Introduction Générale
``Ayant maintenant regardé la politique
monétaire des deux cotés, je peux témoigner que la
gouvernance de la banque centrale est aussi beaucoup plus un art qu'une
science. Néanmoins, en pratiquant cet art sombre, j'ai toujours
trouvé la science tout à fait utile.» Blinder (1997)
Depuis fin 2008, la Reserve Fédérale (Fed)
mène une politique de taux zéro aux Etats-Unis : le taux cible
des Fed funds, a baissé le 16 décembre 2008 dans la
fourchette de 0 % à 0,25 % (contre une cible de 1 % auparavant). De
même, en zone Euro, le taux directeur de la BCE est passé à
1,25 %, et celui de la Banque d'Angleterre à 0,5 %1. Des
mesures de politiques théoriquement prescriptibles en vue d'enrayer le
durcissement des conditions des crédits aux ménages et aux
entreprises (et même aux banques secondaires dans l'interbancaire) qui
s'est développé à la faveur de la crise des subprimes de
l'été 2007.
Malgré cette détente assez forte, les agents
économiques notamment ceux du marché interbancaire et financier
n'ont pas été assez réceptifs à ces signaux des
banques centrales, à telle enseigne que la crise de confiance et de
liquidité se renforçait, le crédit se raréfiait et
se renchérissait et finalement la conjoncture tombait davantage dans la
morosité.
Afin de rompre avec cette tendance à la
déflation qui menaçait déjà ces économies,
les grandes banques centrales ont adopté des mesures de politique
monétaire atypiques dites encore « politiques monétaires
non conventionnelles ».
Les politiques non conventionnelles sont des mesures que les
banques centrales utilisent lorsque les canaux traditionnels2 de la
transmission monétaire ne fonctionnent plus correctement, principalement
le canal du taux d'intérêt et le canal du crédit. Elles
visent à agir sur l'offre de crédit en assouplissant les
conditions de financement de l'économie. Il s'agit donc de prêts
directs (ou de garanties) de la banque centrale aux emprunteurs du secteur
privé : la banque centrale injecte des liquidités dans les
comptes de "non banques"(Artus, 2009). Ces politiques sont
dénommées quantitative easing ou credit easing,
d'autres préférant politiques tournées vers le passif et
politiques tournées vers l'actif. Dans tous les cas, ces politiques se
traduisent par un gonflement assez rapide du bilan des banques centrales.
Dans
1 Revue Trésor-Eco, n056, avril
2009, Politiques monétaires non conventionnelles : un bilan
2 Généralement, on distingue quatre
canaux : les taux d'intérêt, le crédit, les prix des actifs
et les anticipations
Règles de politique monétaire : essai de
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ces conditions, que devient le cadre de conduite de la
politique monétaire d'avant la crise, i.e. les règles ?
Selon Kydland et Prescott (1977) « Rules rather than
discretion », la conduite de la politique monétaire devrait
désormais se baser sur des règles afin d'atteindre des
résultats optimaux in fine. Le débat était ainsi
lancé sur l'efficacité ou l'optimalité entre politiques
discrétionnaires et celles basées sur des règles.
Prolongeant cette analyse en intégrant la crédibilité de
l'engagement de la banque centrale, Barro et Gordon (1983) démontrent
que si la banque centrale n'est pas contrainte ex-post, alors la
politique non inflationniste n'est pas crédible.
La période de grande inflation et de chômage
à travers le concept de stagflation soulevé par Friedman au
lendemain des cures des politiques keynésiennes, avait fait
basculé le paradigme dominant de la politique monétaire vers la
priorité accordée à la lutte contre l'inflation par toutes
les banques centrales depuis ces trente dernières années dans les
pays développés. Les pays en développement, n'étant
pas aussi en reste. Dans ce contexte, est né un consensus assez
généralisé sur les conditions et la qualité de la
politique monétaire. En effet, une banque centrale est jugée
crédible par les agents économiques nationaux et internationaux,
si ceux-ci sont convaincus qu'elle a la volonté et dispose de la
capacité de maîtrise du niveau général des prix ;
une politique monétaire discrétionnaire s'accompagne d'un biais
inflationniste et enfin une politique fondée sur des règles de
conduite est plus crédible qu'une politique discrétionnaire.
Nombre de règles, ont ainsi émergé de la
littérature pour appréhender la régulation
monétaire des banques centrales. Des auteurs tels McCallum(1987),
Taylor(1993), Svensson(1997) ont modélisé des fonctions dites de
réactions pour les grandes banques centrales des pays
développés (Reserve Fédérale, BCE, banque centrale
du Canada, etc.), toute chose matérialisant l'opérationnalisation
du cadre de conduite de la politique monétaire.
