II.2 Aspects empiriques
L'estimation empirique des règles de politique
monétaire ou fonctions de réaction a trouvé une large
attention dans la sphère des économistes que des praticiens de la
politique monétaire. Les conclusions quant à leur robustesse et
leur pouvoir descriptif, dépendent pour beaucoup du modèle de
l'économie et des méthodes économétriques
d'estimation considérés.
? Dans les pays développés
La littérature abonde fortement dans les pays
développés tellement les auteurs dans leurs diversités
théoriques ont testé ces réactions des banques centrales
dans toutes les facettes
31 Cette perspective est la restriction que la banque
centrale s'impose de ne considérer que des règles qui ne
dépendent pas de la date où l'engagement est pris.
Règles de politique monétaire : essai de
modélisation pour la BCEAO DEA/Master de recherche
35
possibles. McCallum (1987) sur base d'estimation sur
données américaines prétend que sa règle de revenu
nominal aurait permis de réduire la variabilité du revenu nominal
sur la période 1954-1985 et maintenir l'inflation à zéro.
Cette vision est soutenue par Durand et Payelle (1998). Ces derniers ont en
effet simulé les données françaises avec une
modélisation Vecteur Auto Régressif (VAR) entre 1978 et 1996 et
concluent que cette règle aurait donné des résultats plus
probants que ceux de la politique monétaire effectivement
menée.
Taylor (1993) montre que sa règle initiale
décrit assez bien la politique monétaire de la Fed pendant la
période 1987-1992, avec des coefficients de réaction à
l'écart d'inflation et à l'output gap de 0,5. Utilisant des
simulations dynamiques stochastiques sur plusieurs pays de l'euro
système, les Etats-Unis et le Japon, Taylor(1999) montre que les
règles simples (à la Taylor) sont robustes et efficaces que les
règles optimales. Même s'il reconnait que les règles de
prévisions d'inflation à la Rudebusch and Svensson (1999)
présentent l'avantage d'incorporer d'autres variables pertinentes pour
la prévision dans un horizon temporel bien donné.
Pour la zone Euro, Verdelhand (1999) estime une règle
simple de Taylor avec la méthode des généralisée
des moments. Il trouve un coefficient de 1.3 pour l'inflation et 0,6 pour la
production. Ces coefficients sont assez proches de ceux de Taylor (1993). Dans
le même ordre d'idées, Sibi (2001) estime cette règle avec
la même méthode en faisant varier la technique d'évaluation
de la production potentielle. Il utilise pour se faire le gap par ajustement
linéaire, le gap à tendance quadratique et le gap par filtre
d'Hodrick-Prescott. Il ressort de ses estimations que les deux dernières
méthodes retracent assez bien la politique de la BCE au sens de
Taylor.
Toujours pour la zone euro, Mesonnier et Renne (2004) à
la recherche d'une règle monétaire robuste estiment
premièrement une règle forward-looking sur la
période 1979-2003 par la MGM en supposant la stationnarité des
séries utilisées, ensuite cette hypothèse est levée
pour conduire l'estimation sur la période 1985-2003. L'utilisation du
filtre de Kalman a été l'innovation dans cette étude
empirique. Toutefois, ces auteurs concluent que la non stationnarité
apparente n'a pas modifié conséquemment la robustesse de la
règle trouvée en première estimation.
Règles de politique monétaire : essai de
modélisation pour la BCEAO DEA/Master de recherche
36
Clarida et al. (1998,1999, 2000) en utilisant une
règle de Taylor version forward-looking trouvent une
adéquation avec les politiques monétaires menées par la
Fed et les banques centrales européennes pour stabiliser l'inflation.
Aussi, Clarida (2001) recourt à un modèle structurel VAR pour
identifier d'autres éléments pertinents que les banques centrales
pourraient intégrer dans leur règle forward-looking. Il
identifie le taux de change comme un élément clé. Cette
approche pourrait d'après lui permettre de décomposer les effets
des chocs pour chacun des pays formant une union monétaire.
Jondeau et al. (2004), dans leurs exercices de
détermination de la fonction de réaction de la Fed par la
Méthode des Moments Généralisée (MMG) et celle du
Maximum de Vraisemblance (MV), ont montré que sur la période
1987-2000 les évaluations des paramètres sont stables et que la
réaction à l'inflation prévue est assez proche de la
valeur 1,5 de Taylor (1993) car comprise entre 1,58 et 1,90.
