La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
Titre Trois : La réappropriation de la décroissance par les Verts françaisLa décroissance est un sujet de débat difficile chez les Verts français. Bien qu'elle réactive l'identité antiproductiviste, la confrontation de cette écologie radicale à la matrice idéologique du parti amène un certain malaise. Depuis l'entrée dans le champ partisan au milieu des années quatre-vingt, le parti écologiste s'est progressivement institutionnalisé en s'affirmant comme parti de gouvernement. D'un autre côté, les petits partis n'ont d'autre choix que de continuer à mener une stratégie de différenciation idéologique pour espérer peser sur le jeu politique. Dans ce cadre, concilier intégration de la logique majoritaire et intégrité idéologique est une équation complexe à laquelle se mesurent les petits partis. La décroissance illustre au mieux cette difficulté pour le parti Vert. Le parti écologiste français se livre à un travail de réappropriation du concept de décroissance inévitable pour rester cohérent avec son récit identitaire interne. Toutefois cette intégration est à contrebalancer avec le processus d'institutionnalisation du parti. La décroissance est dès lors requalifiée et euphémisé pour ne pas compromettre l'ascension électorale. Pourtant la base militante écologiste reste sensible aux idées de la décroissance. Chapitre 7 : Une organisation partisane en voie d'institutionnalisationLa décision d'entrée dans le jeu politique ne fut pas simple à prendre pour les écologistes. La création des Verts en 1984 est précédée de vives discussions sur l'opportunité de « politiser l'écologie » sous une forme partisane. Le mouvement écologiste s'était jusqu'à alors construit en opposition aux partis politiques traditionnels et à l'Etat notamment à travers la lutte antinucléaire. Beaucoup d'écologistes étaient donc réfractaires à l'idée d'édifier un parti de l'écologie (une partie d'entre eux préférant rester dans le combat associatif). Sous l'effet de sa participation régulière aux élections, le parti Vert va progressivement intégrer la logique majoritaire du jeu politique. L'objectif n'est plus seulement de sensibiliser le pouvoir aux thèses écologistes mais d'exercer des responsabilités pour les mettre en oeuvre. Les Verts agissent en tant qu'entreprise politique pour remporter des positions de pouvoirs face à la concurrence électorale. Confronter l'écologie politique à l'épreuve du pouvoir consiste d'abord à mettre en branle l'organisation du parti pour la compétition politique. La stratégie des alliances pour conjurer le système majoritaire est également assumée. 1. L'évolution historique vers un parti de gouvernement : une volonté assumée d'accéder au pouvoirDans leur jeune histoire, les Verts semblent tenus par un mouvement de modération. Ce dernier n'est pas uniforme, connu des heurts et des retours en arrière, mais une tendance générale à l'institutionnalisation du mouvement vert s'esquisse. Nous veillerons ici à ne pas décrire une téléologie du parti écologiste qui ferait fi du contexte socio-politique global dans lequel ces évolutions s'inscrivent. Il n'y a pas de déterminisme historique qui impulserait une vocation du parti écologiste à devenir majoritaire. Au contraire l'histoire des Verts est parsemée de périodes d'extension suivies de replis tout aussi importants. A titre d'exemple, le sociologue Alain Touraine qui pronostiquait que le mouvement antinucléaire supplanterait le mouvement ouvrier a depuis reconnu ses torts. Pour éclairer le processus d'institutionnalisation des écologistes nous retiendrons trois étapes qui jettent les bases de l'intégration de la logique majoritaire par le parti. La structuration difficile d'un mouvement de l'écologie unifié constitue la première. La deuxième concerne l'institution d'un parti écologiste propre. Enfin l'entrée des Verts dans les institutions, en particulier au Parlement et au gouvernement de « majorité plurielle », parachève la stature de parti de gouvernement. La structuration laborieuse des écologistes en mouvement unifiéCréer un parti écologiste n'allait pas de soi avant 1984. Au contraire elle fut le fruit de débats intenses et controversés sur la meilleure manière de faire triompher les thèses de l'écologie politique. La nature libertaire des premiers mouvements écologistes a conduit longtemps au refus pur et simple de toute organisation politique. Quand celle-ci fut enfin acceptée, le concept de parti fut encore repoussé pendant un certain temps. L'analyse de la structuration tumultueuse de l'écologie politique française est un préalable nécessaire pour comprendre les conflits ouverts qui rythment la vie du parti Vert et la difficulté structurelle à endosser pleinement le rôle de parti de gouvernement. Les écologistes refusent dans un premier temps toute organisation nationale et permanente239(*). Au sortir de la campagne de 1974 le voeu de René Dumont d'un mouvement de l'écologie unifiée ne se réalise que de manière éphémère. En juin 1974 plusieurs milliers de militants écologistes se réunissent aux assises de Montargis et fondent le Mouvement écologique (ME). Or l'organisation centrale du ME ne séduit guère et une grande partie des militants le quittent pour fonder une multitude de groupes, à caractère électoral le plus souvent. Ecologie 78 pour les législatives de 1978 ou Paris-écologie pour les élections municipales à Paris de 1979 sont parmi les exemples de ces structures biodégradables (elles disparaissent au lendemain du scrutin). Sur le plan national une nouvelle organisation est tentée avec la Coordination interrégionale des mouvements écologistes (CIME) qui lance une liste pour les européennes de 1979 : Europe Ecologie. Là encore les divergences se font jour et le Réseau des Amis de la Terre (RAT) boycottent le mouvement qui rate de peu la barre des 5% (4,4% au final). La relative réussite d'Europe Ecologie relance l'idée d'une organisation unifiée dans la perspective des élections de 1981. Aux assises de Dijon (1979) un consensus est trouvé sur la constitution d'une organisation nationale permanente avec le Mouvement d'écologie politique (MEP). Or une partie, majoritaire, des présents souhaitent différer l'édification d'une telle structure et refuse d'intégrer le MEP. Le mouvement écologiste se retrouve alors éclatée entre le MEP, le RAT et ceux qui ne se retrouvent ni dans l'un ni dans l'autre (les « diversitaires »). Après le succès de la campagne de 1981 (Brice Lalonde réalise le meilleur score des petits candidats avec 3, 87%) les conflits organisationnels reprennent. Les Amis de la Terre impulsent la Confédération écologiste, fédération lâche de groupes différents, tandis que le MEP fonde le premier vrai parti écologiste fin 1982 : Les Verts-Parti écologiste. L'organisation partisane prend forme avec des statuts et des modalités de fonctionnement précisées. De l'autre côté, la Confédération écologiste qui s'oppose depuis le début à la forme parti, en prend finalement le chemin en fondant Les Verts-Confédération écologiste en 1982. Il faut encore attendre deux ans (janvier 1984) pour que les deux entités se regroupent au sein d'un même mouvement partidaire « Les Verts, Confédération écologistes -Parti écologiste ». La structuration des écologistes fut donc plus que laborieuse. Comme le fait remarquer Guillaume Sainteny, six organisations nationales théoriquement permanentes et de nombreuses organisations électorales éphémères auront été nécessaires pour que les écologistes se rassemblent et engrangent enfin les bénéfices de leur présence militante240(*). * 239 SAINTENY, Guillaume, Les Verts, op.cit., p. 14-16. * 240 Ibid, p. 25 |
|