Paragraphe 2 : Les vicissitudes de l'alignement
procédural, source d'incertitudes
32. Les partisans de la conception dualiste du procès
de presse semblent avoir raison sur un point : compte tenu des
spécificités respectives des contentieux pénal et civil,
la transposition de règles de procédure pénale devant le
prétoire civil ne peut s'opérer sans rencontrer un certain nombre
d'hostilités (A). La jurisprudence semble en tirer un certain nombre de
conséquences, sans pour autant modifier radicalement ses positions
(B).
A. Les problèmes d'incompatibilité
33. Beaucoup d'auteurs ont dénoncé une
application « contre-nature » des règles de procédure
pénale spéciale du texte de 1881 devant le juge civil. Parmi ces
derniers, Emmanuel Dreyer, farouche opposant à cette extension,
n'hésite pas à qualifier cet
68 E. Dreyer, Responsabilité civile et
pénale des médias, LexisNexis, 3e éd.,
2011, p. 24.
69 V. E. Dreyer, « L'accès au juge
civil en matière de presse », Légipresse n291,
Fév. 2012, p. 83.
70 E. Derieux et A. Granchet, Droit des
médias, LGDJ, 2010, n1453.
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alignement procédural d'« illusoire
»71 car impossible à mettre complètement en
oeuvre. Nous procèderons donc à une brève
énumération de ces hiatus procéduraux sans pour
autant rentrer dans ce qui relève de la pure technique processuelle.
Parmi quelques exemples attestant du fait qu'il ne peut y
avoir une complète identité de régime entre les
procès civil et pénal de presse, on notera tout d'abord les
dispositions de l'article 53, dont l'application a été
étendue à l'assignation, et ne précisant pas la nature de
la nullité sanctionnant le non-respect de ses exigences de forme.
Pourtant, la nullité s'apprécie différemment selon que
l'on se situe en matière pénale ou civile72.
Dès lors, comment affirmer que l'objectif d'uniformisation des
règles dictant le procès de presse a pour objet de permettre aux
parties de bénéficier de garanties identiques selon que l'on se
trouve devant le juge civil ou pénal alors même que les
critères d'appréciation de validité de l'acte introduisant
l'instance ne sont pas les mêmes ? Aussi, autre exemple attestant des
difficultés sous-jacentes de l'uniformisation, concernant cette fois-ci
l'obligation d'élection de domicile dans la ville où siège
la juridiction saisie (art. 53 al. 2). Une telle exigence devait
inévitablement être perturbée en matière civile dans
le cas d'instances introduites devant les tribunaux de grande instance dits
périphériques, sujets à la multipostulation73.
Enfin, il est certain que le processus d'uniformisation impliquant d'adapter
à une procédure écrite des règles initialement
prévues pour une procédure orale devait là encore,
bouleverser un certain nombre de facultés ordinairement reconnues au
juge civil74.
Les exemples ne manquent donc pas75. Divers auteurs
en conviennent, sans nécessairement réprouver la jurisprudence
d'unification du procès de presse. Pourtant, de récentes
décisions semblent explorer le chemin d'une voie intermédiaire.
En effet, sans pour autant aboutir à une totale remise en cause de
l'édifice jurisprudentiel, elles participent incontestablement d'une
« désynchronisation » des procès civil et pénal
de presse. Il convient de s'attarder un peu sur leur teneur.
71 E. Dreyer, « L'accès au juge civil
en matière de presse », Légipresse n°291,
Fév. 2012, p. 84.
72 E. Dreyer, « Qu'est devenue la
responsabilité civile en matière de presse ? », D.
2004, p. 590.
73 B. Landry, « L'application des
règles de procédure de la loi du 29 juillet 1881 devant la
juridiction civile : point de vue d'un avocat » in «
Liberté de la presse et droits de la personne »,
Dalloz, 1997, p.60.
74 Par exemple, le juge civil ne saurait se
soustraire à l'obligation d'entendre les témoins cités aux
offres de preuve et de preuve contraire (art. 55 et 56 du texte de 1881) et ne
peut donc user de son pouvoir d'appréciation pour appréhender
l'opportunité d'une audition des témoins que lui reconnaît
le code de procédure civile dans le cadre de l'enquête civile
(art. 204 et s.). En effet, il y a là une incompatibilité avec le
caractère accusatoire du procès de presse. Ces témoins
seront donc nécessairement entendus, sans que ce dernier ne puisse
interférer.
75 V. E. Dreyer, Responsabilité civile et
pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p.
10.
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