La question de la décroissance chez les verts français( Télécharger le fichier original )par Damien ZAVRSNIK Université Aix- Marseille - Diplôme d'études politiques 2012 |
Logique de représentation doctrinaleLa logique de « représentation du noyau militant » selon l'expression de Kitschelt est centrée sur les fondamentaux du parti. L'accession aux positions de pouvoirs ne peut se faire au détriment de la cohérence idéologique. Au contraire le but est de changer l'idéologie dominante en proposant un contre-modèle. Cette logique éclaire le visage « interne » du parti, le « dedans », avec un attachement fort à l'identité du parti. L'organisation partisane n'est pas seulement entendue comme une entreprise d'intéressés à la concurrence électorale. Elle est un lieu de socialisation pour les adhérents qui y trouvent une certaine forme de reconnaissance sociale. En effet l'identité « n'est autre que le résultat [...] des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions »235(*). Défendre la matrice culturelle et identitaire du parti devient alors un objectif tout aussi important que celui d'obtenir des postes d'élus. Sur le plan interne cette logique doctrinale peut se traduire par un attachement à des règles protocolaires qui transposent l'identité du parti. Florence Faucher a ainsi mis en exergue un « souci de soi » permanent chez les Verts français à travers le principe de faire de la politique "autrement"236(*). La promotion d'une culture politique alternative se retrouve chez les écologistes dans leur pratique de la démocratie continue et leur refus de la professionnalisation. Pour les partis minoritaires, la logique doctrinale peut mener à une stratégie de « démarcation » sur le plan externe du jeu politique. Elle consiste à se situer aux marges du système politique et d'argumenter par un discours radical mobilisant les fondements idéologiques du parti. Cette posture contestataire refuse l'intégration au système politique et les échéances électorales n'ont qu'une importance secondaire. Le but est avant tout de s'opposer au modèle dominant. Une autre stratégie moins radicale est néanmoins possible. La « différenciation contestataire »237(*) permet aux partis de prendre part au système politique tout en assurant la cohésion identitaire par des positions alternatives à ce même système. L'approche idéologique permet donc de mieux voir les dynamiques conflictuelles internes des partis. Toutefois les stratégies d'adaptation ou de démarcation se placent aux extrémités d'un même continuum théorique et coexistent au sein des organisations partisanes. Comme nous l'avons remarqué, un parti n'est pas une entité culturelle unifiée. Il ne faut donc pas voir dans ces logiques deux blocs qui s'opposeraient mais des repères pour comprendre les tensions permanentes qui traversent et remodèlent l'identité partisane. *** Les partis ne sont pas seulement des entreprises qui proposent une offre sur le marché politique en espérant recueillir la plus forte demande. Toutefois la notion de « parti entreprise » est utile pour saisir les mécanismes complexes qui fondent l'identité partisane. Si le parti cherche en premier lieu à acquérir des positions de pouvoirs en s'intégrant au système politique, il ne peut y parvenir au détriment de son intégrité idéologique originelle. Une formation partisane est en effet bâtie sur un ensemble d'idées, de valeurs, de symboles, de mémoires, de rêves qui constituent un système de sens. Ce dernier est indispensable aux adhérents pour se retrouver ensemble autour d'une même conception du monde. On devine alors les oppositions qui peuvent se faire jour entre les partisans d'une stratégie de compétition électorale et les gardiens d'une certaine orthodoxie idéologique. Ces contradictions internes qui font que l'identité est en perpétuel mouvement se retrouvent avec acuité dans les petits partis et d'autant plus chez les écologistes. Alors que le parti Vert français semble gagner ses galons d'acteur politique crédible auprès des électeurs, la question de son intensité idéologique est plus que jamais d'actualité. Le prisme de la décroissance est une focale intéressante pour l'analyser. Conclusion Titre II Au prix d'une certaine reformulation de la théorie des clivages nous avons essayé de mettre en avant l'ancrage des partis Verts sur un clivage productivistes/antiproductivistes. Cette classification nous renseigne sur la logique de long terme qui sous-tend le projet écologiste. Les écologistes s'opposent structurellement aux promoteurs du productivisme destructeur des écosystèmes et prônent à l'inverse un mode de vie plus sobre et respectueux de l'environnement. La décroissance se retrouve également sur ce clivage. Par sa remise en cause radicale de la société de croissance et du libéralisme elle s'apparente à une manifestation extrémiste du versant « antiproductivistes ». Avec une différence de degré, décroissance et partis Verts procèdent des mêmes racines socio-historiques. D'autre part nous avons voulu compléter l'analyse par une approche entrepreneuriale pour permettre de mieux saisir la place de la décroissance dans l'identité des Verts français. Cette approche complémentaire remédie aux limites du paradigme des clivages qui n'offre pas la possibilité (ce n'est d'ailleurs pas son objectif) de distinguer la diversité intra-partisane ni la manière dont les partis renforcent ou réduisent l'empreinte des clivages. Réfléchir les partis comme entreprises culturelles et institutions de sens admet la conciliation d'une vision culturaliste et socio-anthropologique. Les stratégies partisanes sont en effet l'émanation d'une culture issue de la logique du conflit mais les partis ont aussi prise sur le réel et agissent comme des « architectes du social »238(*). Pour comprendre l'influence de la décroissance sur le parti écologiste français il faut s'en référer aux dynamiques complexes qui structurent l'identité partisane et à la manière dont les partis redéfinissent leur idéologie en interaction avec leur environnement social et culturel. La décroissance est alors un cas d'école pour démontrer comment un parti peut concilier ambition électorale et intégrité identitaire. * 235 DUBAR, Claude, La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991, p. 111 * 236 FAUCHER, Florence, Les habits verts de la politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1999 * 237 VILLALBA, Bruno, « Les petits partis et l'idéologie : le paradoxe de la différenciation », op.cit., p. 78 * 238 LAZAR, Marc, Maisons rouges. Les partis communistes français et italien de la Libération à nos jours, Paris, Aubier, 1992, p. 187 |
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