3.3.2 La loi de modernisation de l'économie et
l'intégration du commerce dans l'urbanisme de droit commun
Afin de prendre en compte les exigences de l'Union
Européenne, le parlement a voté la Loi de Modernisation de
l'Economie, le 4 août 2008. Cette dernière n'a pas supprimé
les CDEC, mais les a modifiées en les renommant Commissions
Départementales d'Aménagement Commercial (CDAC). L'objectif est
de progressivement supprimer le système des autorisations
préalables et d'intégrer l'urbanisme commercial dans
l'urbanisme de droit commun. Les CDAC ne s'appliquent plus à
partir de 300 mètres carrés de surface de vente mais à
partir de 1 000 mètres carrés. Les hôtels et les commerces
liés à l'automobile ne sont plus soumis à autorisation.
La composition des commissions a également
été modifiée. La Commission Européenne reprochait
à la France de faire intervenir des professionnels du commerce pour
favoriser le protectionnisme. Les Chambres de Commerce étaient
principalement visées. En effet, leurs dirigeants sont élus par
les commerçants et le fait d'accorder un vote à cette chambre
consulaire pouvait être un moyen de limiter la concurrence. Les Chambres
de Commerce et les Chambres des Métiers ont donc été
retirées de la composition des CDAC. En contrepartie, les élus
locaux ont pris de l'importance car ils occupent désormais cinq
sièges sur huit. En effet, le président du Conseil
Général et le président du SCoT sont devenus membres des
CDAC. Ces deux élus locaux travaillent à des échelles
proches de la zone de chalandise des commerces de la grande distribution. Leur
incorporation semble donc pertinente.
En dehors des cinq élus locaux, on retrouve «
trois personnes qualifiées en matière de consommation, de
développement durable et d'aménagement du territoire ». Ces
professionnels seront chargés d'apporter des connaissances techniques
pour juger des nouveaux critères d'évaluation. Ces derniers ne
portent plus sur des indices économiques tels que l'offre et la demande
ou la concurrence entre les différentes formes de commerces, mais bien
sur des thèmes d'urbanisme. Les éléments pris en compte se
réfèrent en effet à l'animation sur la vie urbaine, les
effets sur les flux de transports, l'insertion dans le réseau de
transports collectifs et la qualité environnementale. Même si
d'autres thèmes comme l'impact sur l'étalement urbain ou la
mixité fonctionnelle ne sont pas pris en compte, on assiste à une
transformation des autorisations préalables qui ne font plus une
étude de marché mais qui posent de réelles questions
d'urbanisme.
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Pour autant, ces autorisations restent souples et un rapport
de l'Assemblée Nationale les décrit comme des « machines
à dire oui ... rapidement »108 pour évoquer que
les décisions sont encore plus rapides qu'avec les CDEC. Pour freiner le
développement anarchique du commerce, il faut donc un document
d'urbanisme qui fixe des règles applicables sur les permis de
construire. Pour cela, la Loi de Modernisation de l'Economie a
créé les Documents d'Aménagement Commercial
(DAC). Ce nouvel outil de planification intercommunal
a pour objectif de fixer les orientations sur le commerce
qui s'imposeront aux Plans Locaux d'Urbanisme (PLU). A terme, le but
est de supprimer le système de double autorisation entre les CDAC et les
permis de construire pour ne laisser que les permis de construire.
Le DAC tire les leçons de l'échec des
Schémas de Développement Commercial (SDeC). Ces derniers
étaient des documents plus souples, qui ne s'imposaient pas aux
documents d'urbanisme et qui s'appuyaient sur des critères
économiques. Les règles décrites par les SDeC devaient
guider les CDEC mais elles n'ont jamais été appliquées. Un
SDeC avait été réalisé sur le département du
Vaucluse en 2004. Il prévoyait de limiter la croissance de la grande
distribution à 102 000 mètres carrés
supplémentaires sur la période 2004-2010. Ce chiffre colossal
permettait à la grande distribution d'accroitre son plancher commercial
de 12% et d'augmenter ses parts de marché. Pourtant, la CCI du Vaucluse
a constaté que ce plafond allait être atteint en trois ans, au
lieu de six comme le prévoyait le SDeC109. Pour ne pas
reproduire les mêmes erreurs, le DAC sera quand à lui opposable
aux PLU car il sera intégré au SCoT. Une de ses principales
fonctions sera de définir les zones d'aménagement commercial,
secteurs dans lesquels pourront s'implanter les commerces de plus de 1 000
mètres carrés. Ces zones pourront être
délimitées à la parcelle. La loi interdit de reposer les
prescriptions du DAC sur l'analyse de l'offre commerciale existante.
