L'Arctique : la problématique du prolongement du plateau continental par les états côtiers.( Télécharger le fichier original )par Meryem QORCHI Université de Strasbourg, faculté de droit - Master II : droit international public et privé (section public). 2011 |
B. Les demandes canadienne, danoise et américaine :Le Danemark et le Canada ont ratifié la Convention de 1982, respectivement, en 2003 et 2004. Toutefois ils n'ont pas encore fait parvenir leurs données à la Commission des limites, mais des communications officielles ont été faites qui laissent le sentiment de l'existence de demandes de grande ampleur. Les Etats-Unis, quant à eux, vu qu'ils n'ont pas encore ratifié la C.M.B en raison d'un blocage au sein du sénat, ne peuvent faire parvenir leurs demandes et les soumettre à la Commission. La ratification de la C.M.B a un effet important : elle permet à un Etat de fixer les limites extérieures de son plateau continental au-delà de 200 milles marins (selon l'article 76 cité ci-dessus), mais la demande doit être faite dans les dix ans suivants cette ratification en la soumettant à la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies. Cependant, si un Etat ratifie la Convention et souhaite obtenir la pleine reconnaissance internationale de l'extension de son plateau continental au-delà de 200 milles marins à partir des lignes de base, il doit suivre une procédure définie à l'annexe II de ladite Convention et appliquer les lignes directrices énoncées dans deux documents adoptés par la Commission, il s'agit d'un ensemble de règles (Modus Operandi) et les directives scientifiques et techniques. Le Canada et le Danemark n'ont pas soumis leurs revendications à la Commission mais ils devront le faire respectivement avant 2013 et 2014. Cependant, le site des affaires étrangères du Canada prévoit : « Si la Dorsale Lomonosov, une chaine de montagnes sous-marines, constitue une élévation représentant un prolongement naturel de leur territoire terrestre, le Canada et le Danemark/Groenland pourraient tous deux l'utiliser pour établir les limites extérieures de leurs plateaux respectifs en s'appuyant sur des données bathymétriques, sismiques et de gravité. »29(*). On remarque qu'il s'agit des revendications aussi impressionnantes que celles de la Russie dans lesquelles les parties qualifient la mer de Barents de prolongement immergés de la masse terrestre de leur Etats. Ainsi, on peut remarquer qu'il est fort probable que les revendications russes, canadiennes et danoises se chevauchent au niveau de l'océan Arctique central. A cet égard, le gouvernement canadien et celui de la Russie, en affirmant « leur engagement à l'égard du droit international, y compris le processus juridique structuré décrit dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer »30(*), semblent vouloir remettre à la Commission la décision finale sur la démarcation des limites respectives du plateau continental. De sa part, le gouvernement danois, dans ses observations faites par rapport à la communication russe, avait affirmé qu'il n'existe pas d'informations sûres pour établir que le secteur du plateau continental revendiqué par la Russie au-delà de 200 milles marins dans l'océan Arctique chevauche la partie réclamée par le Danemark. De plus, la possibilité d'extension du plateau continental existe déjà en droit interne. Aux termes de l'article 17 de la Loi sur les océans du Canada (L.C. 1996, ch. 31), le plateau continental délimité par défaut à 200 milles n'exclut pas la possibilité d'un plateau continental étendu. A cet effet, les coordonnées géographiques peuvent, en vertu de cette loi, être fixées pour déterminer des limites extérieures qui dépassent la ligne des 200 milles. Cette mesure pourrait être prise par décret31(*). Cet article prévoit : « Le plateau continental du Canada est constitué des fonds marins et de leur sous-sol -- y compris ceux de la zone économique exclusive -- qui s'étendent, au-delà de la mer territoriale, sur tout le prolongement naturel du territoire terrestre du Canada : c) soit, pour toute partie du plateau continental ayant fait l'objet d'une liste de coordonnées géographiques de points établie sous le régime du sous-alinéa 25a) (iii), jusqu'à la ligne constituée des géodésiques reliant ces points ». Et l'article 25 a) (iii), de la même loi ajoute : « Le gouverneur en conseil peut, sur la recommandation du ministre des Affaires étrangères, prendre des règlements : a) pour fixer les coordonnées géographiques de points permettant de déterminer : (iii) La limite extérieure de la zone économique exclusive