1.3 Les concepts importants de la sociologie urbaine
Des espaces vers le territoire
DES ESPACES...
Dans son travail sur le quartier du Bas de la Rivière,
V. TREPORT42 se réfère principalement à G. DI
MEO43 (et dans une moindre mesure à A. FREMONT44)
pour distinguer un certain nombre d'espaces utiles à la
définition du territoire. Nous en retiendrons trois qui nous semblent
particulièrement pertinents pour notre travail:
Fig. 5: Limites INSEE du quartier de La Source
Tout d'abord l'espace produit, car c'est avant tout l'espace
dans lequel nous vivons. Cet espace n'est pas figé dans le temps,
puisqu'il est le résultat des représentations et des actions de
l'homme; il est donc amené à évoluer sans cesse.
Néanmoins, du point de vue du géographe, c'est également
un espace donné car c'est celui qui nous est donné
d'étudier.
L'espace produit est donc soumis à deux influences qui
interagissent avec cet espace: celle de l'action individuelle ou collective,
que l'on nommera: « pratiques sociales », et celle de l'imaginaire,
de la perception, du symbolique. Les deux conjuguées prennent forme dans
des visions, ou des représentations et des actions, qu'elles soient
individuelles ou bien collectives. La création d'une agence
d'urbanisme45 ou les plans locaux d'urbanisme (PLU) à
l'échelle d'une commune répondent bien à une action de la
collectivité pour la production d'un nouvel espace. Ces deux composantes
se mêlent donc et interviennent sur l'espace produit afin de créer
au cours du temps un nouvel espace produit.
42 TREPORT, V., Relation entre identité et
territorialité, 2006.
43 DI MEO, G., Géographie sociale et territoires,
1998.
44 FREMONT, A., La région espace vécu,
1999
45 Telle que l'Agence pour l'observation de la Réunion,
l'aménagement et l'habitat (Agorah)
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Puis l'espace perçu, que nous confondrons, sauf mention
explicite, avec l'espace vécu. A ce stade la distinction entre l'espace
vécu, c'est à dire l'espace dans lequel est impliqué le
sujet, et l'espace perçu, c'est à dire l'espace perçu pour
lequel le sujet est distant, ne sera pas prise en compte afin de faciliter la
simplicité du propos.
Cet espace perçu va bien au-delà des limites de
l'INSEE, puisque pour Clairy Andoche46 il comprend en plus le
lavoir, la rue Bertin, le palais de La Source, et même le Jardin de
l'État...
Fig. 6: Limites du quartier de La Source selon Clairy
Andoche
Enfin, concernant l'espace social, nous reprendrons la
définition de V. TREPORT: « L'espace social est l'imbrication des
lieux et des rapports sociaux. [...] Pour FREMONT, l'espace social correspond
au territoire. »
...VERS LE TERRITOIRE
Le territoire est ainsi une appropriation de ces
différents espaces. C'est à dire la superposition des espaces
physiques et symboliques, l'interface entre réalité physique et
perception de l'espace. Ainsi; nous avons donc un espace physique, construit,
délimité, intégré et surtout approprié qui
aboutit au sentiment d'un territoire partagé. Et c'est ce
rapport-là, ces liens entre l'homme et son territoire que l'on appellera
territorialité.
46 ANDOCHE, C., La Source - Saint Denis 1772-2002,
2003.
Individu
Temps
Espace physique
Espace produit
Espace social
Espace perçu
Actions
Pratiques sociales
Perceptions Représentations
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Fig. 7: Les espaces du territoire
L'identité
L'identité est un concept important en
géographie et sociologie urbaine. Quand elle concerne un individu,
l'identité est d'abord un paradoxe et balance entre similitude et
singularité47. Sa racine latine idem fait
référence à ce qui est semblable, identique. Et par
ailleurs l'identité appelle à « l'identité du moi
dans sa continuité temporelle, en tant qu'elle est distincte des autres
individus ».48 L'identité est ainsi au coeur de
l'idée que l'on a de soi-même et des autres.
Appliquée à un groupe social, elle
entraîne un processus de différenciation entre soi et les
habitants du quartier voisin par exemple.
« Les sentiments d'identité jouent un rôle
[...] profond dans l'uniformisation des attitudes au sein de beaucoup de
groupes. [...] La morale n'est pas individuelle [...]et l'image à partir
de laquelle se bâtit le sentiment d'identité repose souvent sur
l'idée d'une descendance commune, d'une histoire assumée de
conserve [...]. Les disciplines de comportement sont d'autant plus fortes que
tous les membres d'un groupe participent aux mêmes tâches,
connaissent les mêmes rythmes et se heurtent en même temps aux
mêmes difficultés [...]. La territorialité est
fondamentalement liée à ce type d'identité. »49
47 BRUNET, R. et alii., Les mots de la
géographie: dictionnaire critique, 1993.
48 MONTENOT, J., Encyclopédie de la philosophie,
2002.
49 CLAVAL, P., Géographie culturelle: une nouvelle
approche des sociétés et des milieux, 2003.
