1.2 La ville et le quartier aujourd'hui à La
Réunion
Peut-être plus que l'espace symbolique, l'espace
réel est avant tout un produit de la société agissant sur
son espace physique. Dans les villes, l'homme, de façon collective ou
individuelle, organise son espace. Il subdivise sa ville en quartiers,
construit des axes pour les transports, tente de maîtriser
l'étalement de son aire urbaine...Autrement dit il structure peu
à peu son espace, produit un maillage selon son tempérament et
les obstacles qu'il rencontre.
Ainsi, comme J.-P. PAULET nous pensons que « le relief
guide l'extension urbaine, et le plan est le résultat d'un certain
nombre de choix de la société qui édifie la cité.
[...] Chaque ville est en ce sens unique car son histoire lui est propre, cette
combinaison repose toujours sur un nombre limité de formes
géométriques (aréolaires, linéaires, ruptures,
quadrillages ou dissymétrie). »30
25 LEFEVRE, D., Organisation de l'espace à Maurice et
à La Réunion, 1986.
26 JAUZE, J.M., Dynamiques urbaines au sein d'une
économie sucrière: La région Est - Nord-Est de La
Réunion, 1997.
27 DUPONT, G., Saint-Denis de La Réunion, ville
tropicale en mutation, 1990.
28 Entres autres E; WOLFF ou M. WATIN
29 PAULET, J.P., Manuel de Géographie urbaine,
2009.
30 PAULET, J.P., Manuel de Géographie urbaine,
2009.
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Le développement urbain de Saint-Denis
Le plan actuel de Saint-Denis est la parfaite illustration de
son développement, puisqu'à lui seul, il nous permet de
comprendre rapidement les différentes périodes de structuration
urbaine qu'a connu la ville. Nous distinguerons essentiellement trois phases
majeures, mentionnées par Guy DUPONT dans son ouvrage sur
Saint-Denis31: « La première s'étend de la
création et de l'expansion originelle aux années 1860 (fig.1
période 1); la deuxième caractérisée par la
léthargie et même la récession urbaine couvre la
période de 1860 à la deuxième guerre mondiale (fig.1
période 2); la troisième enfin faite d'une croissance explosive,
puis soutenue, [...] que nous connaissons depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale (fig.1 période 3) ». C'est durant cette
période que la densification des zones planes s'est
développée, avec un étalement vers les hauts de la commune
facilité par le tout automobile.
Fig. 2: Les trois temps du développement urbain de
Saint-Denis
31 DUPONT, G., Saint-Denis de La Réunion, ville
tropicale en mutation, 1990.
Les trames urbaines: une caractéristique de quartier
?
La trame urbaine, comme la trame de tissu, correspond à la
façon dont les voies de circulation et le bâti sont
agencés. Cette organisation globale des réseaux et du bâti
peut permettre de faire ressortir des particularités liées
à l'histoire de la construction d'un quartier.
La trame dépend de deux facteurs principaux:
· la volonté de la société qui
planifie plus ou moins fortement l'espace: la régularité
des motifs de la trame
· le milieu naturel sur lequel l'action de l'homme
s'exerce: la forme de la trame
|
|
Cette trame est liée à une planification
forte s'appuyant sur un espace non encore structuré, qui reste
totalement à organiser .
|
|
Hypercentre de Saint-Denis Motif régulier, forme de
damier
Cette trame est composée d'une voirie simple; c'est
à dire que c'est autour de la voirie, construite en
premier, que le bâti est ensuite implanté.
Quartier de La Montagne Motif régulier, forme de
chandelier
Dans ce troisième exemple, la structure viaire est
complexe et fragmentée. La nouvelle voirie s'adapte au
bâti existant et aux axes précédemment
tracés
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Quartier de La Source Pas de motif régulier, forme
complexe
Sans se prononcer de façon exclusive, nous pouvons tirer
de ces exemples deux conclusions:
· Quand la trame est composée de motifs
réguliers, l'emprise du quartier est plus facile à
déterminer, ce qui n'est pas le cas du quartier de La Source.
·
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Les formes géométriques simples (chandelier,
damier) sont associées à des périodes de forte
planification urbaine qui s'exerce sur des espaces vides. A contrario,
dans des quartiers comme La Source où l'histoire urbaine est plus
chaotique, et pour lesquels les mutations se sont étalées dans le
temps, le motif et la forme de la trame urbaine sont complexes.
Des fonctions urbaines structurantes
Dans un premier temps, les fonctions urbaines ont
été assimilées à la ville; on peut aujourd'hui
tenter de comprendre comment sont réparties les différentes
fonctions dans son organisation. Non pas pour comprendre « les lieux comme
s'ils étaient prédestinés exerçant une fonction en
vertu d'une vocation »32 mais bien pour établir des
« pôles d'activité plus ou moins bien accomplis » 33
comme nous le recommande R. BRUNET.
La BD TOPO® Pays de l'IGN34 distingue
huit classes d'objets dans une zone agglomérée: administratif,
culture et loisirs, enseignement, gestion des eaux, industriel ou commercial,
santé, sport et transport. Si l'on ajoute les fonctions
résidentielles (essentiellement au-dessus des 100m d'altitude) et
militaires (à l'ouest de la Rivière des Pluies et au pied de La
Montagne), on couvre la majorité des fonctions urbaines.
Fig. 3: Les classes d'activités de
Saint-Denis
La corrélation entre quartier et fonction urbaine
pourrait être définie assez finement (en calculant par exemple le
ratio surfacique entre bloc IRIS de l'INSEE et classe d'activité de la
BD TOPO). Toutefois, pour notre travail, nous en resterons à une analyse
plus simple et intuitive.
