II.1.2.2 La règle de ciblage d'inflation
Le ciblage d'inflation27 est une «
règle d'objectif » par laquelle la banque centrale lie des
variables objectifs (notamment l'inflation) à leur valeur cible. En
effet, comme le souligne Landais (2008), le ciblage d'inflation est un «
dispositif » de politique monétaire dans lequel l'inflation future
prévue, comparée à une cible annoncée, est
utilisée pour guider les décisions à prendre. Ainsi,
l'inflation prévue joue le rôle d'objectif intermédiaire et
les autorités monétaires modulent les anticipations des agents
économiques en vue d'atteindre la cible à l'horizon temporel
fixé (généralement deux ans).
Kenneth Kuttner (2004) caractérise le ciblage d'inflation
par :
? La priorité accordée à la stabilité
des prix ;
? Le choix d'une cible d'inflation (2%
généralement) et d'un délai de réalisation (au plus
2 ans) ;
? La transparence des banques centrales à travers la
communication avec le public ;
27 Le ciblage d'inflation a deux connotations : le
ciblage strict et le ciblage flexible. Le ciblage strict recommande une cible
d'inflation bien précise (exemple 2%) et dans le ciblage flexible, la
Banque donne une marge de fluctuation à la cible de #177;1% par exemple.
En réalité, c'est cette stratégie qui est beaucoup
utilisée car donne une plus grande manoeuvre au Autorités
monétaires d'ancrer les anticipations du public à moyen terme.
Règles de politique monétaire : essai
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31
? Et la responsabilité des autorités
monétaires devant toute déviation par rapport à la cible
annoncée.
Il revient surtout à Svensson (1997,1999) d'approfondir
le cadre théorique de cette règle en montrant qu'elle
dérive de la résolution d'un problème de contrôle
optimal, c'est-a-dire de la minimisation d'une fonction de perte sous
contraintes. Il se place dans un modèle néokeynésien
prospectif avec courbes de demande et d'offre. La fonction de demande est
appréhendée par la courbe IS et celle de l'offre par la courbe de
Phillips(CP).
Courbe IS:
y représente l'output gap, ð le niveau
d'inflation et , l'inflation anticipée en t pour la
période t+1. et sont des paramètres
positifs, un choc stochastique normalement
distribué. est le taux d'intérêt nominal de
court terme.
Courbe CP: , avec et ,
â>0
Fonction de perte intertemporelle des autorités : ; 0 1
avec
, la fonction de perte des autorités monétaires
à la période t.
X est le poids accordé à stabilisation de
l'activité dans les préférences de la banque centrale
relativement à l'inflation et la cible d'inflation. ä est le taux
d'actualisation ou préférence accordée à la
période t.
Ainsi pour la période t, le problème de
la banque centrale consiste à résoudre le programme suivant :
Min )]
Les Conditions de Premier Ordre (CPO)28, donnent la
règle de ciblage optimale suivante :
28 Le modèle spécifié est de
type forward-looking (anticipations tournées vers le futur), il
peut aussi être appréhendé en mode
backward-looking. Pour plus de détails pour la résolution
voir Svensson (1997, 1999,2002, 2003) ou Polin(2004)
Règles de politique monétaire : essai de
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32
Cette règle optimale traduit l'idée que
l'écart de l'inflation anticipée (prévue) pour la
période t+1 et la cible d'inflation est une fraction du niveau
de l'output gap de la période suivante formulé en t.
Svensson(2005) précise que comme déjà discuté
dans Svensson (2003b), la
condition d'optimalité est que les taux marginaux de
substitution(
) et de
transformation( ) entre les variables cibles
s'égalisent. En effet, une augmentation
d'une unité de l'output entraine une hausse de
l'inflation de unité (effet-transformation). Et lorsque le taux
d'inflation diminue d'une unité, il y a un gain d'activité de 1/X
unité (effet-substitution).
La règle de ciblage d'inflation présente
certains avantages. L'avantage majeur des règles spécifiques de
ciblage d'inflation est qu'elles conduisent à accroître
l'indépendance des banques centrales les ayant adoptées et ce
notamment en ce qui concerne leur autonomie d'action. Cela garantit une
flexibilité dans la régulation monétaire car le moyen
terme dans lequel est formulée la politique monétaire favorise la
prise en compte d'éventuelles innovations (chocs d'offre ou de demande)
et évite par là même, une incohérence temporelle ou
dynamique. Le ciblage d'inflation assure un ancrage des anticipations des
agents économiques car le besoin de transparence, de
responsabilité et la communication qui le définit favorisent une
modulation à la baisse des anticipations de natures inflationnistes.
Selon Mishkin et Schmidt-Hebbel (2001) ; et Neumann & Von Hagen
(2002)29, cette stratégie permet aux pays à
historiques d'inflation élevée de retrouver un sentier de
stabilité des prix à niveau d'inflation faible. Il permet en
outre de mener avec beaucoup plus de maniabilité une politique
monétaire définie par un mandat dual tel celui de la Fed.
La stratégie de ciblage d'inflation a toutefois connu
quelques griefs. En effet, la communication tant prônée par cette
stratégie en vue d'une éventuelle transparence est remise en
cause par Friedman (2002). Il reproche aux banques centrales adoptant le
ciblage de n'informer le public que sur l'inflation alors que dans leurs
fonctions de réaction l'objectif de l'emploi y figure. Les agents
ignorent aussi le poids X accordé par la banque centrale à
l'activité économique.
Aussi, le caractère « règle » du
ciblage est souvent mis en défaut. Il est taxé de
discrétionnaire ou plus précisément de «
discrétion contrainte » qui peut lui valoir un
problème
29 Cités par Landais, op.cit.
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d'incohérence temporelle. Bernanke et Mishkin (1997),
Bernanke (2003) indiquent que l'aspect « contrainte » est
lié à l'engagement en faveur d'une inflation basse, engagement
qui
permet d'ancrer les anticipations du public tandis que
l'aspect « discrétion » recouvre la liberté
opérationnelle dont jouit la banque centrale et la possibilité
qu'elle a de mener à bien ses taches de stabilisation
réelle30.
Le choix d'une cible d'inflation comme cible
intermédiaire est souvent difficile à justifier car le lien entre
celle-ci et les taux d'intérêt n'est pas forcement fort ni
même évident.
Ces différentes règles ont eu des degrés
d'adhésion divers à telle enseigne qu'il s'est
développé dans la littérature un grand débat sur
les stratégies monétaires notamment entre règles
d'instrument et règles de ciblage.
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