L'assemblée nationale comme pouvoir constituant dérivé au Cameroun entre 1990 et 2008( Télécharger le fichier original )par Jules Bertrand TAMO Université de Dschang Cameroun - Master de droit public 2011 |
b - La révision de la Constitution peut-elle avoir lieu lorsque son article 11 est en application ?La Constitution n'est pas explicite sur cette question. Mais, il y a lieu de répondre par la négative. L'argument qui permet de justifier cette position peut être tiré de l'article 11 alinéa 2 de la Constitution initiale de 1972 qui dispose, entre autres, qu'en cas de péril grave menaçant l'intégrité du territoire, la vie, l'indépendance ou les institutions de la nation, le président de la République peut proclamer par décret l'état d'exception et prendre toutes les mesures qu'il juge nécessaires113(*). Il s'agit d'une réponse exceptionnelle à une circonstance présentant une gravité d'une rare ampleur pour le pays. On est donc en droit d'affirmer que si les pouvoirs exceptionnels doivent être orientés vers la volonté d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et ce dans les moindres délais possibles, ces pouvoirs exceptionnels ne peuvent être utilisés pour modifier la Constitution. Les mesures prises en vertu de ces pouvoirs doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels et dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leurs fonctions. Les utiliser pour modifier la Constitution serait contraire à la volonté de maintien de celle-ci qui justifie les dispositions attribuant des pouvoirs exceptionnels au président de la République. Cette solution du Conseil constitutionnel français dans l'une de ses décisions relatives au Traité sur Union Européenne114(*), nous semble logique et partant transposable au Cameroun. En conséquence, si le président de la République déposait en cette période un projet de révision constitutionnelle devant le Parlement, celui-ci devrait refuser de le voter. En revanche, si le Parlement adoptait un texte de révision constitutionnelle alors que le territoire est occupé, le président de la République ne devrait pas le promulguer sans pour autant violer la Loi fondamentale dont il est l'un des garants. Cette interprétation qui ne résulte pas de la lettre de la Constitution est néanmoins tout à fait conforme à son esprit. 3 - L'objet de la révisionTous les articles de la Constitution de 1972 ne peuvent être révisés. La Constitution exclut en effet expressément du domaine de la révision certaines de ses dispositions. Ainsi, l'article 37 qui consacre cette limitation interdit toute révision qui porte atteinte à la forme républicaine, à l'unité et à l'intégrité de l'Etat et aux principes démocratiques régissant la République. Cette limitation à la compétence du pouvoir constituant dérivé est traditionnelle au Cameroun et figurait même déjà dans la Constitution du 4 mars 1960115(*). Elle a été maintenue par le constituant de 1972. L'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat peut s'entendre dans deux sens dont l'un étroit et l'autre étendu. Il s'agit de définir une certaine manière de désigner le Chef de l'Etat. Celui-ci doit l'être par la voie élective par opposition à la voie héréditaire. Synonyme d'Etat, l'expression République désigne toute organisation politique basée sur des règles bien précises et dépassant la personne même du président de la République116(*). Tout citoyen remplissant les conditions prescrites par la loi électorale peut accéder à la magistrature suprême du pays. Dans un sens étendu, la forme républicaine de l'Etat aurait un contenu comprenant un certain nombre de principes connus tels la laïcité de l'Etat, l'Etat de droit, l'égalité en droit et en devoirs, la liberté de culte et le libre exercice de sa pratique, le droit d'user, de jouir et de disposer des biens garantis à chacun, etc117(*). Seul le juge constitutionnel, en réalité, peut déterminer l'étendue précise du contenu de « la forme républicaine de l'Etat ». On s'est interrogé sur la portée juridique de cette prohibition. Sur cette question, la doctrine est divisée. Certains auteurs soutiennent qu'elle n'a aucune valeur juridique et ne devrait être considérée que comme une prise de position politique, car rien n'interdit au pouvoir constituant dérivé de réviser les dispositions posant l'interdiction de sa révision avant de procéder à celle-ci. Dans la doctrine constitutionnelle française on range parmi les défenseurs de cette thèse les auteurs comme Léon DUGUIT118(*) qui ne voit en cette interdiction rien d'autre qu'une manifestation, un simple voeu dépourvu de valeur juridique. Dans la doctrine constitutionnelle camerounaise on relève également les partisans de cette thèse, notamment le Docteur Joseph KANKEU pour qui la valeur juridique d'une telle proposition est nulle, puisqu'à tout moment la Constitution peut être abrogée de manière révolutionnaire119(*). D'autres auteurs en revanche, défendent la valeur juridique de l'interdiction de réviser la forme républicaine de l'Etat. Un ardent défenseur de cette thèse est le Professeur Olivier BEAUD. Comme nous l'avons déjà noté à l'introduction de ce travail, selon cet auteur, le pouvoir constituant originaire est toujours illimité et le pouvoir constituant dérivé est toujours limité. En