L'Arctique : la problématique du prolongement du plateau continental par les états côtiers.( Télécharger le fichier original )par Meryem QORCHI Université de Strasbourg, faculté de droit - Master II : droit international public et privé (section public). 2011 |
B. Le travail de la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC) :L'article 76, paragraphe 8 de la Convention de 1982 affirme que : « L'Etat côtier communique des informations sur les limites de son plateau continental, lorsque celui-ci s'étend au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, à la Commission des limites du plateau continental constituée en vertu de l'annexe II sur la base d'une représentation géographique équitable. La Commission adresse aux Etats côtiers des recommandations sur les questions concernant la fixation des limites extérieures de leur plateau continental. Les limites fixées par un Etat côtier sur la base de ces recommandations sont définitives et de caractère obligatoire ». Carte 5 La procédure pour l'examen d'une communication présentée par un Etat au but de l'extension de son plateau continental est réglementée par l'Annexe II de la Convention et c'est la Commission des limites du plateau continental qui est l'organe chargé de cet examen. Il s'agit d'un organe technique qui n'exprime pas la volonté des Etats parties à la Convention et qui comprend 21 membres, experts en matière de géologie , de géophysique ou d'hydrographie, élus par les Etats parties à la Convention parmi leurs ressortissants et qui exercent leurs fonctions à titre individuel53(*). Ainsi, l'organisation du travail de cette Commission est disciplinée par le Modus Operandi de la commission et le Règlement intérieur de la commission. Selon l'article 4 de l'Annexe II affirme que l'Etat côtier qui se propose de fixer la limite extérieure de son plateau continental au-delà de 200 milles marins doit soumettre une communication dans un délai de 10 ans à compter de l'entrée en vigueur de la Convention pour cet Etat. Cependant, la Réunion des Etats parties à la Convention a établi que : « dans le cas d'un Etat Partie pour lequel la Convention est entrée en vigueur avant le 13 mai 1999, il est entendu que le délai de 10 ans visé à l'article 4 de l'Annexe II de la Convention est considéré comme ayant commencé le 13 mai 1999 »54(*). Ce délai de 10 ans est toutefois contesté par divers Etats, en particulier les pays en voie de développement, qui n'ayant pas les moyens technologiques et les connaissances scientifiques nécessaires, ont une difficulté à recueillir des données suffisantes pour présenter une communication à la Commission. La question est d'une importance particulière parce que, s'il est vrai que les droits d'un Etat côtier sur le plateau continental sont indépendants de l'occupation effective ou fictive, aussi bien que de toute proclamation expresse, l'Etat côtier intéressé qui ne présente pas une communication à la Commission pour l'extension de son plateau continental au-delà de 200 milles marins ne pourrait pas exercer ses droits sur cette portion du plateau continental. La solution dans ce cas est bien la suivante : la présentation des communications partielles afin de respecter le délai de 10 années, mais étant entendu que des données complémentaires pourraient être communiqués à la Commission successivement. Il semble raisonnable d'affirmer, même si la Convention est silencieuse sur ce point, que dans l'hypothèse qu'un Etat laisse passer le délai de 10 ans, le même Etat serait privé du droit de fixer la limite extérieure de son plateau continental au-delà de 200 milles marins. En effet, une telle interprétation répondait à l'esprit même de la Convention, qui laisse à l'Autorité internationale des fonds marins l'administration des ressources des fonds marins au-delà des juridictions des Etats côtiers dans l'intérêt de l'humanité. Par une première lecture et en raison de la règle sur le délai de 10 années, on peut bien soutenir que la Commission est compétente à recevoir seulement les communications rédigées par les Etats partie à la Convention. D'ailleurs, selon une lecture systématique de la Convention, on peut en déduire, clairement, que si la Convention a décidé de donner des droits à des sujets autres que les Etats contractants elle l'a fait explicitement. Dans ce cas, l'Etat côtier intéressé doit présenter la communication par l'entremise du Secrétariat général des Nations Unies. Sur la base de l'article 50 du Règlement intérieur, le Secrétaire général avise la Commission et tous les membres des Nations Unies, notamment les Etats parties à la Convention, de la réception, en rendant publique le résumé de la communication et toutes les cartes marines et les coordonnées de la nouvelle limite extérieure du plateau continental. Ces formes de publicité de la communication sont censées favoriser la présentation d'observations par les autres Etats intéressés, sans distinction entre Etats contractants et Etats non contractants, toutefois, l'examen de la demande sera confidentiel et seulement à la présence des représentants de l'Etat côtier requérant55(*). La Commission fait une évaluation purement technique de la communication et, dans ce but, elle va élaborer un document - les Directives scientifiques et techniques de la Commission - où les données que les Etats côtiers doivent présenter et les modalités pour les