les techniques propres à la fixation des limites extérieures de celui-ci.

En principe, le pouvoir que possède l'Etat côtier de faire valoir un titre est une condition indispensable à toute prétention ayant pour but l'exercice de souveraineté ou des droits souverains sur une zone maritime déterminée.

Il est évident, toutefois, de rappeler que ce titre sur un ou des espaces maritimes a comme base juridique la souveraineté que l'Etat côtier exerce sur son territoire terrestre.

A ce titre on peut rappeler l'arrêt redu 18 décembre 1951 concernant l'affaire des Pêcheries anglo-norvégiennes de la Cour Internationale de Justice, qui souligne que :

« C'est la terre qui confère à l'Etat riverain un droit sur les eaux qui baignent ses côtes »40(*).

Ou encore, dans l'affaire sur le plateau continental de la Mer du Nord, arrêt de 1969 rendu aussi par la CIJ :

« Le droit de l'Etat riverain sur son plateau continental a pour fondement la souveraineté qu'il exerce sur le territoire [...] »41(*).

Selon les dispositions de la Convention de 1958 :

« [...] l'expression plateau continental est utilisée pour désigner le lit de la mer et le sous-sol des régions sous-marines adjacentes aux côtes, mais situées en dehors de la mer territoriale, jusqu'à une profondeur de 200 mètres ou, au-delà de cette limite, jusqu'au point où la profondeur des eaux sur jacentes permet l'exploitation des ressources naturelles desdites régions [...] ».

Si on analyse cet article, on constate qu'il met en évidence un double critère : d'abord, un critère fixe, qui est celui de l'isobathe des 200 mètres ; ensuite, un critère évolutif, qui est celui de l'exploitabilité42(*).

Sur ce second critère il y avait une grande réticence des Etats en raison que cette exploitation ouvrait la voie à une appropriation progressive des fonds marins, et c'est d'ailleurs pour palier cet inconvénient, entre autres, que la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer a été organisée.

Par conséquent, on a admis un zone économique exclusive d'une largeur de 200 Milles marins ce qui peut nous poser un dilemme :

· Soit qu'on adopte la solution de l'unité, c'est-à-dire intégration du plateau continental dans la ZEE de 200 milles marins ;

· Soit qu'on est pour la solution de dualité, c'est-à-dire maintien de l'autonomie du plateau par rapport à la nouvelle zone, ce qui pourra donner une possibilité d'un élargissement au-delà des 200 milles.

Quant à la CMB de 1982, l'article 76 exprime le titre alternatif que peut posséder un Etat sur le plateau adjacent à ses côtes. Ce sont certes, deux titres différents de ceux établis par la Convention de Genève, mais, comme ceux prévus par la Convention de 1958, l'un est à limite fixe, et l'autre, à limite variable.

Selon l'article 76, prg. 1 : « jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure ».

Ce titre peut être exercé à partir de la limite extérieure de la mer territoriale, même si le calcul de la distance des 200 milles est effectué à partir des lignes de base. Cette distance est de nature conventionnelle, alors il s'applique aux Etats parties à la Convention de 1982. Mais, la Cour Internationale de Justice a estimé qu'il possédait aussi une valeur coutumière. C'est ce qu'elle a souligné dans son arrêt de 1985 dans le litige du plateau entre Malte et la Libye43(*), en prévoyant :

« Le critère de distance doit dorénavant s'appliquer au plateau continental comme à la zone économique exclusive, et cela indépendamment de la disposition relative à la distance au paragraphe 1 de l'article 76 »44(*) .

En d'autres termes, la distance étant ainsi reconnue comme une règle coutumière est de ce fait opposable à l'ensemble des Etats , qu'ils soient parties ou non à la Convention de 1982 et en l'occurrence aux Etats-Unis qui n'ont pas encore signé ladite Convention.

Si on part du point du départ à savoir, la proclamation Truman de 1945 sur le plateau on trouve la citation suivante : «  le plateau continental peut être regardé comme l'extension de la masse terrestre de la nation riveraine », on constate alors la naissance, bien que discrète, de la notion de prolongement naturel. D'un autre côté, dans le paragraphe 1 de l'article 76 nous donne une définition plus claire :

« Le plateau continental d'un Etat côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire terrestre de cet Etat jusqu'au rebord externe de la marge continentale, ou jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance inférieure ». Ainsi se poursuivent l'ensemble des dispositions de cet article dans ces éléments de définition à part le paragraphe 10.