Au demeurant, l'abondance de la littérature sur les
fonctions de réaction des Banques Centrales à la fin des
années 1980 a permis d'endogéneiser le taux
d'intérêt relativement à l'inflation, à l'output et
à d'autres variables pertinentes. Du domaine positif au normatif, nombre
de ces fonctions ont été proposées par des chercheurs
d'obédiences théoriques diverses. De la règle simple
à la complexe, de la robuste à l'optimale ; toutes ces
règles sont
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concurrentes pour la régulation monétaire.
Taylor (1993, 1998) précise que ces fonctions ou règles
monétaires ne doivent pas être des benchmark
(références) rigides appelant à des politiques
mécaniques ; mais plutôt des guidelines pour encadrer la
conduite de la politique des autorités monétaires.
La BCEAO, institut d'émission de l'UEMOA, régule
la conduite de la politique monétaire dans la zone. Sa politique
s'inscrit dans la politique économique globale visant l'atteinte des
objectifs économiques au sens de Kaldor, avec toutefois une
priorité accordée à la stabilité des prix. Laquelle
stabilité est définie par Alan Greenspan (1989) comme une
situation où « les variations attendues du niveau moyen des prix
sont suffisamment faibles et graduelles pour ne pas influer sensiblement sur
les décisions financières des entreprises et des ménages
». Cette stabilité des prix a été
réaffirmée comme objectif prioritaire de la Banque Centrale
à horizon de vingt quatre (24) mois par le Comité de Politique
Monétaire (CPM).3Les moyens opérationnels pour
réaliser cet objectif de politique sont divers. Une cible d'inflation
peut être définie, ou les taux d'intérêt
modulés ou encore certains agrégats monétaires
sollicités pour réguler les conditions monétaires et
assurer une macrostabilité.
Toutefois, depuis les grandes reformes qualitatives consacrant
la libéralisation financière en 1989, la BCEAO a abandonné
la gestion directe ou administrative4 au profit de la gestion dite
indirecte. Laquelle use des canaux beaucoup plus indirects tels les taux
d'intérêt pour transmettre les impulsions monétaires aux
marchés monétaires et financiers. Le taux d'intérêt
devenait ainsi un outil primordial dans la régulation monétaire,
et surtout, après l'abandon effectif de l'encadrement du crédit
en janvier 1994.5 Le dispositif du taux d'intérêt
éclairci les prises de décisions des agents économiques et
comme souligné par Kydland et Prescott (1977), la politique
monétaire de la banque centrale s'inscrit dans une logique de
règle ; toute chose la soustrayant d'une incohérence temporelle
liée à la discrétion jadis (encadrement du crédit
par exemple).
Taylor (1993) popularise, une règle simple de taux,
descriptive de la conduite de la politique monétaire de la Reserve
Fédérale (Fed) entre 1987 et 1992 sous la férule d'Alan
Greenspan. La règle de Taylor montre toutefois que la Fed prend en
compte dans la fixation de ses taux
3 Voir Rapport sur la politique monétaire
de l'UEMOA, 2010
4 Elle était matérialisée par
l'encadrement du crédit, le plafonnement des taux, bonification des
taux, etc.
5 NUBUKPO K.K. (2003), l'efficacité de la
politique monétaire de la BCEAO depuis la libéralisation de
1989.
4
directeurs, les gaps d'inflation et du produit par rapport
à leur niveau cible, révélant ainsi une certaine
complexité dans la régulation par les taux. Un compromis reste
donc à être trouvé entre stabilité des prix et
croissance économique, réalité d'un mandat
dual6. La problématique de la courbe de Phillips resurgit
dès lors. Mais, Taylor renouvelle cette problématique sous
l'angle d'un compromis entre variabilité de l'inflation et
variabilité de l'output connu sous le nom de « courbe de Taylor
».
Qu'en est il pour la BCEAO et sa zone, elle dont le mandat est
hiérarchique ? Certes, la BCEAO priorise une cible d'inflation de 2%
avec #177; 1% de marge de fluctuation de par sa connivence avec la Banque
Centrale Européenne (BCE), mais certaines de ses injonctions
monétaires assurent une régulation conjoncturelle de
l'économie réelle, du moins de manière implicite. Tenou
(2002) en a donné un premier essai en estimant une règle de
Taylor pour la BCEAO. Aussi, Nubukpo (2002, 2003) montre que la politique
monétaire impacte sur la croissance. En effet, il ressort de ses
estimations, qu'un choc positif sur les taux directeurs de la BCEAO se traduit
par un effet négatif sur la croissance, effet dont l'ampleur maximale,
faible, se situe à la fin du premier trimestre et qui persiste pendant
six ans et demi. Il souligne aussi que l'effet négatif sur l'inflation
est rapide, avec une ampleur maximale observée dès la fin du
premier trimestre et une persistance d'une durée de cinq ans avant
retour à la tendance de long terme.