d'autres termes, comme Carl SCHMITT, il tire la valeur juridique de la limitation du pouvoir de révision directement de sa distinction entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir de révision constitutionnelle120(*). L'insertion de l'interdiction de réviser la forme unitaire de l'Etat apparaît dans le constitutionnalisme camerounais avec la loi n° 61/24 du 1er septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution de 1960 aux nécessités du Cameroun unifié121(*). En revanche, l'interdiction relative à l'intégrité du territoire de l'Etat remonte à la Constitution de 1960. L'interdiction de remettre en cause l'unité et l'intégrité de l'Etat vise à éviter, dans un Etat pluriculturel comme le Cameroun, toute tentative de division. Il convient, pour saisir l'intérêt qui s'attache à cette interdiction, de la situer dans le contexte historique dans lequel elle est consacrée. La loi constitutionnelle du 1er septembre 1961 crée la République Fédérale du Cameroun née de la « réunification » entre la République du Cameroun indépendant le 1er janvier 1960 et le Southern Cameroon qui avait choisi, à l'issue du plébiscite onusien de 1961, son rattachement à la République du Cameroun et non au Nigeria comme le choix lui en était offert. Il apparut donc opportun de faire en sorte que tous les citoyens de la fédération aient à l'esprit ces facteurs minimaux de solidarité et d'homogénéité que sont l'unité nationale et l'unité du territoire122(*). Mais, l'unité et l'intégrité du territoire ne signifient pas uniformité dans la mesure où la culture juridique anglaise est largement partagée au sein du groupe culturel anglophone du pays tout comme la culture française l'est dans l'ex-Cameroun oriental. Qu'en est-il des principes démocratiques également exclus du domaine d'action du pouvoir constituant dérivé ? La consécration constitutionnelle de l'intangibilité des principes démocratiques est une exigence constante des sociétés modernes. Il n'est donc pas étonnant de constater que les Constitutions successives du Cameroun ont toujours exclu les principes démocratiques des dispositions susceptibles de révision, leur but étant à terme l'enracinement de la démocratie dans le pays. Cette protection évite le retour à l'époque de la dissidence politique. Il met par conséquent tout citoyen camerounais à l'abri de l'arbitraire, du moins formellement. On en déduit qu'aucun citoyen camerounais ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou croyances en matière religieuse, philosophique ou politique. Ainsi se trouvent garanties certaines libertés comme la liberté d'expression, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d'association, la liberté syndicale ainsi que le droit de grève. Même les partis politiques bénéficient de cette protection des principes démocratiques qu'ils doivent en contrepartie contribuer à promouvoir. L'article 3 de la Constitution dispose à cet égard que les partis et formations politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent librement leurs activités conformément à la loi. Ils doivent respecter les principes de la démocratie. Dans la pratique cependant, il a fallu attendre la session de décembre 1990 dite des libertés pour voir le législateur se plier à cette exigence de la démocratie. De ce qui précède donc, on peut constater que la liberté est la pierre angulaire de la démocratie et, à ce titre, elle est située au coeur des principes démocratiques tout comme l'égalité ou le suffrage123(*). On pourra y ajouter l'organisation des élections libres et discutées124(*). Notons toutefois pour terminer qu'en l'absence d'une liste, même indicative de ces principes démocratiques établie par le constituant ou par le législateur ordinaire, seul le juge constitutionnel pourra donner un contenu à l'expression « principes démocratiques qui régissent la République »125(*). * 113 Cf. aussi l'article 9 alinéa 2 de la Constitution de 1972 dans sa version de 1996. * 114 Décision n° 92-312 D.C. du 2 septembre 1992 sur le Traité de Union Européenne. V. à ce propos LAVROFF (D.-G.), Le droit constitutionnel de la Vè République, Paris, Dalloz, 1997, p. 112. * 115 Article 50. * 116 Cf. KANKEU (J.), Droit constitutionnel, Théorie générale, Tome 1, Presses Universitaires de Dschang, 2003, p. 61. * 117 Ibid., p. 61. * 118 Cf. BURDEAU (G.), Traité de science politique, op. cit., p. 257, en note de bas de page n° 136. * 119 Cf. KANKEU (J.), Droit constitutionnel, Théorie générale, Tome 1, op. cit., p. 61. * 120 Sur la controverse relative à la question de la valeur juridique de cette limitation, Voir BEAUD (O.), La puissance de l'Etat, op. cit., pp. 329 et suiv. * 121 Cf. article 47. * 122 Cf. KANKEU (J.), Droit constitutionnel, Théorie générale, op. cit., p. 62. * 123 Cf. NGUELE ABADA (M.), Cours de Droit de la démocratie et de l'Etat de droit, Master II, option droit public, Université de Dschang, année académique 2008/2009, inédit. * 124 KANKEU (J.), Droit constitutionnel, op. cit., p. 63. * 125 La consécration d'un Conseil constitutionnel par la loi constitutionnelle de 1996 (titre VII) laisse croire qu'il pourra par ses décisions ou avis clarifier les points non précisés par la Constitution. |
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