La remarque qui peut bien être faite à ce niveau est celle concernant la naissance d'un titre aura pour conséquence de dissocier, au-delà des 200 milles, le régime appliqué aux fonds marins sur lesquels peuvent s'exercer des droits souverains de l'Etat côtier et le régime de la colonne d'eau surplombant ces fonds demeurera celui de la haute mer.

On peut se poser une question, cette marge continentale, quels sont les éléments qui la composent ? Le paragraphe 3 du même article vient amener une réponse en précisant que :

 «  La marge continentale est le prolongement immergé de la masse terrestre de l'Etat côtier; elle est constituée par les fonds marins correspondant au plateau, au talus et au glacis ainsi que leur sous-sol. Elle ne comprend ni les grands fonds des océans, avec leurs dorsales océaniques, ni leur sous-sol », et c'est là où consiste le grand débat.

A première vue, cette disposition est intéressante à un double titre :

D'abord, elle trace la ligne limite45(*) entre les éléments scientifiques et juridiques. En effet, le plateau continental est une composante, parmi d'autres, de la marge continentale, mais en même temps - au sens juridique - l'ensemble physique jusqu'au rebord externe de la marge constitue ce plateau continental.

Ensuite, ce paragraphe exclut « les dorsales océaniques » de la marge continentale. Mais si on consulte le paragraphe 6, celui-ci, il sous entend que « les dorsales sous marines » peuvent faire partie du plateau continental. Ce dernier paragraphe souligne que, la limite des 100 milles au-delà de l'isobathe 2 500 ne peut pas être utilisée sur ces « dorsales sous-marines », mais que les « haut fonds qui constituent des éléments naturels de la marge continentale » continuent de bénéficier des deux limites. Le problème qui rend la problématique plus délicate c'est aucune de ces trois élévations n'est définit dans la Convention de 1982.

Dans un dictionnaire scientifique, pour les dorsales océaniques, c'est la définition suivante qui est donnée :

« Un relief dépassant du fond des océans, atteignant quelques centaines de kilomètres de large ou plus et serpentant sur le fond sur 60 000 km de longueur. Les dorsales océaniques dominent les plaines abyssales de 2 000 à 3 000 m et leurs sommets sont couverts par environ la même épaisseur d'eau »46(*).

S'agissant de l'expression dorsale sous-marine, elle ne figure pas dans un dictionnaire scientifique, puisqu'elle n'est pas un terme scientifique. En effet, l'Organisation Hydrographique Internationale (OHI) a définit le terme:

« [a submarine ridge is an] elongated elevation of the sea floor, with irregular or relatively smooth topography and steep sides »47(*).

Quant à la dorsale océanique, l'OHI la définit comme:

«A long elevation of the deep ocean floor with irregular or smooth topography and steep sides ».

Les deux définitions sont très proches l'une à l'autre, et la différence entre les deux catégories de dorsales semble difficile à détecter. C'est dire que les définitions données par l'OHI ne nous éclairent par vraiment. La seule différence qu'on pourrait bien souligner concerne la localisation des différentes dorsales. Les dorsales océaniques seraient dans les grands fonds des océans tandis que les dorsales sous-marines se situeraient dans le fond de la mer.

Cependant pour bien comprendre la présence de dorsales, un bref examen des travaux préparatoires à la Convention de 1982, semble indispensable.

Au sein de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, la question sur la définition de la limite extérieure du plateau continental a été attribuée au groupe de négociation 6, vu qu'il y en avait sept au total.

L'auteur B. H. Oxman, dans son article qui date de 198048(*), a fait une remarque qui repose sur le fait que la disposition qui fait référence à ce que la marge continentale ne comprend ni les grands fonds des océans ni leur sous-sol (les dorsales n'étaient pas encore mentionnée), lorsque l'article 76 n'était qu'une simple ébauche, avait une note de bas de page qui mettait en exergue que les Etats se mettraient plus tard d'accord sur la question des « dorsales océaniques sous-marines »49(*). En analysant cette note, Oxman a souligné que la formulation sous-entend les dorsales de type océanique, qui sont évidemment différentes de celles sous-marines, autrement dit, il s'agit des dorsales qui ont les mêmes caractéristiques que les grands fonds des océans et leurs sous-sols.

Cet auteur poursuit en expliquant que les négociations prévues dans la note de bas de page ont été accomplies dans la première partie de la neuvième session50(*). Le principe selon lequel la marge continentale n'inclut pas « les grands fonds des océans » a été clarifié par l'addition des mots « avec leurs dorsales océaniques », ce qui veut dire que la limite extérieure du plateau continental dans ce cas est de 200 milles. On remarquera aussi que l'adjectif « sous-marine » qui figurait dans la note de bas de page a disparu dans la version finale du paragraphe 3 de l'article 76.

