00. INTRODUCTION GENERALE
01. PROBLEMATIQUE
L'histoire renseigne que dans les relations internationales,
l'idée d'aller dans un pays étranger pour y « aider »
la population en détresse est ancienne. Au XIXe siècle, on
parlait alors « d'intervention d'humanité ». C'est par ce
terme que les Européens qualifiaient leurs actions pour aller,
officiellement, sauver les chrétiens vivants en Turquie, mais
officieusement, pour déstabiliser le Sultan de Turquie, Abdülhamid
II. Au nom de cette « intervention d'humanité », des «
atrocités » furent commises1.
Dans son ouvrage, De jure belli ac pacis, Grotius y faisait
mention et Vattel affirmait que « toute puissance étrangère
est en droit de soutenir un peuple opprimé qui lui demande son
assistance ». C'est sur cette base que s'est développée au
XIXè siècle la doctrine de l'intervention d'humanité, en
vertu de laquelle un droit d'intervention unilatérale existe lorsqu'un
gouvernement viole sur son territoire les droits de l'humanité par des
excès de cruauté et d'injustice envers sa propre
population2.
Mais dès son avènement en 1945, l'Organisation
des Nations Unies s'est construite sur le principe sacro-saint de
non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats tel que
mentionné à l'article 2, paragraphe 7 de sa charte constitutive
et à la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970. Ce principe est
affirmé traditionnellement par le droit international public
général. Il constitue l'expression de la souveraineté
étatique. Il est au centre de la théorie du domaine
réservé de l'Etat3.
1ROUGIER Antoine, « La théorie de
l'intervention d'humanité », in Revue générale de
droit international public, t. XVII (1910), page 468 et suivantes.
2 GROTIUS Hugo cité par ROUGIER Antoine,
« La théorie de l'intervention d'humanité », in
Revue générale de droit international public, t. XVII
(1910), p.468. Précisons que dans son ouvrage De iure belli
ac pacis (1625), Hugo GROTIUS avait déjà abordé la
possibilité d'intervenir dans le cas où un tyran commettrait des
actes abominables.
3 BELANGER Michel, Droit international
humanitaire, Mémentos, Paris, Gualino, 2002, p.85
2
L'ONU n'a jamais voulu consacrer un principe contraire
à celui-ci. Par conséquent, ce principe sera au coeur du droit
international et va guider les relations internationales jusqu'au stade
actuel.
Ce postulat établit que l'Etat est seul maître
sur son territoire. Dans ce sens, aucune intervention, quelle que soit sa
nature, d'une tierce personne sur son territoire n'est admissible sans son
consentement préalable. Le principe de non-ingérence touche, en
effet, de près à la question du respect des droits de
l'homme4.
C'est ainsi que les Etats ont cherché à apporter
des limites à l'application de ce principe en recourant aux notions
telles que l'intervention d'humanité, l'intervention humanitaire et le
droit d'ingérence humanitaire.
Au demeurant, l'idée d'ingérence humanitaire est
apparue durant la Guerre du Biafra (1967-1970), conflit ayant
entraîné une épouvantable famine, largement couverte par
les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs
d'États et de gouvernement au nom de la neutralité et, du
sacro-saint principe de non-ingérence. Ce conflit a
entraîné la mort de un à deux millions de personnes, selon
les estimations5.
Les atrocités vécues dans cette guerre et les
graves violations des droits de l'homme y perpétrées ont permis
d'aboutir à des mécanismes pour y remédier. C'est ainsi
que la doctrine a théorisé certains principes qui mettaient
l'homme au centre de toutes les actions politiques des Etats et cette
dernière est allée plus loin en créant même des
Organisations Non Gouvernementales ayant pour but de porter secours aux
populations en guerre en l'occurrence Médecins sans frontière.
4DOR Virgine, De l'ingérence humanitaire
à l'intervention préventive. Vers une remise en cause des
principes du droit international, Mémoire, Institut européen
des hautes études internationales. Diplôme européen des
hautes études internationales, 2002-2003, p.11
5GUISNEL Jean, « Derrière la guerre du
Biafra, la France », in Histoire secrète de la Ve
République (sous la direction de FALIGOT Roger et GUISNEL Jean), La
Découverte, 2006, 2007, pp. 147-154.
3
C'est partant de cette situation que l'on a abouti à la
théorie d'ingérence humanitaire. Le concept a été
théorisé à la fin des années 1980, notamment par le
professeur de droit Mario BETTATI et l'homme politique Bernard KOUCHNER. Ces
derniers ont alors parlé d'un droit d'ingérence humanitaire.
Ce concept encourageait et justifiait le recours à la
force internationale prévu dans le cadre des Nations Unies pour
protéger les populations menacées à l'intérieur de
leurs propres frontières. Les Etats ont depuis lors tenté de
justifier leurs interventions armées dans les affaires
intérieures des autres Etats par des motifs nobles tels que la
défense des droits de l'homme, la défense des minorités,
celle de leurs ressortissants expatriés ou d'autres motifs
d'humanité6.