? Dans les pays émergents
Parsley et Popper (2009) proposent une application à
une petite économie ouverte telle que la Corée du Sud. En effet,
ils définissent un modèle basé sur la nouvelle courbe de
Phillips keynésienne et une courbe IS avec anticipation. Leur objectif
est de déterminer si l'autorité monétaire cible le taux de
change ou simplement si elle répond au taux de change dans le but
d'atteindre ses autres objectifs. Les résultats (par la MMG) de leur
modèle forward-looking sur la période janvier 1999 -
Avril 2008, avec la prise en compte du taux de change révèlent
que la banque de Corée suit une politique de ciblage d'inflation et le
taux de change apparait comme un objectif indirect. Le taux de change est
apparu comme une variable ayant une influence sur l'output et l'inflation
Une application pour le cas de la Turquie a été
faite par Ertugrul et al. (2005). Ces auteurs sur la base de
données hebdomadaires couvrant la période 1997-2002 mettent au
point une fonction de réaction type Taylor en tenant compte des
contraintes du programme stabilisation par le change imposé par le FMI
à la suite de la crise de change qu'a connue ce pays. Ils prennent en
compte le taux de change nominal, l'agrégat monétaire M2, les
réserves de change, le prix des actifs financiers, les
dépôts en devises et le stock de la dette publique. Il ressort de
leurs estimations (doubles moindres carrés et moments
généralisés) que l'attention des autorités
monétaires a été beaucoup plus focalisée sur les
variables relatives à l'équilibre
Règles de politique monétaire : essai de
modélisation pour la BCEAO DEA/Master de recherche
37
Règles de politique monétaire : essai de
modélisation pour la BCEAO DEA/Master de recherche
externe (taux de change, dépôts en devises) au
détriment de celles relatives à l'équilibre interne. Une
telle fonction de réaction est justifiable dans un contexte d'une
Turquie en cure de sortie de crise financière (1999-2000).
? Dans les pays africains
Une faiblesse de la littérature empirique marque la
sphère des recherches économiques appliquées. Une
première évaluation d'une règle monétaire à
la Taylor a été faite pour l'Ouganda. Abdalla et
al.32 (2000) trouvent une divergence entre les taux
pratiqués par la banque centrale d'Ouganda et ceux issus de la
règle de Taylor. En effet, en considérant comme variables
explicatives les gaps mensuels de production et d'inflation sur la
période 1990 à 1998, en plus de la constante, ils obtiennent un
coefficient de 0,11 pour le gap d'inflation, soit une valeur relativement
faible. S'agissant du gap de production, son coefficient est négatif
(-1,16), ce qui est contraire à la théorie. En réestimant
l'équation avec la prise en compte de variables du secteur
extérieur (la variation des réserves internationales, le taux de
change réel), les résultats obtenus apparaissent relativement
meilleurs, mais ils ne permettent pas une bonne description de l'historique des
taux d'intérêt.
Aussi, Okot (2008) avec un modèle
forward-looking aboutit à la même conclusion
d'inadéquation avec faits de la période
1988-200633.
Rageh (2010) étudie le cas de la Banque Centrale
d'Egypte sur la période 1997-2007, ses estimations par la méthode
MMG révèlent que cette banque a usé beaucoup plus d'une
politique discrétionnaire que d'une règle de taux
d'intérêt (backward ou forward). Elle analyse aussi à
travers un model VAR non structurel, les effets des chocs monétaires sur
la production et sur l'inflation. Ses conclusions ne sont guerre satisfaisantes
et elle attribue cela en partie au fait que durant la période
d'étude, la banque centrale égyptienne a du géré
des objectifs conflictuels notamment la stabilisation des prix, la
stabilisation du taux de change et la promotion de la croissance.
En Afrique du Sud, Ruthira et Paya (2010) ne rejettent pas
l'hypothèse de la pertinence des prix des actifs financiers dans la
modulation du taux d'intérêt et aussi la non
linéarité de cette règle de Taylor-augmentée
sur la période 1986-2008.
32 Cités par Tenou (2002)
33 Cités par N'Guenang et al,
op.cit.