L'étude de Tenou (2002) montre que la politique
monétaire de la BCEAO est descriptible par une règle
monétaire (règle de Taylor). Sur données annuelles
(1970-1999) comme sur données trimestrielles (1991- 1999), la banque
centrale dans la fixation du taux du marché monétaire tient
compte des variables économiques fondamentales. La variabilité
des prix et la production sont ainsi intégrées dans la prise de
décision de la banque centrale. Un cadre logique peut donc être
conçu pour ancrer les anticipations des agents économiques et
fonder dès lors la crédibilité de la politique
monétaire, spécifiquement de la politique des taux
d'intérêt de la banque centrale.
La crise financière a cependant introduit une
incertitude dans l'économie, rendant les modèles de
prévisions souvent inappropriés (la politique des taux par
exemple). Dans le domaine
6 Le mandat dual se distingue du mandat
hiérarchique. Il recommande comme objectifs de la politique
monétaire, et la stabilité des prix, et le plein emploi. Alors
que le mandat hiérarchique met une priorité sur la
stabilité des prix, laquelle pouvant être secondée par
l'objectif d'emploi (exemple de la BCE).
Règles de politique monétaire : essai de
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monétaire, les banques centrales des pays
touchés en première heure par la crise des subprimes et
ses collatéraux ont eu recours à l'usage de mesures
exceptionnelles qualifiées aussi de mesures non conventionnelles. Or
jusque là, la conduite de la politique monétaire de ces banques
centrales a été décrite par plusieurs auteurs comme
suivant des règles monétaires (avec plusieurs formulations
possibles), et ce surtout que le débat règles versus
discrétion avait trouvé un consensus en faveur des
règles à la fin des années 1980. La
crédibilité des banques centrales s'en est trouvée quelque
peu écorchée. Alors, toute cette apologie des règles
monétaires reste-elle valable malgré cette situation de crise ?
Autrement, comme s'interroge Taylor (2010), la crise financière de
2007-2008 suggère-t-elle un nouveau paradigme pour la politique
monétaire ?
Ainsi, dans un environnement international où des
mesures ad hoc ont été appliquées, la conduite de
la politique monétaire de la BCEAO a-t-elle suivi une règle ? La
BCEAO n'est pas en reste ou ne doit pas être en marge de cette grande
interrogation relative au cadre de conduite de la politique monétaire.
Certes, le tissu monétaire surtout financier de la zone UEMOA est en
développement progressif, notamment à travers les
activités de la bourse régionale des valeurs mobilières
(BRVM) pour être exposé aux conséquences de cette crise
financière et en appeler à l'adoption de telles mesures (non
conventionnelles) ; mais l'évaluation de la logique sous-tendant la
modulation du taux directeur comme canal de transmission s'avère
cependant nécessaire. L'existence d'une logique renforcerait la
crédibilité de la politique de taux directeur menée par la
BCEAO.
La présente recherche vise dès lors à
évaluer l'existence d'une logique de décision dans la conduite de
la politique monétaire de la BCEAO après la libéralisation
financière de 1989 intégrant aux mieux les objectifs de
stabilité de l'inflation et de l'activité économique ,et
pouvant de ce fait crédibiliser la politique monétaire.
Spécifiquement cette étude vise à :
- Déterminer les poids implicites accordés par
la BCEAO à l'objectif de stabilité des prix ainsi qu'à
celui de stabilisation de l'activité réelle dans ses
décisions ;
- Déterminer les phases (accommodante ou restrictive)
de la politique monétaire de la banque centrale.
Règles de politique monétaire : essai de
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Afin de résumer la politique monétaire de la
BCEAO par une règle monétaire simple, nous estimerons une
fonction de réaction en nous basant sur la modification apportée
par Clarida, Galí et Gertler (1998), à la règle
initialement proposée par Taylor (1993). Pour la modélisation du
comportement des autorités monétaires, nous estimerons une
forme forward-looking de la fonction de réaction optimale
adaptée au contexte de la BCEAO. En plus, une spécification VAR
non structurel sera utilisé en prélude pour déjà
capter le sens et l'ampleur de la réaction du taux directeur, de
l'inflation et de l'output à leurs innovations réciproques.
La méthode économétrique retenue dans
l'ensemble de la littérature sur les "forward-looking rules"
est la méthode généralisée des moments (MGM) qui
est particulièrement adaptée dans le cas des modèles
à anticipations rationnelles.
La suite du travail est organisée autour de quatre
chapitres ainsi qu'il suit.
Le chapitre premier présente le contexte
monétaire à la BCEAO, et la façon dont la politique
monétaire y est conduite. Dans le deuxième chapitre, nous passons
en revue les fondements théoriques de la politique monétaire
optimale, en partant de la problématique règle contre
discrétion, avec un retour sur la règle de Taylor et les
modifications qu'elle a connues, ainsi que sur les nouvelles questions de
ciblage d'inflation. Au niveau du chapitre trois, nous formulons une
règle pour la BCEAO. Et enfin, le chapitre dernier sera consacré
à l'analyse des résultats des estimations du VAR et de la
règle forward-looking.
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