L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
2 - La thèse selon laquelle la loi constitutionnelle de 1996 est la Constitution du 2 juin 1972 réviséeCertes, les tenants de cette thèse ne remettent pas eux aussi en cause l'idée selon laquelle la loi constitutionnelle de 1996 se démarque, notamment par son étendue et son relent novateur, de toutes ses devancières. Cependant, cette relative unanimité disparaît lorsqu'est posée la question relative à sa nature. En effet, contrairement aux défenseurs de la thèse ci-dessus analysée, nombre d'auteurs, suivant en cela la volonté explicitement affirmée du pouvoir constituant dérivé de demeurer dans les limites de sa compétence révisionniste, affirment que la loi constitutionnelle de 1996 ne serait que la dixième révision de la Constitution du 2 juin 1972. Aussi avancent-ils plusieurs arguments à cet égard. Mentionnons de prime abord cet argument du Professeur Marcelin NGUELE ABADA selon lequel « En dépit des innovations majeures, notamment sur le plan normatif et institutionnel, la nouvelle version du texte de 1972 ne constitue pas un changement de système. Elle renforce plutôt le primat présidentiel, l'alpha et l'oméga de la vie politique et juridique »263(*). Pour l'auteur, la rupture dans la dynamique constitutionnelle n'aurait eu de chance d'être objectivée qu'avec la mutation du statut du président de la République, clé de voûte du système politique. Or, de son point de vue, toutes les innovations apportées par la réforme de 1996 n'ont en aucune manière remis en cause cette orientation profonde du régime politique camerounais. Ce point de vue est d'une pertinence incontestable, écrira Alain-Didier OLINGA quelques années plus tard avant de mobiliser à son tour son propre argumentaire à l'appui de la même thèse. Le premier argument qu'il avance est constitué par le fait que le pouvoir de révision est resté dans les limites de ses compétences telles qu'elles ressortent de la Constitution en vigueur. Il part de la question suivante : la Constitution de 1972 originelle prescrivait-elle la marge de novation et d'enrichissement que ne pouvait franchir le pouvoir de révision, au-delà des clauses de l'ancien article 37, lesquelles n'ont pas été remises en cause en 1996 ? Question à laquelle il répond par la négative264(*). De ce point de vue, le bon ou le mauvais usage de la procédure de révision ne pouvait juridiquement s'apprécier qu'à l'aune des modifications ou non des éléments substantiels évoqués à l'article 37. « Si ces éléments n'ont pas été atteints par la révision ou, mieux, si certains d'entre eux ont été plutôt confortés et consolidés, alors la notion de détournement ou de fraude est dénuée de pertinence »265(*). L'auteur conforte son argumentation par les éléments relevant de la pratique subséquente à la promulgation de la loi constitutionnelle de 1996. Partant de l'affirmation du général de Gaulle selon laquelle « une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique », il écrit à juste titre que « l'observation de la pratique décennale de la réforme de 1996 impose un constat : 1996 n'a pas constitué un changement de Constitution, une césure dans le cours constitutionnel, mais une simple continuité méliorative. La logique présidentialiste a prévalu dans le fonctionnement de la structure exécutive et dans la relation entre l'Exécutif et le Législatif. Parce que c'est dans la pratique institutionnelle que s'objective le sens donné par les pouvoirs institués aux dispositions constitutionnelles, la conclusion qui s'impose à l'évidence est celle d'une continuité et d'une stabilité de l'ordre constitutionnel »266(*). Cet auteur relève enfin, en plus de l'intitulée de la loi constitutionnelle de 1996 qui porte « révision de la Constitution du 2 juin 1972 »267(*), un argument issu du dispositif même de celle-ci, à savoir le fait que d'une part, son article 1er renvoie pour la dénomination de l'Etat à la loi constitutionnelle de février 1984 et d'autre part, le fait que « l'article 68 de la même loi renvoie à la législation résultant des textes fédéraux »268(*). L'analyse objective de l'acte de révision de 1996 par François Xavier MBOME apporte elle aussi un argument de taille à la thèse de la révision