apprécier sont indiquées. Toutefois, il faut imaginer que, si le respect des Directives dans la présentation d'une communication n'est pas un critère d'admission pour l'évaluation de la demande par la Commission, les Directives mêmes peuvent être utilisées par la Commission pour interpréter les termes techniques de l'article 76. En se basant sur le point 4 de l'Annexe I du Règlement intérieur, deux ou plusieurs Etats côtiers, qui ont un différend, peuvent s'entendre pour présenter à la Commission des demandes conjointes ou individuelles, comme ce fait le cas pour la demande du 19 mai 2006, présentée par la France, l'Irlande, l'Espagne et le Royaume Uni en relation à l'extension du plateau continental dans la zone de la Mer Celtique et du Golfe de Gascogne56(*). Par contre, selon le point 5, a) du même Annexe, dans le cas où il existerait un différend terrestre ou maritime, le Commission ne peut pas examiner la demande présentée par un Etat partie à ce différend, à moins d'un accord préalable de tous les Etats parties au différend. Dans ce cadre, on peut citer l'exemple de la Norvège qui a donné son consentement à la CLCS pour examiner la communication de la Fédération de Russie du 20 décembre 2001, qui intéresse, entre autres, une demande d'extension du plateau continental dans la zone disputée de la Mer de Barents. L'interprétation de cette norme est, toutefois, douteuse, parce qu'il n'est pas clair si l'assentiment d'un Etat partie au différend qui n'est pas partie à la Convention est aussi nécessaire. Selon la pratique limitée de la Commission, on trouve qu'elle met en évidence le fait de ne pas prendre de décisions en attendant la solution de la question à travers la négociation directe entre les Etats intéressés. Ce qu'on vient de voir jusqu'à présent, c'est quelques éléments techniques et organisationnel de la Commission, et il est temps de passer à l'interprétation de cette Commission de l'article 76 de la Convention, sachant bien que la dite commission avait bien compris il y a longtemps que cet article allait poser problème et elle a tout publié dans ses « directives scientifiques et techniques » qui date du 13 mai 199957(*). Dans le but de ramener son apport sur la question, la Commission va d'abord, étudier cas par cas tout en commençant par l'analyse de la communication de la Fédération de Russie. La commission commence d'abord par nous faire part de l'ampleur des incertitudes soulevées par les dispositions de l'article 76 : « Aucun des termes n'est défini de façon précise. Le terme « dorsale » semble avoir été choisi intentionnellement, mais le lien entre « les dorsales océaniques » du paragraphe 3 et « les dorsales sous-marines » du paragraphe 6 n'est pas clair. Les deux expressions sont à distinguer du terme « hauts-fonds » employé au paragraphe 6. Elle rappelle aussi que ces distinctions ne doivent pas se baser sur les appellations et noms géographiques utilisés jusqu'à présent, en raison de leur caractère flou, mais sur la base des éléments d'appréciation scientifique. Ensuite, la Commission passe à une énumération des différents types de dorsales : « Les dorsales existant dans la mer peuvent résulter de différents processus géologiques. On distingue notamment : 1- Les dorsales formées par l'expansion du plancher océanique et les processus extrusifs et intrusifs volcaniques et magmatiques qui y sont associés ; 2- Les dorsales nées le long des failles transformantes, qui font partie intégrante du processus d'expansion des fonds océaniques ; 3- Les dorsales nées d'une activité tectonique ultérieure s'étant traduite par une surrection de la croûte océanique ; 4- Les dorsales résultant d'un volcanisme lié au mouvement de la croûte au-dessus d'un point chaud. Celles-ci sont généralement composées de reliefs volcaniques ou monts sous-marins soudés et apparaissent généralement sur la croûte océanique ; 5- Les dorsales formées par l'interaction des plaques océaniques ; 6- Les dorsales créées par un sur volcanisme régional lié à des panaches anormalement chauds dans le manteau ; 7- Les dorsales associées aux frontières de plaques actives et à la création de système d'arcs insulaires. Celles-ci peuvent se présenter sous la forme d'arcs volcaniques actifs ou inactifs (résiduels) ainsi que d'arcs externes ou internes. Elles témoignent généralement des différentes étapes de la formation des systèmes d'arcs insulaires et peuvent être la résultante de variation de facteurs tels que la vitesse et la direction de la convergence, ainsi que la nature de la plaque en subduction ; 8- Les dorsales nées d'une déchirure lithosphérique (étirement et amincissement) de la croûte continentale. Ce processus aboutit généralement à des formes de relief plus larges, tels que les plateaux et les massifs marginaux, mais crée parfois d'étroits lambeaux de croûte continentale séparés par des fragments de croûte océanique ou de croûte continentale très étirée ». Cette liste, faite par la Commission, comme elle-même l'a indiqué, n'est pas exhaustive. Ainsi, si on tient compte du critère de la composition crustale des dorsales, les cinq premières catégories de dorsales énumérées par la Commission, composées de roches basaltiques océaniques, sont des dorsales océaniques, alors que les trois autres dernières n'en sont pas. Mais la Commission souligne que ce critère ne suffit pas alors on va devoir faire appel à d'autres