Durant les négociations, il y a eu plusieurs propositions, de la part des Etats participants, pour la formulation de l'article 76. Parmi ces propositions on peut citer celle de l'URSS qui semble être intéressante : l'URSS s'intéressait à la formule « la marge continentale n'inclut pas les grands fonds des océans avec leurs dorsales océaniques ... », elle l'a trouvait insuffisante pour éviter la creeping jurisdiction sur les dorsales, un phénomène qui consisterait pour un Etat à utiliser les dorsales pour étendre son plateau continental jusqu'au milieu de l'océan, ce qui selon l'URSS pouvait gêner la navigation et autres activités ne reposant pas sur les ressources.

Un autre auteur, A. S. Meese a expliqué qu'un compromis entre les intérêts de l'URSS et ceux des Etats disposant d'une large marge a été trouvé à l'article 76 paragraphe 6 :

« Nonobstant le paragraphe 5, sur une dorsale sous-marine, la limite extérieure du plateau continental ne dépasse pas une ligne tracée à 350 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale. Le présent paragraphe ne s'applique pas aux hauts-fonds qui constituent des éléments naturels de la marge continentale, tels que les plateaux, seuils, crêtes, bancs ou éperons qu'elle comporte ».

La première phrase de ce paragraphe est incluse pour répondre à la crainte de l'URSS sur la creeping jurisdiction. Sur les dorsales sous-marines, la limite de l'isobathe 2 500 n'est pas applicable. La deuxième phrase a été insérée pour les Etats ayant une marge continentale étendue et qui voulaient profiter au maximum de la largeur de leur marge, sans que la présence de « hauts-fonds qui constituent des éléments naturels de la marge continentale » ne les empêche de profiter de la limite de l'isobathe de 2 50051(*).

Cependant, en se basant et se référant aux différentes propositions des Etats, on verra bien que l'expression « dorsale océanique » semble signifier « dorsale située dans les grands fonds des océans et formée de croûte océanique ».

S'agissant de la notion de « dorsale sous-marine », elle semble faire référence à des dorsales qui ne sont pas dans les grands fonds des océans mais qui sont le prolongement naturel du territoire terrestre de l'Etat et qui peuvent donc faire partie de la marge continentale. En effet, comme sur ces dorsales la limite de l'isobathe 2 500 mètres peut repousser la frontière très loin, les rédacteurs ont décidé d'imposer la limite des 350 milles afin d'éviter la creeping jurisdiction.

Quant aux « hauts-fonds qui sont des éléments naturels de la marge continentale », ils sont des élévations qui ne sont pas dorsales, ils font partie de la marge continentale, et ils peuvent être utilisés pour appliquer la limite contraignante des 100 milles au-delà des 2 500 mètres de profondeur52(*).

L'article 76 met en oeuvre une réelle énigme que les auteurs sont restés impuissants pour la résoudre de manière convaincante. Et par conséquent, la Commission des Limites de Plateau Continental sera obligée d'y apporter une réponse puisque, comme on le sait, l'océan Arctique est traversé par de nombreuses dorsales (carte 5). De cela, la question est loin d'être écartée et par conséquent elle fera l'objet d'analyse du prochain paragraphe.

* 37 Académie de la mer ; le plateau continental étendu aux termes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, optimisation de la demande ; Pedone 2004 p. 10.

* 38 Ibid.

* 39 Ibid. p. 11.

* 40 CIJ. Rec., 1951 p. 133.

* 41 CIJ. Rec., 1969 prg. 19 et 39.

* 42 Académie de la mer; op cit. note 38. p. 12.

* 43 Les côtes des deux Etats étant séparées par moins de 400 milles.

* 44 CIJ. Rec. 1985 p. 33.

* 45 Académie de la mer, op cit, note 38. p. 16.

* 46 M. BREUIL, Dictionnaire des sciences de la vie et de la terre ; Nathan, 2007, p. 167.

* 47 H. De Pooter; L'emprise des Etats côtiers sur l'Arctique, op cit, note 15, p. 55.

* 48http://heinonline.org/HOL/LandingPage?collection=journals&handle=hein.journals/ajil71&div=25&id=&page.

* 49 H. De Pooter; L'emprise des Etats côtiers sur l'Arctique, op cit, note 15, p. 57.

* 50 http://heinonline.org/HOL/LandingPage?collection=journals&handle=hein.journals/ajil75&div=20&id=&page

* 51 H. De Pooter; L'emprise des Etats côtiers sur l'Arctique, op cit, note 15, p. 62.

* 52 Ibid, p. 64.

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