2.2 Agriculture au service du
reste de l'économie
L'élément central des modèles de
développement expliquant le rôle de l'agriculture sur la
croissance est la notion de surplus, généré dans le
secteur agricole. À cet effet, les physiocrates reconnaissaient que
l'importance d'un surplus agricole était essentielle pour la bonne
santé des finances publiques et le niveau de l'activité
économique.
Trois préoccupations majeures ressortent de la
littérature sur le rôle de l'agriculture dans la croissance et le
développement économique:
· Les déterminants de la génération
d'un surplus dans le secteur agricole à travers des gains de
productivité dus à l'investissement et aux innovations ;
· Les différents mécanismes de transfert de
ce surplus ;
· L'utilisation de ce surplus pour réaliser le
développement industriel via les investissements publics, lorsque ce
surplus est transféré par les taxes.
Avant 1950, de nombreux auteurs affirmaient que la croissance
du secteur agricole a précédé ou peut être
causé la révolution industrielle. En 1767, à l'aube de la
révolution industrielle, J. S. MILL affirmait que la productivité
de l'agriculteur limite la taille du secteur industriel. Les historiens de la
révolution industrielle ont noté la récurrence d'une
certaine logique par laquelle la révolution agricole a
précédé la révolution industrielle par un
décalage de cinquante à soixante années.
Mais à partir de 1950, les économistes
considéraient de plus en plus le secteur agricole comme un secteur
retardé dans l'économie, générateur d'un surplus de
main d'oeuvre tel que l'a formalisé LEWIS (1955). L'intérêt
était porté sur la croissance résultant dans le secteur
non agricole. Le secteur agricole devait fournir à ce dernier les
éléments nécessaires à son expansion.
En s'inscrivant dans cette logique, l'économiste
KUZNETS (1964) distingue quatre voies par lesquelles l'agriculture concourt au
développement économique:
A. Les produits
Le secteur agricole fournit la nourriture permettant
d'alimenter les travailleurs des autres secteurs. Il fournit également
à l'industrie les matières premières. Un secteur agricole
productif fournira des produits bon marché, d'où une
amélioration du niveau de rémunération réel et donc
une possibilité d'accumulation pour les autres secteurs. De plus,
l'augmentation de la production agricole a un effet sur la croissance du
Produit Intérieur Brut (PIB).
B. Le marché
Le secteur agricole peut constituer une demande de biens
industriels et de services. Une amélioration de la productivité
dans ce secteur devrait permettre l'amélioration des revenus du monde
paysan et par conséquent l'accroissement de leur consommation. Le
secteur agricole peut ainsi faciliter l'émergence de nouvelles
débouchées pour les industries.
C. Les devises
L'exportation de produits agricoles est une source de devises
pour l'économie. Dans un contexte où l'activité agricole
est importante, ces devises peuvent servir à l'importation des machines
et matières premières dont a besoin l'industrie pour se
développer. D'un autre côté, l'agriculture peut permettre
l'économie de devises en produisant des denrées qui
étaient autrefois importées.
D. Facteurs de production
L'agriculture fournit aux autres secteurs le surplus de main
d'oeuvre dont elle dispose.
Ces analyses de KUZNETS se retrouvent dans différents
travaux des économistes du développement d'alors. L'accent
était mis sur le développement industriel, car lui seul
était à même de fournir des conditions d'un
véritable développement économique. Cette fascination pour
la modernisation leur a fait avoir une « doctrine de primauté
de l'industrialisation sur le développement agricole, qui a sapé
du même coup les possibilités de contribution de l'agriculture au
développement global » A. KRUEGER a résumé ces
premières théories du développement comme composées
de plusieurs fils directeurs :
· Le désir et la volonté de
«modernisation»;
· L'interprétation de l'industrialisation comme la
voie de la modernisation;
· La conviction qu'une politique de «substitution
des importations» était nécessaire à la protection
des industries «naissantes»;
· La méfiance à l'égard du secteur
privé et du marché et la conviction que le gouvernement, en sa
qualité de tuteur paternaliste et bienveillant, devrait prendre la
direction du développement;
· La méfiance vis-à-vis de
l'économie internationale et le manque de confiance dans les
possibilités de développement des exportations des pays en
développement.
Nous présentons ci-dessous en détail les
implications d'un développement du secteur agricole sur des pans
particuliers de la réalité économique selon les
économistes du développement de la première
génération.
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