critères. En d'autres termes, les dorsales des cinq premières catégories, qui correspondent en principe aux dorsales océaniques, celles de catégorie 2 et 3 sont parfois difficiles à classer. La Commission ajoute un élément intéressant58(*) : « Des îles peuvent exister sur certaines dorsales [...] auquel cas il serait difficile de considérer que ces parties de la dorsale appartiennent aux grands fonds ». Une lecture de cette disposition nous mène à dire qu'une dorsale qui remonte à la surface pour former une île ne pourrait pas être une dorsale océanique, puisqu'elle ne serait pas située dans les grands fonds. Il s'agirait donc d'une dorsale sous-marine. Cette interprétation donnerait raison à l'Islande qui considère la dorsale Reykjanes comme une dorsale sous-marine. Cependant, la commission a précisé dans son rapport qu'elle se basera sur des considérations scientifiques et juridiques telles que le prolongement naturel du territoire terrestre, la morphologie des dorsales et leur rapport avec la marge continentale et vu que la question est délicate, la Commission s'est décidée qu'elle va examiner cas par cas « tous les cas de figure étant difficiles à prévoir dans le détail, la Commission juge approprié d'examiner la question des dorsales au cas par cas ». A ce niveau la Commission se trouve confrontée à plusieurs cas, notamment celui de la Fédération de la Russie, qui met en jeu des dorsales. Après le dépôt de la communication russe les Etats-Unis on fait parvenir leur observation et ils commencent par rappeler que le paragraphe 3 de l'article 76 dispose que : « La marge continentale est le prolongement immergé de la masse terrestre de l'Etat côtier [...] elle ne comprend ni les grands fonds des océans, avec leurs dorsales océaniques, ni leur sous-sol ». Ils militent d'abord clairement en faveur du caractère océanique, selon leurs critiques, de la dorsale Alpha-Mendeleyev revendiquée par la Russie, ensuite, ils examinent sans pour autant présenter plus de données que pour la première dorsale, la dorsale Lomonosov en indiquant qu'elle ne fait pas partie des marges continentales ni de la Russie ni d'aucun autre Etat. Cette position sous entend que les Etats-Unis rejettent ab initio une éventuelle prétention canadienne ou danoise sur la dorsale Lomonosov. S'agissant de leur position concernant les dorsales sous-marines, les Etats-Unis affirment que : « La question des rides est rendue plus complexe par la disposition du paragraphe 6 de l'article 76, qui fait mention des « rides sous-marines ». A ce sujet, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique croit comprendre que la Russie ne s'est pas fondée sur la première phrase de ce paragraphe pour déterminer la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins. En outre, cette disposition ne pourrait pas être appliquée en l'espèce ». C'est dire que les Etats-Unis évacuent la question des dorsales sous-marines sans donner de fondements ou d'explications précis à leurs propos. Le Vice-ministre des ressources naturelles de la Fédération de Russie dans sa réponse à la déclaration des Etats-Unis, a précisé que la Russie fonde toute son argumentation sur l'origine continentale des dorsales Lomonosov et Mendeleyev. Effectivement il est généralement admis que la dorsale Lomonosov a une origine continentale59(*). La Division des affaires maritimes des Nations Unies a interprété l'article 76 en précisant que si la dorsale Lomonosov, ou une partie de cette dorsale, est située à l'intérieur de l'enveloppe de la marge continentale, tracée à partir du pied du talus continental, il y a toute chance qu'elle soit considérée comme une dorsale sous-marine susceptible d'étendre la largeur de plateau continental russe. Quant à la dorsale Mendeleyev, elle est beaucoup moins connue, donc son origine est contestée60(*). Les géologues se divisent entre ceux qui disent que c'est une formation d'origine océanique et ceux qui affirment qu'elle est en partie continentale. Mais la Commission, dans son rapport, a bien affirmé qu'il n'est pas certain que l'origine crustale d'une dorsale soit déterminante pour exclure une dorsale de la marge continentale d'un Etat. On constate que les critères donnés par la Commission de limites sont insuffisants pour répondre aux demandes des Etats, et on ne peut pas tirer de conclusions sur le cas des dorsales Mendeleyev et Lomonosov. Cependant, la question qui se pose est celle du rôle de la Commission, ce groupe composé de scientifiques a été mis en oeuvre afin de réponde à une situation scientifique par des réponses juridiques. Or, à la question « pensez-vous que les dorsales Lomonosov et Mendeleyev font partie de la marge continentale de la Russie ? », un géologue a répondu « Not a geological question, this is politics ! »61(*). On constate alors qu'on revient toujours au caractère politique de la problématique. * 53 Article 2, prg. 1 de l'Annexe II de la Convention. * 54 Décision, SPLOS/72, 29 mai 2001, alinéa a). * 55 Articles 51 et 52 du règlement intérieur de la Commission. * 56 www.un.org/Depts/los/cics_new/submissions_files/submission_frgbires.htm * 57 Disponible sur : www.un.org/Depts/los/clcs_new/commission_documents.htm * 58 H. De Pooter; L'emprise des Etats côtiers sur l'Arctique, op cit, note 15, p. 80. * 59 Ibid. p. 86. * 60 Ibid. p. 87. * 61Ibid. p. 88. |
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