Nous noterons donc qu'un certain nombre de quartiers peuvent
être associés à leur fonction
32 BRUNET, R. et alii., Les mots de la
géographie: dictionnaire critique, 1993.
33 BRUNET, R. et alii., Les mots de la
géographie: dictionnaire critique, 1993.
34 Institut Géographique National, BD TOPO® Pays
Version 1.2 - Descriptif de contenu, 2002.
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spécifique (administrative, commerciale...), ce qui
structure fortement leur espace. En revanche d'autres quartiers ne
présentent pas de fonction majeure suffisamment forte, et sont
considérés alors comme des quartiers de résidence à
habitat individuel ou collectif, comme La Source.
Quartier
|
Fonction principale
|
Bellepierre
|
Résidence (individuel)
|
Centre-ville
|
Administrative et commerciale
|
Champ Fleuri
|
Sportive et administrative
|
Commune Prima
|
Industrielle et commerciale
|
Le Chaudron
|
Résidence (collectif)
|
La Source
|
Résidence (collectif)
|
Petite-Ile
|
Militaire et industrielle
|
Moufia
|
Enseignement
|
Fig. 4: Quartiers de Saint-Denis et leurs fonctions
principales
Le quartier comme échelle de recherche
La première approche que l'on peut avoir du quartier
est liée directement à l'organisation spatiale et sociale de la
ville. « Portion assez quelconque de l'espace »35, on a vu
précédemment qu'il pouvait déjà se distinguer par
ses fonctions, sa structure, son histoire...
Mais ces critères n'en font pas toutefois un
véritable territoire, c'est à dire un espace approprié.
Pour cela il faut, de plus, tenir compte de la perception de ses habitants, de
l'homogénéité de leurs représentations et de leurs
habitudes de vie. Autrement dit, il faut « passer d'une géographie
de l'objet quartier à une géographie du sujet producteur de cet
objet, étant entendu qu'entre objet et sujet la relation est dialectique
»36. Ainsi nous reprenons à notre compte l'idée
que le quartier est d'abord « medium fort subtil de l'interaction
sociale »37 où le flou de ses limites est peu à
peu levé par les habitants eux-mêmes.
Quant à la spécificité du
kartié réunionnais, Michel WATIN nous indique qu'il
tend, surtout en milieu urbain, à disparaître: « A la
diversité sociologique du kartié créole
succède maintenant un quartier sociologique homogène où
l'accès à la résidence est fonction des revenus.
»38
Reste toutefois que c'est sur ce territoire que se cristallise
une vie sociale spécifique. En témoignent l'organisation spatiale
de l'espace par les boutiks, le marché forain et autres
terrains de jeux, les relations inter-individuelles entre voisins et amis qui
se connaissent de longue date,
35 BRUNET, R. et alii., Les mots de la
géographie: dictionnaire critique, 1993.
36 HUMAIN-LAMOURE, A.L., Le quartier comme objet en
géographie, 2009.
37 DI MEO, G., Géographie sociale et territoires,
1998.
38 WATIN, M., Les espaces urbains et communicationnels
à La Réunion: Réseaux et lieux publics, 2005.
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les structures associatives, sportives et culturelles qui
peuvent permettre d'approfondir l'histoire du quartier...39
Aussi le terme de quartier, dans la mesure où il
indique une échelle tout en signifiant des liens noués entre
l'espace et ses habitants, nous semble approprié pour la suite de notre
recherche.
La mobilité et l'espace public
Il apparaît de plus en plus que les notions de
mobilité et d'espace public sont intimement liées. En effet, plus
les habitants d'un quartier ont la possibilité d'aller ailleurs trouver
ce qu'ils désirent -que ce soit pour des raisons professionnelles, pour
des achats ou pour leurs loisirs, plus le risque est grand qu'ils
négligent leur environnement immédiat. « Avec la
démocratisation de la voiture, et l'amélioration du réseau
routier, sortir du kartié ne constitue plus du tout un acte
exceptionnel. Les individus peuvent plus facilement qu'avant [...] entretenir
des relations suivies avec des personnes [...] dispersées sur toute
l'île. »40 A cela M. WATIN ajoute les réseaux de
télécommunication et la transformation de l'espace
médiatique comme catalyseurs d'espaces publics.
Dans la mesure où ces notions de mobilité et
d'espace public ont un impact direct sur les habitudes des populations, nous
pouvons en déduire que c'est l'idée même de territoire qui
est modifiée.
Dans notre travail, ce lien est confirmé par les
projets d'aménagement du Boulevard Sud, dont l'objectif, en plus de
fluidifier la circulation, consiste à « être
générateur d'espaces publics dignes de ce nom. »41
C'est à dire qu'au-delà de la structure urbaine
proprement dite, il nous faut à présent nous pencher sur des
aspects plus humains de la géographie urbaine de La Source, et
définir plus précisément les idées de perception,
de pratiques et d'identité des groupes humains qui se rattachent
à ce quartier.
39 En ce sens le livre de Clairy Andoche et des jeunes du foyer
de La Source aux éditions Azalées en est un très bon
exemple (cf. bibliographie).
40 WATIN, M., Les espaces urbains et communicationnels
à La Réunion: Réseaux et lieux publics, 2005.
41 DDE REUNION, Le Boulevard Sud: un boulevard urbain - un
boulevard humain, 1996.
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