§2. L'intervention militaire autorisée par le
Conseil de Sécurité
S'inscrivant dans la même suite d'idées que le
professeur BETTATI, nous estimons que, dans certaines situations, la
souveraineté sert d'alibi à une dictature
établie. Elle « condamne parfois des pans entiers d'une des
composantes de l'Etat, sa population, à la non-assistance, lorsque
victime de catastrophes naturelles ou politiques, elle est privée de
secours étranger pourtant disponible195.
C'est là la raison fondamentale qui pourrait justifier
une intervention militaire. Mais cette intervention pour être
légitime devra être autorisée par le Conseil de
Sécurité agissant dans le cadre du Chapitre VII lorsque la
situation est susceptible de mettre en péril la paix et la
sécurité internationales. De même, elle ne peut être
légale que si elle rentre ou trouve son fondement dans la Charte de
l'ONU.
Comme nous l'avons dit, cette intervention vise à faire
cesser la commission des crimes internationaux et violations des droits de
l'homme suscités. C'est ici que la souveraineté n'est plus
conçue comme absolue mais comme responsabilité car elle impose
à l'Etat certaines obligations qu'il doit remplir.
La Charte des Nations Unies s'est déjà
prononcée sur cette question car elle aborde les problèmes
humanitaires et sociaux qu'elle considère comme des menaces potentielles
contre la paix et la sécurité internationales et engage
194 Ibid., pp.34-35
195 Lire à ce sujet BETTATI Mario cité par
DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, Le droit international dans un monde en mutation
: essais écrits au fil des ans, Paris, Harmattan, 2003, p.63
75
tous les Etats membres à coopérer afin de
favoriser le progrès économique et social de tous les
peuples196.
Les limitations à l'indépendance des Etats ne se
présumant pas tel qu'admise par la C.P.J.I dans son arrêt du 7
novembre 1927197, force est de constater que, comme l'a
précisé le président François MITTERAND dans sa
déclaration de l'inauguration de la session de Paris de la
conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe du 30 mai 1989, l'obligation de non-ingérence s'arrête
à l'endroit précis où nait le risque de
non-assistance198.
En plus, puisque personne ne peut soutenir le terrorisme ou
certains régimes corrompus du tiers monde qui massacrent
impunément des minorités, détournent l'aide humanitaire et
violent les droits les plus élémentaires de leurs
citoyens199, une intervention armée en ce sens est admissible
pour faire cesser ces violations.
De ce qui précède, le rapport du
Secrétaire Général Ban Ki-Moon précise que la
deuxième phrase du paragraphe 139 du Document final du Sommet mondial de
2005 souligne que la communauté internationale pourrait invoquer une
gamme plus large d'actions collectives, pacifiques ou non, pour autant que deux
conditions soient réunies :
196 Voir Chapitre X de la Charte de l'ONU
197 C.P.J.I, Affaire du Lotus, Série A,
N°10, 1927, p.18. Eric DAVID souligne qu'on dit souvent que les
limitations à la souveraineté ne se présume pas ; de
là la grande difficulté de toute théorie de l'abus de
droit ; mais ceci ne signifie pas que la souveraineté étatique
n'est pas soumise au droit. La souveraineté n'a pas un caractère
inconditionnel ou absolu. Un sujet de droit ne peut être à la fois
soumis au droit et au-dessus de lui. Si la souveraineté était le
pouvoir de décider d'une manière entièrement
discrétionnaire et sans être soumis à aucune règle,
alors cette souveraineté serait la négation du droit
international. Elle se heurterait en outre à la souveraineté
égale des autres Etats. L'auteur conclut qu'il est donc clair que la
souveraineté est soumise au droit et qu'elle n'a pas un caractère
absolu. La souveraineté est aussi compatible avec des engagements
volontaires, d'après le même auteur. Sur ce point, il convient de
distinguer le point de vue des juristes classiques formalistes de celui
qu'adopte une partie de la doctrine contemporaine. Selon les juristes
classiques formalistes, le concept de souveraineté n'ayant aucun
caractère absolu, la souveraineté d'un Etat est compatible avec
des engagements susceptibles de limiter ses droits pourvu que ces engagements
aient été volontairement acceptés. Lire DAVID Eric,
Droit des gens, 16ème édition, Tome II,
Bruxelles, PUB, 2000, p.246
198 MITTERAND François cité par BETTATI
Mario, Op-cit, p.659 et DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, Op-cit,
p.64
199 Lire à ce sujet DJIENA WEMBOU Michel-Cyr, Op-cit,
p.65
76
a) « lorsque ces moyens pacifiques se
révèlent inadéquats »200, et
b) « que les autorités nationales n'assurent
manifestement pas la protection de leurs populations » contre les quatre
crimes et violations considérés.