Mais le constat malheureux qui a été fait est
qu'il y avait une utilisation abusive de ladite théorie. Plusieurs abus
d'intervention ont alors été enregistrés au point qu'on
assista même aux interventions non coordonnées.
Ainsi, pour arriver à favoriser une meilleure
compréhension de la difficulté de concilier l'intervention
à des fins de protection humaine et la souveraineté7,
il a été créé en septembre 2000 par le Gouvernement
canadien, répondant à l'exhortation du Secrétaire
Général de l'ONU, la Commission internationale de l'intervention
et de la souveraineté des Etats (CIISE). Cette dernière, pour
satisfaire au mandat qui lui a été attribué, va
élaborer un rapport intitulé la « Responsabilité de
protéger ».
Par ailleurs, il y a lieu de mentionner que ce rapport a
été élaboré à la suite de certains travaux
des Nations Unies tels que le rapport mondial sur le développement
humain, le rapport Brahimi, etc. Le terme responsabilité de
protéger deviendra depuis lors un principe parmi tant d'autres en droit
international.
6 BOUCHET-SAULINER Françoise,
Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Paris, Edition La
Découverte, 2006, p.310
7 CIISE, « La responsabilité de
protéger », Ottawa, Centre de recherche pour le
développement international, décembre 2001, p.2
8 CIISE, Op-cit, p.VIII
4
La question s'était posée en ces termes : «
lorsqu'il s'agit de protéger les personnes physiques par
celui-là même qui en a la charge (l'Etat) et que ces personnes
sont exposées à des graves violations de leurs droits, si l'Etat
est défaillant, faut-il croiser les bras ? Tel est le
problème de la responsabilité de protéger. Ce principe
pose le problème d'intervention humanitaire.
En réponse à cet appel, l'ONU a admis que les
Etats souverains ont la responsabilité de protéger leurs propres
citoyens contre les catastrophes qu'il est possible de prévenir
(meurtres à grande échelle, viols systématiques, famine).
S'ils ne sont pas disposés à le faire ou n'en sont pas capables,
cette responsabilité doit être assumée par l'ensemble de la
communauté des Etats8.
Ce principe a connu son application dans la crise libyenne.
Tout a commencé le 15 février 2011 lorsque les premières
manifestations ont eu lieu en Libye. Ces manifestations ont connu une forte
répression de la part du gouvernement du colonel Mu'ammar Kadhafi. Elles
ont eu lieu à l'occasion du procès de prisonniers morts en
détention. Leurs mères se sont rassemblées devant le
tribunal. Dans la soirée, elles sont rejointes par les avocats
protestant contre l'arrestation de leur collègue, Fathi Tirbil qui
défendait les prisonniers morts lors du massacre d'Abou Salim.
Le 21 février 2011, Human Rights Watch publie un bilan
provisoire faisant état de 233 morts, auxquels il ajoute deux jours plus
tard 62 tués à Tripoli, ce qui porte le bilan à un minimum
de 295 morts. Selon la Coalition internationale contre les criminels de guerre
(ICAWC, International Coalition Against War Criminals), le bilan est au matin
du 22 février 2011 de 519 morts, 3 980 blessés et au moins 1 500
disparus. Alors que le ministre italien des Affaires étrangères
Franco Frattini estime que le bilan de plus de 1 000 civils tués est
crédible, le régime de Kadhafi publie le soir du 23
février 2011 un bilan de 300 morts, dont 58 militaires, chiffre qui
concorde avec le bilan de la Fédération internationale des droits
de l'homme (FIDH) publié le matin, qui estimait le nombre de victimes
entre 300 et 400.
5
Selon la Ligue libyenne des droits de l'Homme, fondée
par le propre fils de Kadhafi, Saif al islam, il y aurait eu depuis le
soulèvement 6 000 morts, dont 3 000 dans la seule ville de Tripoli, 2
000 à Benghazi, et 1 000 dans d'autres villes.
Face à cette situation tragique de la population
libyenne que le Conseil de Sécurité des Nations Unies va prendre
deux résolutions (une première le 26 février 2011 :
résolution 1970 et une seconde le 17 mars 2011 : résolution 1973)
dans lesquelles il rappelle que les autorités libyennes ont la
responsabilité de protéger le peuple libyen. La résolution
1973 est d'ailleurs allée plus loin jusqu'à autoriser une
intervention militaire en Libye.
L'autorisation par le Conseil de Sécurité de
l'usage de la force dans le contexte de la crise libyenne pose un certain
nombre de question : qu'est-ce que la responsabilité de protéger
?; comment ce principe a-t-il vu le jour en droit international?; quel est son
contenu exact ?; dans quelles conditions peut-il être invoqué
contre un pouvoir établi ?; l'intervention de l'OTAN en Libye est-elle
restée dans les limites de la responsabilité de protéger
?
C'est à ces questions que nous tenterons de
répondre dans cette
étude.
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