ou du plateau continental dans les secteurs désignés par règlement où il estime que l'application des alinéas 13(1)a) ou 17(1)a) ou b) entraînerait un empiétement sur la mer territoriale d'un autre État ou sur un espace maritime assujetti aux droits souverains d'un autre État, placerait la limite à un endroit trop proche du littoral d'un autre État ou serait inopportune pour quelque autre raison [...] ». Afin de pouvoir appliquer les critères de l'article 76 de la C.M.B, la Canada a lancé un programme de relevés bathymétriques et sismiques. Une carte est fournie sur le site des affaires étrangères du Canada qui représente l'ensemble du programme de l'Arctique pour la période 2007-2012 (carte 4). Selon une étude préliminaire, le Canada pourrait revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles, comme indiqué sur la carte. Ces revendications peuvent s'étendre jusqu'au large de l'Alaska32(*), ce qui attise la méfiance des Etats-Unis. Le Danemark et le Canada ont élaboré leurs programmes de recherche. Le premier, en lançant le programme Danish Continental Shelf Project33(*), et le second, par sa mise en oeuvre d'un programme pour soutenir les projets de recherche étatique ou privée, qui est appelé Polar Continental Shelf Project34(*). Les deux Etats ont aussi réalisé des expéditions scientifiques, avec missions communes, dans la région arctique en question. Carte 4 Programme canadien de l'Arctique pour la période 2007-2012
Parmi les cinq Etats côtiers de l'océan Arctique, seuls les Etats Unis ne sont pas partie à la Convention de Montego Bay. Portant, la pression pour obtenir la ratification est assez forte. Le Président G. W. Bush avait, en 2004, désigné la Convention comme l'un des cinq traités dont l'approbation par le Sénat est urgente. Durant la même année, le comité des relations étrangères du Sénat américain a recommandé au Sénat par neuf voix contre zéro de ratifier ladite convention. Ainsi, force est de rappeler qu'il existe un lobbying très important de la part des industriels et des associations écologistes pour que la Convention sur le droit de la mer de 1982 soit ratifiée. Le sénateur américain R. G. Lugar met en évidence : «Russia is already making excessive claims in the Arctic. Unless we are party to the Convention, we will not be able to protect our national interest in these discussions.»35(*) Durant une réunion des cinq Etats côtiers de l'Arctique, à Illulissat le 28 mai 2008, J. Negroponte, numéro deux du département d'Etat américain, a annoncé que les Etats-Unis pourraient ratifier la C.M.B en 2009 et durant sa compagne, le Président B. Obama s'est engagé à ratifier cette Convention. Il en résulte qu'il est urgent que les Etats-Unis prennent place à la table de l'océan Arctique36(*) puisque la première puissance mondiale ne peut pas faire valoir ses recommandations sur le plateau continental à la Commission et ne peut, non plu faire partie de cette dernière. Toutefois, l'absence des Etats-Unis, comme partie à la Convention sur le droit de la mer, ne les empêche pas de soumettre et faire parvenir leurs commentaires sur les revendications présentées par les autres Etats. L'Arctique, est traversé par de nombreuses dorsales, sur lesquelles (une grande partie) la Russie revendique des droits souverains. En réponse à ces demandes, les Etats-Unis contestent l'étendue des droits russes sur ces dorsales. Cependant, le manque de clarté de l'article 76 de la Convention de Montego Bay de 1982 ne fait que rendre la problématique des droits des Etats sur les dorsales plus compliquée. En premier lieu, cet article semble exclure les dorsales de la marge continentale, et en second lieu, il parait autoriser les Etats à exercer leurs droits souverains sur une dorsale jusqu'à 350 mille. * 29 www.international.gc.ca/continental/collaboration.aspx?lang=fra. * 30 Déclaration commune sur la coopération économique entre le Canada et la Russie, 29 novembre 2007, disponible sur : www.international.gc.ca/commerce/zubkov/joint_state-fr.asp. * 31 Revendications controversées du Canada à l'égard des eaux et des zones maritimes arctiques, bibliothèque du parlement ; 10 janvier 2008 p. 16. * 32 H. De Pooter; L'emprise des Etats côtiers sur l'Arctique, op cit, note 15 p. 46. * 33 <a76.dk/lang_uk/main.htm>. * 34 <polar.nrcan.gc.ca/index_e.php>. * 35 R.G. Lugar: the law of the sea convention: the case for senate action; www.brookings.edu/sppeches/2004. * 36 A. King: the urgent need for the United States to take its full place at the Arctic table; p. 349. |
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