Le rapport précise que dans les deux cas, les chefs
d'État et de gouvernement affirment, au paragraphe 139 « nous
sommes prêts à mener en temps voulu une action collective
résolue, par l'entremise du Conseil de Sécurité,
conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par
cas et en coopération, le cas échéant, avec les
organisations régionales compétentes »201.
Le Secrétaire Général Ban Ki-Moon a alors
relevé dans une allocution prononcée à Berlin le 15
juillet 2008202 que l'énoncé de cette phrase donne
à entendre qu'une réaction rapide et souple s'impose en pareil
cas, adaptée à la situation et tenant pleinement compte des
dispositions de la Charte.
Enfin, le Sommet de 2005 retient que dans une situation
d'urgence qui évolue rapidement, l'ONU, les décideurs
régionaux, sous-régionaux et nationaux doivent avoir toujours
pour principal objectif de sauver des vies humaines en menant « en temps
voulu une action collective résolue »203, et se garder
de suivre pas à pas une série de procédures arbitraires,
qui privilégient la forme au détriment du fond et la
méthode au détriment des résultats.
200 Voir dans le même sens l'Article 42 de la Charte de
l'ONU : « si le Conseil de sécurité estime que les mesures
prévues à l'Article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se
sont révélées telles [...] »
201 A/63/677du 12 janvier 2009, Op-cit, §49
202 Voir communiqué de presse SG/SM/11701
203 A/63/677 du 12 janvier 2009, Op-cit, §139
77
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
La responsabilité de protéger est une nouvelle
approche onusienne qui a permis de comprendre la souveraineté autrement
en dépassant la conception traditionnelle de la souveraineté
comme absolue pour aboutir à une conception de la souveraineté
comme responsabilité.
C'est à la suite de quelques concepts doctrinaux du
droit international tels que l'intervention d'humanité, l'intervention
humanitaire et le droit d'ingérence humanitaire que l'humanité
est arrivée à la mise en place de ce principe.
Il sied de rappeler que les concepts précités
qui ont précédé le principe de la responsabilité de
protéger ont constitué un instrument pour la légitimation
des intérêts de grandes puissances et de leur
hégémonie sur les petits Etats tout en allant à
côté des objectifs apparents qu'ils affichaient. Plus
précisément, le fameux droit d'ingérence humanitaire, lui,
a été balayé par les Etats à cause des incertitudes
de ses fondements, de l'imprécision de son contenu et de la
variabilité de sa géométrie.
C'est devant cette intolérance que la
responsabilité de protéger devrait s'installer comme principe
compatible aux exigences de l'Etat moderne qui voit sa mission première
être orientée vers la protection de la population laquelle
protection devient une fin en soi et conditionne le droit international et les
relations internationales.
La responsabilité de protéger n'a donc pas, en
soi, apporté des obligations nouvelles. Mais c'est seulement au niveau
de la terminologie qu'il y a une nouveauté. Car, si dans les
années 90 les Etats étaient allergiques à des termes tels
que le droit d'ingérence humanitaire avec ses incertitudes telles que
soulignées ci-haut, en plein XXIè siècle, le terme du
débat a changé et l'attention est plus tirée vers un ordre
plus humain avec l'avènement de la responsabilité de
protéger.
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Contrairement aux principes qui l'ont
précédée, la responsabilité de protéger
vient renforcer le système onusien en ce que sa mise en oeuvre ne peut
que rentrer dans le cadre de la Charte de l'ONU et du Conseil de
Sécurité qui en est l'autorité principale et
appropriée. A côté de celui-ci, l'Assemblée
Générale est placée comme autorité de substitution
dans le cadre de la procédure de l'Union pour le maintien de la paix.
C'est aussi grâce à son contenu sans
détour que la mise en oeuvre de ce principe parait bien aisé.
Toutefois, comme l'a souligné Mario BETTATI, il y a toujours et souvent
l'interférence des intérêts stratégiques dans
l'application du droit international, ce qui fait que, la responsabilité
de protéger n'échappant pas à cette réalité,
son application peut parfois s'avérer hypothétique.
Ce qui nous pousse à faire alors un plaidoyer en faveur
d'une impartialité sans aucune autre de la part des acteurs de ce
principe lesquels doivent s'abstenir d'appliquer la politique de deux poids
deux mesures et doivent mettre à l'avant plan l'idée de
solidarité qui doit forger notre humanité en cas de
perpétration des crimes couverts par la responsabilité de
protéger et permettre d'admettre cette fois-là l'existence d'une
« réelle communauté internationale ».
Somme toute, la responsabilité de protéger ne
pourra se placer sur la lignée des principes effectivement admis sur la
scène internationale que lorsque ses acteurs ne l'auront pas
détourné de ses objectifs comme il a été le cas
avec les principes qui l'ont précédée. Ce n'est que dans
cette façon de voir les choses qu'une réelle application de ce
principe aux fins de protection humaine ne pourra être atteinte.
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