Les critères doivent être liés à
l'aménagement du territoire, tout comme les critères des
CDAC.
Seulement quatre DAC ont été mis en place
à ce jour, dans les agglomérations de Besançon, Brest,
Saint Etienne et Toulouse. Dans chaque cas, le DAC a été
établi sur des territoires où un SCoT était en cours
d'élaboration. Le but des élus locaux était de
réaliser, en quelques mois, un document encadrant le
commerce110. En effet, le temps d'élaboration du SCoT
était jugé trop long pour pouvoir empêcher le
développement anarchique du commerce.
108 Assemblée Nationale (2010), Rapport
d'information de la commission des affaires économiques sur la mise en
application de la Loi de Modernisation de l'Economie, 63p.
109 Chambre de Commerce et d'Industrie du Vaucluse (mai 2006),
L'équilibre commercial en danger, in Dynamique n°43
p.18-20
110 RAUDIN E. (2010), Les documents d'aménagement
commercial (DAC) issus de la Loi de modernisation de l'économie, in Les
notes de l'agence de développement et d'urbanisme de Lille, 4p.
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Une fois le DAC approuvé, il doit faire l'objet d'une
enquête publique afin d'être intégré au SCoT.
Ces quatre expériences ont déjà
montré les lacunes du DAC. En effet, la loi LME est très
imprécise sur les critères d'aménagement du territoire qui
pourront être pris en compte. Ainsi, les DAC existants y ont très
peu recours et les critères d'analyse restent économiques. Le DAC
de Brest va ainsi choisir les secteurs d'activités qui pourront
s'implanter dans ses différents pôles commerciaux. Pour chacun de
ses secteurs, il va définir une surface de vente maximale par point de
vente et par pôle commercial. Il va également interdire toute
nouvelle galerie marchande, pour éviter de concurrencer les boutiques de
centre-ville, en imposant une surface de vente minimale. Ce type de
prescriptions réglementant à l'extrême les implantations et
laissant très peu de liberté au marché semble aller trop
loin par rapport à ce qu'autorise la loi.
Le DAC de Toulouse a lui aussi proposé des seuils
plafonds de Surface Hors OEuvre Nette (SHON) sur chacun de ces pôles
commerciaux. Ces plafonds sont bonifiés si l'ensemble commercial est
desservi par un Transport en Commun en Site Propre (TCSP). Les principes
d'aménagement du territoire sont donc ici plus avancés. Mais pour
autant, les commissaires enquêteurs ont jugé que les plafonds
n'étaient pas prévus par la loi et que le DAC manquait de
cohérence avec le SCoT111. Au terme de l'enquête
publique, le DAC n'a donc pas pu être intégré au SCoT.
Le DAC Sud Loire qui englobe l'agglomération de Saint
Etienne a utilisé une autre méthode. Il a délimité
les Zones d'Aménagement Commercial à la parcelle. L'objectif
était d'empêcher tout nouveau pôle commercial et de limiter
l'étalement urbain des zones commerciales existantes. Toutefois, ce
document est actuellement attaqué par la Société Immochan.
Cette société remet en cause la cartographie non
actualisée et la cohérence entre le SCoT et le DAC. Rappelons que
les groupes comme Immochan possèdent des services juridiques très
compétents et qu'ils sont en mesure d'attaquer le projet dès lors
qu'il va à l'encontre de leurs intérêts. Le risque de voir
le DAC tomber est important vu que la loi est très imprécise sur
son contenu.
La proposition de loi Ollier, relative à l'Urbanisme
commercial a pour but de clarifier le contenu du DAC. Elle a été
adoptée par l'Assemblée nationale le 15 juin 2010. Elle a ensuite
été modifiée par le Sénat le 31 mars 2011. La
deuxième lecture du texte par
111 Entretien avec Yann CABROL (2011), Chargé de
mission à l'agence d'urbanisme de Toulouse ayant réalisé
le DAC de la grande agglomération de toulousaine
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l'Assemblée Nationale n'est pas prévue pour le
moment et l'adoption du texte ne semble plus être une priorité
parlementaire.
Toutefois, avant même que cette loi soit votée,
elle suscite déjà des critiques112. Le pouvoir de
décision des maires va être renforcé car, à terme,
seul le permis de construire règlementera les implantations. Et nous
avons vu que ces élus locaux pouvaient avoir un intérêt
à laisser une certaine liberté aux enseignes. Dans ces
conditions, on peut se demander si le marché n'est pas toujours plus
fort que la réglementation, car malgré les multiples
réformes législatives, le développement du commerce de
périphérie reste toujours aussi important.
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