de la Constitution de 1972 et non de son remplacement sous le prétexte de la réviser comme l'affirme les partisans de la thèse contraire. Son analyse mérite une attention particulière parce qu'il avait personnellement participé à l'une des phases ayant marqué le processus d'édiction de la loi constitutionnelle controversée, notamment au sein de la Tripartite aux travaux de laquelle il avait personnellement pris part. Certes, l'auteur est tout disposé à admettre que la loi constitutionnelle de 1996 a donné naissance à une nouvelle Constitution. Toutefois, il évoque trois éléments qui de son avis, devraient conduire à relativiser la radicalité d'un tel point de vue ou d'une telle conclusion269(*). Le premier élément vient du fait que si l'on affirme que la Constitution du 18 janvier 1996 est une Constitution nouvelle parce que toutes les dispositions de l'ancienne ont été révisées, alors il y aurait lieu de se demander s'il n'y a plus de différence entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant institué ou dérivé, surtout que, toutes choses étant égales par ailleurs, l'on ne relève depuis 1960 au Cameroun aucune disposition réglementaire, législative, a fortiori constitutionnelle, faisant de l'Assemblée nationale en fonction un organe habilité à voter une nouvelle Constitution, en plus de sa compétence classique de révision. Ensuite, ajoute-t-il, affirmer que la Constitution fédérale de 1961 n'était formellement et officiellement qu'une loi de révision de la Constitution de 1960, alors qu'elle instituait un régime politique nouveau, et radicalement différent de son devancier, créait des institutions totalement nouvelles, et faisant tomber en désuétude le Texte de 1960, comme le Texte de 1996 pour celui de 1972, semble sous toute réserve faire fi des circonstances d'intervention des deux Constitutions mises en parallèle. La Constitution fédérale de 1961 « modifiait » celle de 1960 parce que l'on passait de l'Etat unitaire à l'Etat fédéral avec de nouveaux aménagements des pouvoirs publics, alors que le Texte de 1996 intervient dans le cadre de la même forme d'Etat unitaire. En troisième lieu, autant les institutions de 1960 tombèrent en désuétude, autant celles de 1972 semblent encore avoir (sauf preuve contraire) longue vie après le Texte de 1996, dans la mesure où l'article 67 paragraphes 1 et 2 dispose clairement : « Les nouvelles institutions de la République prévues par la présente Constitution seront progressivement mises en place, et jusqu'à cette mise en place, les institutions de la République actuelles demeurent et continuent de fonctionner ». Enfin, et toujours selon MBOME, la Constitution de 1961 semblait nouvelle par rapport à celle modifiée de 1960 parce qu'elle créait un régime politique nouveau. L'on ne saurait de plano comparer cette situation à celle de 1996. De fait, on passait en ce temps-là d'un régime parlementaire rationalisé en 1960 à un régime présidentiel au niveau fédéral en 1961, alors qu'en 1996, on demeure sous le même régime, ni présidentiel pur, mode américain, ni parlementaire pur, mode britannique, mais comme le qualifient certains constitutionnalistes, semi-présidentiel270(*). Comme on peut le constater, l'intitulé de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 n'a pas suffi à faire taire toute discussion doctrinale sur sa nature. Mais, puisqu'en dépit des observations de la doctrine, cette loi a été promulguée, il y a lieu maintenant d'en cerner le contenu. * 263 Cf. NGUELE ABADA (M.), « Ruptures et continuités constitutionnelles en République du Cameroun : réflexions à propos de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 », RADIC, 1998, pp. 308-326, notamment p. 310. * 264 OLINGA (A.-D.), La Constitution de la République du Cameroun, op. cit., p. 19. * 265 Ibid., p. 20. * 266 Ibid., p. 22. * 267 Ibid., p. 21. * 268 Ibid., p. 21. * 269 Cf. MBOME (F. X.), « Constitution du 2 juin 1972 révisée ou nouvelle Constitution ?», in MELONE (S.), MINKOA SHE (A.) et SINDJOUN (L.) (dir.), Réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op. cit., notamment la partie de sa contribution intitulée « conclusion générale », pp. 30-33. * 270 Ibid., p. 32. |
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