38
N'Guenang et al. (2009) estiment par la MMG une
règle active qui pourrait crédibiliser la politique
monétaire de la BEAC au sein de la zone CEMAC. Après une
première estimation d'une règle forward de base (avec uniquement
les gaps d'inflation et d'output), ils intègrent ensuite la croissance
de la masse monétaire M2 et enfin, ils ajoutent en plus de M2 le
différentiel d'inflation avec le principal partenaire économique
qu'est la France. De ces trois modèles, il ressort que le dernier est
beaucoup plus concluant en considération de l'erreur absolue moyenne et
du coefficient de Theil34.
Pour la zone UEMOA, une des rares applications de la
règle simple de Taylor a été faite par Tenou (2002). Il
adapte la règle initiale de Taylor en y ajoutant des variables comme le
taux d'intérêt retardé d'une période , le
différentiel d'inflation et le différentiel de taux
d'intérêt entre la zone et la France ; et procède ensuite
à des estimations sur données annuelles (19701999) et sur
données trimestrielles (1991-1999) par la méthode des moindres
carrés ordinaires. Ses résultats d'estimations lui permettent de
conclurent que la règle estimée sur données annuelles
retrace assez bien l'historique du taux du marché monétaire
(surtout sur la période 1987-1999). L'estimation sur données
trimestrielles donne aussi des résultats satisfaisants. Le coefficient
de lissage du taux d'intérêt montre que la BCEAO fixe ses taux en
fonction de ses taux passés : le coefficient du taux
d'intérêt retardé est de 0,82. Ce coefficient vaut 0,76 sur
la base des données trimestrielles. Il trouve aussi que le taux
d'intérêt du marché monétaire est relativement plus
sensible à l'écart de production qu'au différentiel du
taux d'intérêt. De façon générale, la BCEAO
semble tenir compte des variables économiques fondamentales que sont
l'inflation et l'écart de production dans la fixation de ses taux
d'intérêt. La prise en compte des différentiels d'inflation
et de taux d'intérêt a certes un sens économique car
traduisant la réalité des relations économiques avec la
France et/ou la zone euro, mais cela pourrait conduire a une non robustesse des
estimateurs des MCO. En effet, la règle prend déjà en
compte l'inflation et le taux d'intérêt retardé comme
variables explicatives, or les différentiels résultent de
différences entre niveaux d'inflation (et entre niveaux de taux
d'intérêt). Un problème de multicolinéarité
se poserait ainsi.
Le dispositif du ciblage d'inflation semble conduire à
une maitrise de plus en plus accrue de l'inflation par les pays l'ayant
adopté. Ainsi, la Nouvelle-Zélande, un des premiers pays a
avoir adopté ce dispositif en 1990, est passée
de 3,3% d'inflation à l'adoption à 0,8% en 2009
34Le coefficient d'inégalité de Theil ou
le critère U de Theil est utilisé pour juger de la qualité
de la méthode de prévision et est tel que 0= U= 1. Plus U est
proche de 0, plus les prévisions sont assez bonnes.
Règles de politique monétaire : essai de
modélisation pour la BCEAO DEA/Master de recherche
39
avec une cible de [1 ; 3]. Le tableau n03 indique la
tendance pour certains pays comme le Canada, le Royaume-Uni, l'Australie.
Tableau n03 : Bilan du ciblage d'inflation
dans quelques pays industrialisés
Pays
|
Date d'adoption du ciblage
|
Taux d'inflation
|
cible
|
A l'adoption
|
En 2009
|
Nouvelle-Zélande
|
1990
|
[1 ; 3]
|
3.3
|
0.8
|
Canada
|
1991
|
[1 ; 3]
|
6.9
|
0.3
|
Royaume-Unis
|
1992
|
[1 ; 3]
|
4.0
|
2.2
|
Suède
|
1993
|
[1 ; 3]
|
1.8
|
-0.3
|
Australie
|
1993
|
[2 ; 3]
|
2.0
|
1.9
|
Source : finance et développement, mars
2010
Ce relatif succès de ces pays a incité certains
pays émergents et en développement à s'inscrire dans le
dispositif de ciblage d'inflation. Ainsi, La Corée du Sud (1998), le
Brésil (1999), la Colombie (2000) et la Thaïlande (2000) entre
autres pratiquent une politique de ciblage de l'inflation avec plus ou moins de
succès. En Afrique subsaharienne, la politique de ciblage d'inflation a
été adoptée par l'Afrique du Sud (en 2000) et le Ghana
(2007).
|