2.
Modification des termes de l'échange
Une augmentation de la production agricole peut
entraîner une baisse des prix. Cette baisse des prix a pour effet une
amélioration du salaire réel dans le secteur non agricole de
telle sorte que le salaire nominal peut y diminuer sans pour autant affecter le
niveau de vie. Les termes de l'échange s'en trouvent modifiés au
détriment de l'agriculture et en faveur des autres secteurs. L'industrie
percevra des profits plus élevés. Ces profits pourraient
être utilisés pour la formation du capital ou pour la consommation
dans les secteurs public ou privé. Il est question d'effectuer un
contrôle de prix pour arriver à une augmentation rapide du prix
relatif des produits industriels par rapport aux produits agricoles. Un
transfert de valeur de l'agriculture vers le secteur industriel peut ainsi
être observé.
3.
Compression des investissements dans l'agriculture
Même si l'agriculture utilise parfois les produits issus
des autres secteurs, elle a une contribution nette à la formation du
capital dans ces secteurs.
4.
Marché rural des biens industriels
La véritable croissance et le développement
économique dépendent plus de l'expansion du secteur non agricole.
Mais les obstacles à l'expansion de ce secteur proviennent aussi de la
faiblesse des bénéfices sur investissement due à
l'étroitesse des marchés. Un accroissement des revenus des
agriculteurs offre ainsi des débouchés supplémentaires au
secteur industriel.
2.2.4 Agriculture et transfert de
la main d'oeuvre vers l'industrie
La notion de surplus de main d'oeuvre a été au
centre des développements sur l'impact de l'agriculture sur le reste de
l'économie. En se basant sur l'observation empirique, les
économistes du développement de la première
génération ont essayé de formaliser les différents
mécanismes à travers lesquels l'excédent de main d'oeuvre
du secteur agricole est transféré vers le reste de
l'économie. Le cadre de l'analyse se fait généralement
à travers un modèle bi-sectoriel. Ils mettent en évidence
deux secteurs dans l'économie : un secteur traditionnel, de
subsistance ou encore agricole et un secteur moderne ou non agricole. Les
premiers éléments de ces analyses se retrouvaient
déjà au 18e siècle. RICARDO (1817) dans The
principles of politicaleconomy and taxation, a présenté le
plus connu des premiers modèles. Il part de deux
hypothèses : présence d'un secteur agricole à
rendements décroissants et existence d'une main d'oeuvre
sous-employée dans ce secteur. RICARDO affirme que le secteur industriel
peut recruter dans le secteur agricole sans qu'il y ait une hausse de salaire
dans le secteur urbain ou le secteur rural.
La version moderne des modèles bi sectoriels a
été initiée par l'économiste LEWIS (1955). Il
considère ainsi deux secteurs dans l'économie. D'une part le
secteur moderne, développé, capitaliste dans lequel il existe un
marché bien structuré. Et d'autre part le secteur traditionnel
qui comprend principalement l'agriculture. Dans son modèle classique
d'économie duale, LEWIS établit, à travers le
marché du travail un lien entre la main d'oeuvre sous-employée et
bon marché du secteur agricole et le niveau de salaire dans le secteur
industriel.
Le secteur industriel ou encore secteur avancé utilise
du capital qui peut être accumulé tandis que le secteur agricole
utilise un facteur de production qui ne peut être accumulé, la
Terre. Les travailleurs du secteur agricole ont une productivité faible
voire nulle ; plusieurs employés exercent une activité qui
aurait pu l'être par un seul. L'économie dispose ainsi d'un
excédent de main d'oeuvre. L'expression « offre
illimitée de main d'oeuvre » employée par LEWIS se
justifie ainsi par cette abondance de main d'oeuvre non qualifiée. Pour
LEWIS (1955), le développement consiste dans la
« réduction progressive du secteur archaïque et le
renforcement du secteur moderne ».
Bien que le surplus de main d'oeuvre soit observé aussi
bien dans le secteur traditionnel que dans le secteur moderne, dans le secteur
traditionnel, il est déguisé. En ce sens qu'une partie de la main
d'oeuvre peut y être extraite sans que la production agricole n'en
pâtisse, les travailleurs restant n'auront qu'à augmenter leur
volume de travail.
Le secteur moderne va embaucher dans le secteur de subsistance
grâce à un salaire un peu plus élevé mais qui reste
tout de même faible. Il continuera à embaucher tant que la
productivité marginale des travailleurs est supérieure au
salaire. Un profit sera ainsi dégagé. Ce profit sera
réinvesti par les capitalistes, ce qui accroîtra la
productivité marginale et permettra d'entamer une nouvelle embauche. Ce
cycle se poursuivra jusqu'à l'égalisation du salaire et de la
productivité marginale des travailleurs. Il en résultera en fin
de compte que tout le surplus de main d'oeuvre du secteur de subsistance sera
absorbé par le secteur moderne. Cette baisse conséquente de la
main d'oeuvre dans le secteur de subsistance y entraînera une hausse des
salaires. De même, dans le secteur moderne, les salaires vont
s'élever.
Ce modèle de LEWIS met l'accent sur la part croissante
des profits dans le revenu national, liée à la progression du
secteur capitaliste. L'élévation du taux d'investissement permet
une croissance rapide. À la suite de LEWIS, FEI et RANIS (1964) vont
montrer qu'en transférant le surplus de main d'oeuvre de l'agriculture
vers l'industrie, l'économie peut complètement se
développer. Ils vont modifier ou améliorer certaines
hypothèses du modèle de LEWIS. L'absorption du surplus de main
d'oeuvre est due à la modification de la répartition des facteurs
de production et ils n'admettent pas que les travailleurs du secteur agricole
aient une productivité marginale quasi-nulle. Pour FEI et RANIS, le
transfert de main d'oeuvre doit être précédé d'une
augmentation de la production agricole. Le taux auquel cette main d'oeuvre est
transférée dépend du taux de croissance de la population,
de la qualité des progrès techniques dans le secteur agricole et
la croissance du stock de capital dans le secteur industriel.
Ces différentes approches du rôle de
l'agriculture limitent cette dernière au rôle d'un secteur
uniquement au service des autres pour l'atteinte du développement. Le
secteur agricole doit fournir aux autres secteurs les ressources
nécessaires à leur développement. Ainsi, le secteur
agricole n'est pas en soi un moteur de croissance et de développement
économique, mais il permet de réaliser ce développement
via les autres secteurs de l'économie. Avec ces conceptions, la
croissance et le développement renvoient à une
« modernisation » de l'économie, le secteur agricole
s'y intègre donc difficilement. Son rôle est d'amorcer le
développement global de l'économie et ensuite de
s'"éclipser".
Mais de plus en plus, des arguments plus récents
plaident en faveur d'un développement du secteur agricole en tant que
secteur d'activité propre. L'agriculture pourrait ainsi contribuer
directement à la croissance et au développement.
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