2.10.-L'écart entre
la rhétorique et la pratique
C'est ainsi que s'exprimait Sherry R. Arnstein, une
pionnière de la participation citoyenne, dans un article publié
en 1969. Comme nous l'avons vu précédemment, bien des arguments
peuvent être invoqués pour promouvoir la participation citoyenne
en EIE. Toutefois, il semble y avoir un écart entre la rhétorique
participative de l'EIE et sa pratique. Dans la section suivante, nous explorons
cinq catégories de facteurs qui peuvent expliquer cet écart :
(3.2.1) des facteurs organisationnels; (3.2.2) des facteurs
communautaires; (3.2.3) des facteurs politiques; (3.2.4) des
facteurs théoriques; et (3.2.5) des facteurs
méthodologiques.
Fait à noter, ces facteurs peuvent être
perçus à la fois comme des risques et des obstacles. En effet,
les ardents défenseurs de la participation citoyenne y verront des
obstacles qui peuvent et doivent être surmontés. D'autres y
verront plutôt des risques réels qui expliquent leur
intérêt mitigé, voire leur opposition, face à la
participation citoyenne dans l'EIE.
2.10.1.-Les facteurs
organisationnels
Plusieurs facteurs évoqués dans la
littérature font référence aux limites des organisations
publiques qui sont appelées à mener des EIE (ex. : directions
de santé publique, autorités régionales de la
santé, municipalités, etc.). Parmi les obstacles
organisationnels, le manque de ressources humaines et financières ainsi
que le manque d'expertise en matière de participation citoyenne
ressortent fréquemment (Kearney, 2004). En effet, une
participation citoyenne active et authentique risque d'entraîner des
besoins importants en termes de ressources pour l'organisation ou
l'équipe menant l'EIE. Cela est d'autant plus contraignant que l'EIE est
souvent conçue comme une démarche intersectorielle qui
nécessite de la formation et de l'appui financier des différentes
parties intéressées (Kearney, 2004; Mannheimer, Gulis et al.,
2007).
Dans le même ordre d'idées, la mise en place de
processus participatifs d'EIE peut s'avérer incompatible avec les
échéanciers des décideurs gouvernementaux, qui sont
souvent très courts, et avec leurs programmes surchargés
(Wright et al., 2005; Mahoney et al., 2007). Parry et Wright
(2003, p. 388) soutiennent d'ailleurs que les promoteurs de l'EIE
devraient reconnaître de façon explicite la tension entre le temps
requis pour répondre à l'agenda politique et le temps requis pour
mettre en place des EIE participatives.
Dans un tel contexte, une approche participative de l'EIE
risque de perdre son attrait pour les décideurs et pourrait même
nuire à la prise de décision. Certains remettent donc en question
l'idée selon laquelle la participation doit être un pilier de
l'EIE. Wright et ses collègues (2005, p. 59) se montrent
d'ailleurs très critiques et soutiennent que «l'adhésion aux
valeurs fondamentales de la participation et du renforcement d'agir des
communautés risque de nuire à l'EIE comme approche visant
à influencer le processus d'élaboration de politiques »
(Traduction libre).
Les praticiens de l'EIE sont donc confrontés à
un choix, qui sera influencé par les enjeux et le contexte : faire une
EIE longue et détaillée qui intègre la perspective des
citoyens ou encore faire une EIE rapide (et peut-être superficielle) sans
participation citoyenne. Pour certains, il est plus raisonnable de mener une
EIE sans participation citoyenne si le temps et les ressources ne permettent
pas de mettre à contribution le public de façon authentique
(Kemm, 2005, p. 805). Dans cette perspective, la participation
citoyenne devient alors optionnelle plutôt qu'une condition sine qua non
de l'EIE (Parry et Wright, 2003, p. 388).
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