Ière PARTIE : EMERGENCE ET AFFIRMATION
DU PRINCIPE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGER
Le droit international se trouve être fondé sur
certains principes qui invitent ses sujets à s'y conformer dans leur
conduite. Ces principes ont évolué au cours des années.
C'est la raison pour laquelle le droit international contemporain
reconnaît actuellement certains principes qui n'ont pas existé
dans le droit international classique notamment la responsabilité de
protéger.
Ainsi, il sera question de montrer comment on a
évolué du principe de non-ingérence à celui de la
responsabilité de protéger (chapitre I). Ensuite, il sera
question d'analyser le contenu du principe de la responsabilité de
protéger (Chapitre II) et de la manière dont on peut arriver
à le mettre en oeuvre (Chapitre III).
En tant que fondement du droit public classique, le principe
de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat est
l'expression de la souveraineté
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CHAPITRE I. DU PRINCIPE DE NON-INGERENCE A
LA RESPONSABILITE DE PROTEGER
Dans ce chapitre, nous nous attelons à l'analyse
circonscrite du principe de non-ingérence dans les affaires
intérieures d'un Etat. La non-ingérence est un principe
généralement admis en droit international contemporain. Mais les
limites qu'il a démontré en certaines matières telles que
celle relative aux droits de l'homme ont poussé les Etats à
atténuer son application quand il faut mettre en oeuvre le principe de
la responsabilité de protéger.
Ainsi dans ce chapitre, il sera question d'analyser
l'affirmation du principe de non-ingérence dans le cadre onusien
(Section 1), d'examiner les exceptions ou les atténuations audit
principe (Section 2) et de montrer comment on est arrivé à la
nouvelle approche qu'est la responsabilité de protéger (Section
3).
SECTION 1. AFFIRMATION DU PRINCIPE DE
NON-INGÉRENCE
La non-ingérence est un principe sacro-saint
consacré et reconnu par les Nations Unies, et faisant ainsi l'objet
d'une consécration dans plusieurs instruments juridiques internationaux.
Elle est affirmée dans la Charte des Nations Unies et dans la
résolution 2625 (XXV) du 24 Octobre 1970 sur les relations amicales
entre les Etats (§1). Puisqu'en lui-même, ce principe renferme un
conflit que d'aucuns qualifient d'intrinsèque, il semble important de
l'analyser pour enrichir cette étude afin d'en savoir plus (§2).
§1. Les prescrits de la Charte des Nations Unies et le
troisième principe de la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre
1970
A. Les prescrits de la Charte des Nations Unies
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étatique. Pourrions-nous dire qu'il est au centre de la
théorie du « domaine réservé » de l'Etat car le
respect de l'intégrité territoriale en est une application
notable15.
Le texte principal parmi tant des textes internationaux
actuels qui continuent à l'énoncer est l'article 2 §7 de la
Charte de l'ONU qui dispose : « Aucune disposition de la
présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans
les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence
nationale d'un Etat ni n'oblige les membres à soumettre des affaires de
ce genre à une procédure de règlement au terme de la
présente Charte ; toutefois ce principe ne porte en rien atteinte
à l'application des mesures de coercition prévues au Chapitre VII
».
Ce principe constitue la base des relations internationales.
Il cherche à préserver l'indépendance des Etats les plus
faibles contre les interventions et les pressions des plus
puissants16. Il impose aux tiers une stricte obligation d'abstention
car celle-ci constitue la protection légale de l'Etat de l'immixtion de
ces derniers17. Il constitue la conséquence nécessaire
et directe des deux piliers du droit des relations internationales, le
principe de souveraineté et celui de l'égalité
des Etats qui en est l'indissociable conséquence18.
A ce sujet, Eric DAVID affirme que la souveraineté a
pour corollaire le principe de non-intervention dans les affaires
intérieures et le respect de l'intégrité territoriale par
les autres Etats. Elle a aussi pour corollaire l'obligation de veiller à
ce que son propre territoire ne cause pas de dommage au territoire des autres
Etats19.
Quant à lui, Joe VERHOEVEN souligne que la règle
qui condamne l'intervention d'un Etat dans les affaires intérieures
d'autrui compte sans
15 Voir BELANGER Michel, Op-cit, p.85
16 BOUCHET-SAULNIER Françoise, Op-cit,
p.309
17 COMBACAU Jean et SUR Serge, Droit
international public, Paris, Montchrestien, 1993, p.254 ;lire dans le
même sens RUZIE David, Droit international public,
16ème édition, Paris, Dalloz, 2002, p.92 ; RUZIE
David, Droit international public, 18ème
édition, Paris, Dalloz, 2006, p.77
18 NGUYEN QUOC Dinh, DAILLER Patrick, FORTEAU
Mathias et PELLET Allain, Droit international public,
8ème édition, Paris, LGDJ, 2009, p.486
19 DAVID Eric, Droit des gens,
16ème édition, Tome II, Bruxelles, PUB, 2000, p.
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doute parmi celles qui sont le plus souvent
évoquées. L'auteur renchérit en affirmant que si
fréquent que soit son rappel, il demeure difficile de s'entendre sur le
contenu précis de la règle de non-intervention. Il se comprend,
d'après le même auteur, que celle-ci soit parfaitement superflue
si elle se contente d'interdire des actes ou comportements qui font l'objet de
prohibition spécifiques en droit international20.
Le principe de non-ingérence renforce l'obligation
faite aux Etats de s'abstenir de toute atteinte aux frontières et au
territoire étatique en excluant toute intervention ou ingérence
dans les affaires intérieures d'un Etat. C'est un principe
incontesté qui fait partie du droit international
coutumier21.
En effet, la valeur coutumière de ce principe a
été reconnue par la C.I.J dans l'affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci où la Cour
a dit : « Le principe de non-intervention met en jeu le droit de tout
Etat souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure
; bien que les exemples d'atteinte au principe ne soient pas rares, la Cour
estime qu'il fait partie intégrante du droit international coutumier
»22.
A ce titre, la Cour internationale de Justice a
condamné l'intervention en des termes énergiques lorsqu'elle
indique qu'elle l'envisage « comme une manifestation d'une politique
de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les
plus graves et qui ne saurait trouver aucune place dans le droit international
»23.
Elle va réitérer sa position en des termes
identiques lorsqu'elle précise que « le principe interdit
à tout Etat ou groupe d'Etats d'intervenir directement ou indirectement
dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat.
L'intervention est interdite dès lors qu'elle porte sur des
matières à propos
20 VERHOEVEN Joe, Droit international public,
Bruxelles, De Boeck & Larcier, 2000, p.144
21 TABRIZI SALAH Ben, Institutions
internationales, Paris, Armand Colin, 2005, p.32
22 C.I.J, Affaire des activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (Etats-Unis
c. Nicaragua), Arrêt du 27 juin 1986, Rec.1986, 14, §202
23 C.IJ., Affaire du détroit de
Corfou, Albanie contre Royaume-Uni, Arrêt du 9 avril 1949, Rec.
1949, p.35
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desquelles le principe de souveraineté des Etats
permet à chacun d'entre eux de se décider librement. Il en est
ainsi du choix du système politique, social et culturel et de la
formulation des relations extérieures »24.
De l'analyse de ce qui vient d'être dit, il ressort que
l'interdiction faite par la Charte des Nations Unies de s'immiscer dans les
affaires intérieures d'un Etat concerne les Organisations
internationales. Mais quel serait alors le fondement d'une telle obligation
pour les Etats?
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