B. Les récents assouplissements de la
jurisprudence
34. En vue de désigner le récent mouvement
jurisprudentiel de déconstruction entrepris par la Cour de cassation,
certains parlent de « reflux »76 ou d'«
infléchissement È77. Nous en mettrons certains
points significatifs en relief.
Tout d'abord, l'évolution jurisprudentielle concerne le
premier alinéa de l'article 53 qui rappelons le, contient l'une des
dispositions les plus allégorique de la procédure de presse :
« La citation précisera et qualifiera le fait incriminé,
elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite
»78. Le mouvement a été initié par
deux arrêts de la première chambre civile du 24 septembre
200979 et du 8 avril 201080. À travers ceux-ci, la
Haute juridiction marquait alors un premier pas vers un assouplissement de
l'interprétation des exigences imposées par l'article.
Toutefois, cet élan de laxisme vis à vis du
formalisme de l'acte introductif d'instance ne devait pas durer. En effet, par
un premier arrêt rendu le 3 février 2011, suivi d'un autre du 6
octobre, la même première chambre civile entreprit un retour
fracassant à des exigences plus strictes et davantage conforme à
la lettre de l'article 5381. Mais il est un point sur lequel il faut
insister. Par ces deux décisions de 2011 la Haute juridiction - bien
qu'intransigeante sur les exigences de qualification et d'articulation - a
désormais admis la validité du visa subsidiaire de l'article 1382
du Code civil dans une procédure engagée à titre principal
sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881. Pourtant, rappelons que
jusqu'à récemment encore, l'interprétation de l'article 53
allait systématiquement dans le sens d'une prohibition des visas
cumulatifs ou alternatifs. La pratique du visa subsidiaire de l'article 1382
fut donc toujours considérée comme de nature à introduire
une incertitude
76 E. Dreyer, « Où va la Cour de
cassation en matière de presse ?», JCP G, 2010, p. 1546.
77 A. Lepage, « Vers une remise en cause de
l'unicité du procès de presse », Légicom
n°46, 2011, p. 9.
78 Ibid.
79 Civ. 1ère, 24 sept. 2009,
Bull. civ. I, n° 180 : « la seule omission dans
l'assignation de la mention de la sanction pénale que la juridiction
civile ne peut jamais prononcer n'est pas de nature a affecter la
validité de la citation ».
80 Civ. 1ère, 8 avr. 2010, D.
2010. 1022, estimant que satisfait aux exigences de l'article 53, la
citation indiquant précisément les faits et infractions qui lui
sont reprochés, sans qu'il soit nécessaire que celle-ci
« précise ceux des faits qui constitueront des injures, et ceux
qui constitueraient des diffamations ».
81 Civ. 1ère, 3 févr.
2011, D. 2011. 520 et Civ. 1ère, 6 oct. 2011, D.
2011. 702 : dans ces deux décisions, la Cour affirme qu'un
même fait ne pouvant être poursuivi cumulativement ou
alternativement sous la double qualification d'injure et de diffamation,
« la citation doit préciser en conséquence, ceux des
faits qui constitueraient des injures, et ceux qui constitueraient une
diffamation ».
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néfaste dans l'esprit du prévenu pour l'exercice
des droits de la défense82. Il semblerait que cela ne soit
désormais plus le cas.
Aussi, autre preuve de l'assouplissement du formalisme
applicable en matière de presse devant le juge civil cette fois-ci
relative à l'alinéa 2 de l'article 53. La Cour estime
désormais qu'est valablement domicilié dans la ville où
siège la juridiction saisie, le justiciable qui serait domicilié
dans une ville limitrophe, dès lors que son avocat est en mesure d'y
plaider83. La rigueur de cet article, qui jusqu'alors imposait
à peine de nullité une élection de domicile dans la ville
où siège la juridiction saisie, semble donc aujourd'hui
désapprouvée devant les juridictions civiles.
L'harmonisation des règles de forme de mise en oeuvre
de la responsabilité civile et pénale suit donc son cours. La
jurisprudence, si elle ne semble clairement pas chercher à sortir de
l'unité du procès de presse qu'elle a façonné,
montre en revanche sa volonté d'explorer de nouvelles voies pour on
dirait, tenter de sauvegarder un semblant d'autonomie vis à vis du
procès pénal de presse. Cette fragile symbiose procédurale
n'était pourtant qu'un premier pas dans le sens de l'harmonisation du
procès de presse. Une réaction ne tarda pas à se
manifester sur le fond du droit.
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