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C'est en ce sens que nous pourrons utiliser les termes
d'identité et de territoire, même s'il faut se garder d'un
déterminisme qui lierait de façon trop simpliste le lieu de vie
et le caractère supposé des habitants, dans la mesure où
ces éléments sont appelés à évoluer sans
cesse.50
« En effet, un quartier n'est pas une juxtaposition
d'individus entrant en contact superficiel par la force des choses. Il a une
existence collective plus ou moins profondément enracinée selon
l'histoire, la manière et le degré d'intensité avec lequel
la pratique sociale l'alimente. Il est peu à peu façonné
par les trames des réseaux de connaissances, des liens de
solidarité, des conflits, des histoires individuelles, des politiques
dirigées vers lui, qui inscrivent leur trace dans les rues, sur les
maisons, dans les familles, formant la mémoire collective dont la vie
quotidienne est imprégnée. "Les quartiers sont les produits
involontaires de la multitude des grands et petits gestes de la vie
quotidienne. Les individus doivent ce qu'ils sont pour une part aux espaces
où ils ont vécu et où ils vivent" (Pinçon-Charlot,
1997).»51
En ce sens l'identité collective des habitants de La
Source est liée principalement à la construction des logements
sociaux des années 1960 pour remplacer les bidonvilles, avec
l'arrivée massive d'une population nouvelle. Et c'est à
l'église, sur le terrain de handball (La Sours est encore
aujourd'hui une des meilleures équipes de handball de l'île !), ou
encore grâce au foyer des jeunes, que collectivement s'est forgée
une nouvelle identité propre au quartier.
Néanmoins, cette nouvelle identité s'est
intégrée à l'ancienne vie de ce quartier assez rural dont
la richesse essentielle était l'omniprésence de l'eau. Et que ce
soit par la présence d'une piscine, de plusieurs sources, ou encore des
différents canaux bâtis à l'origine pour alimenter le
Jardin de l'État, le nom même de La Source résume
l'attachement de ses habitants à cette eau bienfaitrice sortie de leur
quartier.
Divisions spatiales et effet de seuil
Nous avons vu que des groupes humains possèdent une
identité spécifique forgée en partie par le fait d'habiter
ensemble dans un territoire donné. Cela est dû pour une grande
part à la stratégie des individus, qui désirent trouver un
lieu leur apportant le maximum de satisfactions. Ainsi, à travers la
ville, vont se former et se composer des logiques de peuplement. Et « au
fil du temps vont se façonner en chaque ville des « secteurs
», des territoires auxquels peuvent être durablement
associées des populations et des images particulières.
»52
Les structures des villes sont également des
accumulations de l'histoire, et l'impact de la construction d'un boulevard
urbain, ou de l'implantation de logements sociaux, joue un grand rôle
dans les différents processus de division de l'espace et les
représentations.
Dans la mesure où une construction urbaine marque
fortement l'espace, le temps ou le
50 BRUNET, R. et alii., Les mots de la
géographie: dictionnaire critique, 1993.
51 VAILLANT, Z., La Réunion, koman i lé ?
Territoires, santé, société, 2008.
52 GRAFMEYER, Y., Sociologie urbaine, 1994.
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mouvement, elle représente un véritable seuil
favorisant le passage ou au contraire marquant une rupture, une
discontinuité ou une limite dans l'espace urbain53.
Dans la ville de Saint-Denis, le Boulevard Sud risque de
provoquer des effets de seuil et de diviser spatialement les populations qui
résident de part et d'autre de cet axe. Au niveau du quartier de La
Source, malgré les 40 000 véhicules par jour , des efforts ont
été faits pour que ce boulevard reste accessible aux
piétons en y implantant des jardins intérieurs.
Il reste donc à comprendre dans quelle mesure ce
boulevard est facteur de division spatiale, et s'il est pratiqué et
perçu par les habitants de La Source comme un passage vers le
centre-ville, le Jardin de l'État ou bien comme une rupture.
*
* *
De ce chapitre nous retiendrons que le développement
urbain de Saint-Denis depuis sa création s'est fait très
progressivement jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Par la suite, c'est la poussée démographique qui a imposé
les mutations urbaines et la modernisation de nombreux quartiers dont La
Source. On en voit la conséquence dans les différentes trames qui
composent la ville.
D'autre part, un des objectifs du Boulevard Sud est de
répondre aux besoins de mobilité de la population
réunionnaise, et pas uniquement dionysienne. Or, ce dernier
créé également une division spatiale par son effet de
seuil. L'espace est alors fortement marqué, mais qu'en est-il pour le
territoire ? La perception et les pratiques sociales sont-elles
réellement modifiées ?
L'étude de l'impact du Boulevard Sud au coeur d'un
quartier urbain comme La Source nous apparaît pertinent dans la mesure
où il s'agit d'un territoire suffisamment étendu pour être
représentatif et suffisamment restreint pour être commode à
étudier.
Aussi la partie épistémologique que nous
concluons ici nous a fourni quelques concepts, que nous tâcherons de
mettre en application dans l'approche méthodologique ainsi que dans
l'étude de cas qui lui fait suite.
53 BRUNET, R. et alii., Les mots de la
géographie: dictionnaire critique, 1993.
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